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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : David et Jonathas ou le triomphe de l'opéra de collège

L’originalité de cette nouvelle version de David et Jonathas est d'avoir confié la distribution soliste et la partie chorale uniquement à des voix d'hommes et d'enfants. En cela l'interprétation retrouve « l'esprit même de la création », souligne Olivier Schneebeli, concepteur du projet. Elle témoigne de la place essentielle réservée à Marc-Antoine Charpentier par le Centre de Musique Baroque de Versailles et en l'occurrence l'aboutissement de l'immense travail effectué par le chef dans cette institution.

David et Jonathas connut une histoire singulière. Il fait partie en effet de ces opéras de collège, montés par les jésuites, essentiellement à Louis-le-Grand, qui, en un seul spectacle, associaient, sur un sujet biblique, une tragédie parlée et un opéra. En l'espèce, l'opéra était accolé à la tragédie latine en cinq actes, Saül, d'un certain Père Étienne Chamillart, qui professait dans ledit collège. Ils y furent créés le 28 février 1688, par les élèves, auxquels s'étaient joints des musiciens professionnels. Le caractère hybride de l'entreprise paraissait naturel au public de l'époque, nullement rebuté par la longueur du processus, qui voyait progresser successivement un acte de la tragédie, puis un acte de l'opéra, et ainsi de suite. Ce dernier ne s'écarte pas formellement des canons de la tragédie en musique et du modèle créé par Lully. Mais il s'en distingue par son inventivité, fruit de cette symbiose entre manières française et italienne. À la différence des pièces lullistes, Charpentier renonce au respect d'un équilibre presque parfait entre verbe et musique. Sa tragédie en musique est faite de récitatifs accompagnés et d'airs d'une grande liberté d'expression, enfin de chœurs variés, distribués de façon originale. Quoique la trame dramatique offre peu d'action, sauf au dernier acte. Car ce « drame tout de bruit et de fureur » qu'y voit Olivier Schneebeli, est en fait une étude psychologique de chacun de ses protagonistes. Alors que le Prologue plonge in media res, par l'intervention saisissante de La Pythonisse, sorte de pythie organisant l'apparition de Samuel qui prédira la mort de Saül et le couronnement de David, chaque acte est centré sur un personnage : au Ier, David, puis Joabel, le manipulateur, à l'acte II, Saül au IIIème, Jonathas au IV, sublimé dans la déchirante plainte ''A-t-on jamais souffert une plus rude peine'', lorsque partagé entre amour filial et affection pour l'ami. Avant qu'à l'acte V l'action se dénoue, culminant sur la scène des adieux de David à Jonathas, puis avec les dernières paroles déchirantes de celui-ci.

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La présente interprétation qu'offre Olivier Schneebeli rompt avec la plupart de ses prédécesseurs au disque comme à la scène. On pense à celle de William Christie à Aix, préservée en DVD. Choix a été fait, cette fois, de revenir à l'esprit d'origine et de confier la distribution vocale exclusivement à des voix d'hommes et d'enfants. En outre, l'œuvre retrouve une part de son caractère hybride originel, avec l'inclusion de textes déclamés empruntés à Antoine Godeau (1605-1672). Ils précèdent le prologue et chacun des actes, confiés à des narrateurs, dont certains sont des enfants. La facture d'ensemble de l’œuvre en acquiert une toute autre tournure, en particulier s'agissant de la partie chorale, dévolue aux Chantres et Pages du CMBV, et même du rôle de Jonathas attribué à une voix d'enfant. En outre, la déclamation aussi bien parlée que chantée favorise une accentuation particulière, que renforce une diction proche du vieux français : emphase sur certains mots, interjections soulignées. 

