Je t'aime, je t'aime : une œuvre déchronologique fondatrice (en Blu-ray)

Note artistique : (4/5)

Synopsis

Après une tentative de suicide, Claude Ridder se prête à une expérience scientifique : un voyage dans le temps. Il est ainsi projeté dans son passé, et se retrouve heureux, auprès de sa femme Catherine, un an auparavant.

• Titre original : Je t'aime, je t'aime
• Support testé : Blu-ray
• Genre : fantastique, comédie dramatique
• Année : 1968
• Réalisation : Alain Resnais
• Casting : Claude Rich, Olga Georges-Picot, Anouk Ferjac, Alain MacMoy, Vania Vilers, Ray Verhaeghe
• Durée : 1 h 34 mn 49
• Format vidéo : 16/9
• Format ciné : 1,66/1
• Sous-titrage : français
• Piste sonore : LPCM 2.0 monophonique français
• Bonus : Dans les oreilles d’Alain Resnais de Géraldine Boudot (2019, 52 mn 17) - entretien avec Claude Rich : souvenirs du tournage (2007, 15 mn 06) - rencontre Resnais-Sternberg : analyse croisée du film et du scénario (2007, 19 mn 36) - entretien avec Alain Resnais à propos du film (2007, 12 mn 11)
• Éditeur : Éditions Montparnasse

Commentaire artistique

Après deux films politiques engagés, Muriel ou le Temps d’un retour (1963) et La Guerre est finie (1966), Alain Resnais revient à l’expérimentation temporelle brillamment amorcée dans L’Année dernière à Marienbad (1961) avec Je t’aime, je t’aime dont le scénario est signé Jacques Sternberg. Le romancier a proposé au cinéaste un récit de voyage dans le temps qui traduirait son penchant pour les nouvelles très courtes interrompues par des temps morts : le héros Claude Ridder, soumis à une expérience de laboratoire, revivrait des moments de son existence dans un ordre aléatoire. Bien que le thème relève de la science-fiction, le récit se déroulera dans un environnement banal, hormis celui du laboratoire et de la machine « citrouille » qui va se dérégler. Si la temporalité de la narration est éclatée, l’intrigue possède néanmoins un cadre narratif : le héros travaille, vit une histoire d’amour avec une jeune femme qu’il tue, puis tente de suicider (cf. bonus) et devient sujet d’expérimentation. Claude et Catrine sont inspirés par les personnalités de Jacques et Francine Sternberg. Le processus de composition du scénario est original : dans les quelques 900 scènes fournies par Jacques Sternberg, le cinéaste en choisit 240 qu’il structure. C’est grâce à l’insistance de François Truffaut (cf. bonus) que le film sera produit par Mag Bogard et tourné en 1967. Très attentif aux sonorités des voix (cf. bonus), Alain Resnais confie le rôle de Claude à Claude Rich, mais c’est l’aspect physique de la jolie et grave Olga Georges-Picot qui l'incite à lui donner le rôle de Catrine. Bernard Fresson (Bernard Hannecart) et quatre autres actrices complètent le casting tandis que tous les scientifiques du film sont joués par des acteurs flamands dont les dialogues ne sont pas sous-titrés.  Sorti en 1968, le film n’a pas pu être projeté comme prévu à Cannes et a bien du mal à attirer le public malgré quelques prix internationaux : selon ses auteurs, c’est sans doute lié la personnalité peu séduisante du héros qui ne possède aucune ambition. Mais on peut parier aussi que c’est la construction même du film avec sa temporalité « éclatée » qui déroute malgré sa créativité et sa modernité. Fort bien analysé par François Thomas en 2007 (cf. bonus), l’intrigue de Je t’aime, je t’aime, qui se déroule sur une période de quelques années (1951-1966), possède une structure alambiquée : elle est en effet composée de flash-backs débouchant sur des temps morts aléatoires et des bégaiements narratifs provoqués par le dérèglement de la machine. Le héros désabusé n’a qu’une obsession : le temps qu’il décrit dans un roman. Le film raconte sa vie sous forme d’instants qui défilent en déchronologie (cf. bonus avec Claude Rich) : Claude Ridder est en même temps acteur et spectateur de son destin revécu à l’infini sous la forme de souvenirs tronqués. Le montage (Albert Jurgenson) des 330 plans du film est signifiant : un plan par scène au passé, un centrage constant du héros (cadrage de Jean Boffety), et sa présentation de dos en basse lumière chaque fois qu’il s’agit d’un rêve, répétition de plans rythmés différemment dont l’ambiance surréaliste est soutenue par la musique atonale et suggestive de Krzysztof Penderecki. Je t’aime, je t’aime est un film déconcertant qui fonde son développement sur la juxtaposition de temporalités liées par le souvenir : le film est une succession de scènes dont la discontinuité et les fluctuations irrationnelles défient la notion même du temps et créent simultanément une réelle émotion. Ce film expérimental déchronologique, aussi fondateur que La Jetée (1962) de Chris Marker, est à apprécier dans une belle copie restaurée et complétée par l’excellent documentaire Dans les oreilles d’Alain Resnais de Géraldine Boudot qui évoque la dimension sonore singulière du cinéma d’Alain Resnais. Fascinant.

Commentaire technique

Version numérisée et restaurée 2K par Éclair Group et L.E. Diapason pour Ciné-Mag Bodard avec l’aide du CNC. 

Image : copie HD, excellente définition et très bon piqué dans la limite de la texture argentique assez prononcée (tournage en 35 mm, Master Format 2K restauré), image propre débarrassée de ses défauts, contraste homogène, image lumineuse, noirs soutenus, étalonnage et colorimétrie réalistes aux teintes naturelles nuancées, dominante légèrement froide

Son : mixage français 2.0 monophonique, dialogues clairs, équilibrés, sans distorsion, excellente dynamique sur les ambiances naturalistes (mer) et sur la musique concrète éthérée et inquiétante de Krzysztof Penderecki, légère saturation ponctuelle

Notre avis

Image : (4/5)
Mixage sonore : (4/5)
Bonus : (4/5)
Packaging : (3/5)

IMDb : https://www.imdb.com/title/tt0063152/

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