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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Femmes compositrices – l'opéra Fausto de Louise Bertin

Avec Fausto de Louise Bertin, le label Palazzetto Bru Zane nous offre une nouvelle et passionnante résurrection : le premier opéra écrit par une compositrice sur le Faust de Goethe. Sombré dans l'oubli depuis sa création au XIXème, il est restitué dans une édition soignée, fruit de recherches minutieuses, et une exécution exemplaire.

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Louise Bertin (1805-1877), musicienne mais aussi poétesse, a été l'élève de François-Joseph Fétis, pour le chant, et d'Antoine Reicha, en composition. Auteure, notamment, de cantates et de ballades pour piano, elle est dédicataire de la version originale pour chant et piano des Nuits d'été de Berlioz. On lui doit quatre opéras dont le dernier La Esmeralda (1836) sur un livre de Victor Hugo restera un échec et contribuera à la détourner d'écrire pour la scène. Le précédent, Fausto (1831), marque cependant un jalon important dans l'histoire de l'opéra au XIXème siècle. Alors que le mythe de Faust connaît en France, au théâtre, une vogue notoire, Louise Bertin a été la première compositrice à s'attaquer à ce monument de la littérature. On est avant La Damnation de Faust de Berlioz (1846) et bien sûr Faust de Gounod. Il semble même qu'elle ait envisagé d'adopter ce sujet avant que Berlioz n'écrive, en 1829, ses Huit scènes de Faust. En vue de la création au Théâtre-Italien, il a fallu se conformer au cahier des charges de l'institution, qui impose une composition en langue italienne. Le livret, de son cru, sera donc traduit. Là n'est pas la seule originalité de l’œuvre. Louise Bertin conçoit une adaptation toute personnelle du Faust I de Goethe. Dans un souci de condensation de la trame dramatique, elle centre le propos sur l'intrigue amoureuse entre Faust et Marguerite, délaissant le message philosophique. Le personnage de Margarita occupe ainsi une position centrale et, pour se conformer aux conventions mélodramatiques, le héros, Fausto, devient victime : à la fin voué aux tourments de l'Enfer après que Margarita ait refusé la proposition d'évasion de la prison. Le traitement des autres figures est différent de ce qu'il advient dans les autres œuvres traitant de ce sujet. Ainsi Marthe devient Catarina. Valentino n'intervient qu'au IIIème acte et Wagner est réduit à sa composante comique au Ier. Tout comme Mefistofele l'endosse à plusieurs reprises, comme certains personnages de Rossini. Surtout, les fameuses chansons (de la puce, du veau d'or, du roi de Thulé) sont omises. Alors que d'autres sont ajoutées, telle celle de Margarita à l'acte II. Le découpage en quatre actes s'appuie sur les divers épisodes topiques de l'intrigue telle que la conçoit la compositrice : la tentation, la félicité, le crime, le châtiment, chacun pourvu d'un climat particulier.

Car dans sa musique, Louise Bertin cultive l'étrange, à l'instar d'un Berlioz. Dans une luxuriance orchestrale et un style épique empli de modulations inattendues et d'étrangetés harmoniques. Si le ton général est grave, la veine lyrique est bien présente dans le traitement de la mélodie, en particulier pour ce qui est des deux figures de Faust et de Marguerite. Au soutien du pathétique ou du fantastique, les contrastes sont très marqués, singulièrement par de brusques et abruptes ruptures de ton. Comme le montre l'ouverture, sorte de pot-pourri, reprenant en réalité les principaux thèmes de l'opéra. L'instrumentation est tout aussi singulière, avec emphase sur les vents et sur certaines percussions comme les cymbales qui offrent la dernière note de l'opéra. La partie vocale est basée sur des récitatifs secs ou accompagnés, quelques airs brefs et des ensembles bien construits.

Fruit de recherches approfondies sur l'édition et sur la manière d'interpréter, la présente interprétation, qu'on a pu apprécier lors d'un concert au Théâtre des Champs-Élysées au printemps 2023, n'appelle que des éloges. En confiant le rôle-titre à Karine Deshayes, on retrouve la distribution originale qui l'avait dévolu à une mezzo contralto. Dans cette partie complexe, au large ambitus et souvent tendue dans l'aigu, la chanteuse française fait merveille par son art consommé du chant, une élocution parfaite combinée à un sens dramatique qui sait faire sens à chacune de ses interventions, même dans les ensembles les plus complexes comme le finale concertato de l'acte III. La composition culmine dans la scène 2 de l'acte IV, enchaînant air, cantabile et stretta, où la ligne legato le dispute à la véhémence, la honte d'avoir signé à la résolution de détruire « un fatal contrat ». Karina Gauvin incarne une Margarita assurée, de son large soprano lyrique, aussi pourvu d'une fière quinte aiguë. Le récitatif accompagné puis la cavatine de l'acte II/4, où la voix est comme enlacée par un hautbois solo nostalgique, lorsque Margarita évoque la rencontre avec Fausto, est un moment d'intense agitation intérieure. De sa basse sonore et bien projetée, Ante Jerkunica assume crânement les deux facettes du personnage de Mefistofele, le vilain et le bouffon, tour à tour sardonique et grotesque. Le ténor Nico Darmanin, Valentino, assume avec brio, dans la scène de l'acte III, ce que cette partie comporte d'accents dignes du bel canto rossinien.

Christophe Rousset, décidément à l'aise aussi bien dans le répertoire baroque que dans celui du XIXème romantique, comme en témoignait déjà son exécution de La Vestale de Spontini, pourvoit une direction vibrante. N'est-elle pas dotée de cette « surprenante énergie » qui avait tant surpris les analystes à la création. Elle évite l'écueil de décousu qu'une première impression peut laisser transparaître d'une partition protéiforme, dont les fréquents changements d'atmosphère ne sont pas la moindre caractéristique. Le contraste tension-relâchement au fil des divers ensembles, tel que le finale haletant de l'opéra, le chef le ménage avec doigté et surtout une conviction de tous les instants. Comme il en est de ses musiciens des Talens Lyriques, singulièrement des pupitres des vents, bois et cuivres, constamment sollicités par l'écriture extrêmement exigeante et singulière de Louise Bertin.

La prise de son aux studios Riffx de la Seine Musicale est d'une clarté exemplaire, ménageant un bel équilibre voix-orchestre.
Texte de Jean-Pierre Robert

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Plus d’infos

  • Louise Bertin : Fausto, Opera semiseria en quatre actes. Livret de la compositrice. Traduction en italien de Luigi Balocchi. Édition du Palazzetto Bru Zane
  • Karine Deshayes (Fausto), Karina Gauvin (Margarita), Ante Jerkunica (Mefistofele), Nico Darmanin (Valentino), Marie Gautrot (Catarina), Diana Axentii (Una Strega/Marta), Thibault de Damas (Wagner/Un Banditore)
  • Flemish Radio Choir
  • Thomas Tacquet, chef de chant
  • Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset
  • 2 CDs Palazzetto Bru Zane : BZ 1054 – collection Opéra français vol. 38 (Distribution : https://bru-zane.com ; Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.)
  • Durée des CDs : 75 min 28 s + 50 min 19 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5) 

CD disponible sur Amazon

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