La distribution soliste privilégie donc les voix masculines, la plupart anciens Chantres de la Maîtrise du CMBV. Ainsi de Clément Debieuvre, David, possédant l'exact timbre de ''ténor haute-contre'' et un sûr engagement dramatique. Sa voix claire de ténor aigu épouse le chant de Charpentier, souvent délicat, en voix de tête notamment, comme à la fois la fragilité du jeune homme et le poids de sa destinée tragique, adulé, presque à son corps défendant. David Witczak prête au personnage de Saül des accents assurés, au point parfois de presque dominer. Edwin Crossley-Mercer, Achis, livre un chant impressionnant. Jean-François Novelli prête à Joabel de vrais accents de dépit et une prestation vocale qu'on sent vindicative. Enfin le haute-contre Jean-François Lombard, dans la partie de La Pythonisse, évite les exploits histrions de Dominique Visse naguère à Aix. Reste que l'option de distribuer le rôle de Jonathas à une voix d'enfant, féminine semble-t-il, surprend, car l'assemblage vocal ne paraît pas homogène : face à un contre-ténor de la trempe de Clément Debieuvre, le timbre de la jeune et parfois frêle Natacha Boucher est bien juvénile. Si le passage de la mort de Jonathas à l'acte V, « un moment proprement irréel... qu'aucune voix d'adulte, aussi pure soit-elle, ne saurait rendre », observe Schneebeli, trouve ici effectivement des accents déchirants, bien des échanges précédents, dont les retrouvailles des deux amis et surtout la scène des adieux de David à Jonathas, n'offrent pas un traitement égal entre les deux personnages. 

Quoi qu'il en soit, Olivier Schneebeli magnifie l'extrême beauté du langage contrapuntique de Charpentier, nourri de riches harmonies, de rythmes incisifs, rehaussés de percussions typiques, au soutien de la déclamation vocale. Le geste musical ménage de saisissants contrastes entre passages de force et moments d'émotion. La qualité instrumentale de l'ensemble Les Temps Présents marque l'exécution d'une sûre empreinte. Le chœur, des magnifiques Chantres et Pages du CMBV, dont on distingue quelques solistes émérites dans les parties de guerriers, bergers ou captifs, émaille le discours de vraie vie.

Au final, une version qui vise une sorte d'idéal, d'ordre musicologique, et trouve son plein aboutissement dans une exécution de concert. À cet égard, celle captée live pour le présent enregistrement à l'Opéra royal du Château de Versailles, répond parfaitement à cette conception. Au demeurant elle préserve une perspective intimiste, parfaitement en accord avec l'approche musicale.
Texte de Jean-Pierre Robert 

Plus d’infos

  • Marc-Antoine Charpentier : David et Jonathas. Tragédie en musique en un prologue et cinq actes. Livret du Père François de Paule Bretonneau
  • Clément Debieuvre (David), Natacha Boucher (Jonathas), David Witczak (Saül), Edwin Crossley-Mercer (l'Ombre de Samuel/Achis), Jean-François Lombard (La Pythonisse), Jean-François Novelli (Joabel/un du peuple/un captif)
  • Evan Bidaut (un berger/un captif/Coryphée), Grégoire de Basquiat (un captif), Thierry Cartier (un guerrier/Coryphée), Gabriel Legrand (un berger/un captif), Cyril Escoffier (Coryphée), Clémence Stefanov (un berger/Coryphée), Cyril Tassin (Coryphée)
  • Les Pages et les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles
  • Clément Buonomo, Charles Gluchowski, Alix de Roquefeuil, Constance Mordant, Jonas Mordzinski, Egon Zanne, Achille Teissier, narrateurs
  • Les Temps Présents, dir. Olivier Schneebeli
  • 2 CDs Aparté :  AP 342 (Distribution : [Integral])
  • Durée des CDs : 60 min + 62 min
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5) 

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Marc-Antoine Charpentier, Clément Debieuvre, Edwin Crossley-Mercer, David Witczak, Jean-François Novelli, Natacha Boucher, Jean-François Lombard, Les Temps Présents, Olivier Schneebeli

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