Skip to main content
PUBLICITÉ
  • Michel Bedin
  • Musique

CDs : Une Histoire du jazz vocal (The Story of vocal jazz) - Anthologie 1911-1959

history-of-vocal-jazz

Coffret de 25 CDs
avec livret bilingue de 254 pages
Durée : 32h 7’ 45’’
Le chant du Monde 574 2051.75
www.chantdumonde.com
Notre avis : etoile-bleueetoile-bleueetoile-bleueetoile-bleueetoile-bleue(5/5)

LA SUITE APRÈS LA PUB

Une anthologie est fatalement subjective et ne peut qu’être imparfaite aux oreilles de l’auditeur qui, lui aussi, a sa propre subjectivité : pourquoi avoir commencé par un air de Sophie Tucker ? Et pourquoi pas par « My Yiddische Momma » ? Les râleurs de tout poil trouveront toujours à redire. Laissons-les faire et tâchons de vous dire, non pas ce qu’il n’y a pas, mais ce qu’il y a sur ces CDs. Car ce sont six cent dix-huit chansons, interprétées par deux cent cinquante-neuf chanteurs, chanteuses ou groupes différents. D’abord, impression générale, ces disques sont bien remplis. Aucun CD en-dessous d’une heure et quart. Autre impression générale positive, ils sont classés par ordre chronologique, tant mieux.

Alors allons-y dans l’ordre :

CD 1 : Il commence avec les prémices du jazz, l’arrivée du blues et la personnalité de Bessie Smith se montre immédiatement en pleine lumière, en cette époque où le micro était absent. Bessie Smith, donc, mais également Alberta Hunter, Ethel Waters, ou Adelaide Hall qui débute chez le Duke. Curiosités du CD, Fred Astaire chantant avec sa grande sœur Adele, accompagné par un drôle de pianiste : George Gershwin en personne. Et puis Paul Robeson, trop souvent oublié pour cause d’anticommunisme primaire.

CD 2 : Encore du Bessie Smith, évidemment, mais aussi l’arrivée comme chanteur de Louis Armstrong, le créateur du scat et du jazz, ainsi que T-Bone Walker, Sonny Greer et une flopée de chanteurs ou de chanteuses peu connus aujourd’hui, mais qui se faisaient accompagner par James P. Johnson, l’inventeur du stride, ou bien par Johnny Hodges ou par Earl Hines. Et toujours ce sens du blues, tellement indispensable au jazz.

CD 3 : Il est à la charnière des années vingt et trente. C’est toujours les grandes années de Bessie Smith et de Louis Armstrong, mais voici les crooners qui arrivent, Bing Crosby, Fred Astaire, l’élégance faite homme, les groupes avec une mise en place frisant la perfection, les Boswell Sisters, les Mills Brothers qui jouent avec une seule guitare en accompagnement. Et puis l’arrivée d’un phénomène, Cab Calloway, l’énergie musicale incarnée.

CD 4 : Les années trente ! Une tendance nette, l’arrivée des torch songs, ces mélodies entre le blues et la chanson larmoyante, qui content les malheurs de ceux qui n’ont pas de chance. Tout le monde en chante. Ainsi, deux versions de « I Gotta Right to Sing the Blues », par Lee Wiley, “canari » chez les frères Dorsey, avec Bunny Berigan, ou par Jack Teagarden, chez Benny Goodman.  Et aussi l’arrivée d’une débutante qui ira loin : Billie Holiday. D’excellents gospels, des blues et une chanteuse-trompettiste, Valaida Snow. Un must : le Zah Zuh Zah, de Cab Calloway, qui donna leur nom en France aux zazous.

LA SUITE APRÈS LA PUB

CD 5 : 35-37, grandes années pour Ella Fitzgerald et Billie Holiday. Pour Armstrong aussi et Mahalia Jackson. La pauvre Bessie est partie. Arrivent Maxine Sullivan et ce cher Fats Waller. Et puis Edythe Wright, Mildred Bailey, Ivie Anderson ou Helen Ward. Deux chanteurs inattendus à découvrir, Lionel Hampton et puis Duke Ellington. On trouve de tout dans cette somme, y compris des raretés.

CD 6 : Encore une grande variété de vocalists, en groupe (Andrew Sisters, Mills Brothers, Golden Gate, Slim Gaillard et Slam Stewart), en stars déjà (Ella, Billie, Jimmy Rushing de chez Basie), pour chanter des gospels (les chanteurs du Selah Jubilee) ou du blues ((Big Joe Turner). Une voix divine, celle de Marian Anderson, se fait entendre. Elle est noire et empêchée d’entrer par les bonnes âmes. Elle chantera à l’investiture de Kennedy, mais les gens respectables ne le savent pas encore. Il reste un long chemin à faire.

CD 7 : Blues (Big Bill Broonzy, Ida Cox), romances par Sinatra, Pha Terell, Helen Forrest ou Helen Humes. Et puis les grandes, Ella, Bille, Ethel Waters. Sans oublier, pour la déconnade, Fats Waller ; immense compositeur (Honeysuckle Rose) mais qui sait rigoler (Your Feet’s Too Big : T’as les pieds trop grands). La curiosité : une chanteuse, Martha Raye, sur « Body and Soul » qu’on confondrait avec Billie Holiday sans hésiter.

CD 8 : Du gospel par les Charioteers, sister Rosetta Tharpe ou le Golden Gate, du blues par Leadbelly, T-Bone, Big Joe Turner, Big Bill Broonzy ou Champion Jack Dupree. Et puis, Billie l’incontournable, Maxine Sullivan, Alberta Hunter, Jimmy Rushing Toujours accompagnés par des musiciens hors normes. Ne cherchez pas, ils y sont tous.

CD 9 : Il commence par la très belle Lena Horne, suivie d’un Sinatra chez Tommy Dorsey, Cab Calloway célébrant Jonah Jones aux côtés de Dizzy Gillespie, Bille Holiday, Una Mae Carlisle utilisant les mots nouveaux pour décrire son jules (« Blitzkrieg Baby ») et Ella Fitzgerald. Il continue avec des big bands, du blues (délicieuse Lil Green avec des musiciens de choc), des vedettes (Billie Holiday, Helen Forrest, Mildred Bailey, Ivie Anderson, et une nouvelle : Anita O’Day). Et aussi, des voix qu’on a bien eu tort d’oublier, servies par des musiciens magnifiques. La perle du CD : Art Tatum qui chante, peut-être après avoir bu autre chose que de l’eau.

LA SUITE APRÈS LA PUB

CD 10 : Encore des grandes voix, et d’autres moins brillantissimes. Ecoutez « Cow Cow Blues », un chant de cowboys en blues (y’a que des producteurs blancs pour inventer ça) chantés par Ella Mae Morse, puis par l’autre Ella, la grande. Il n’y a pas photo. Donc pour les grandes voix, toujours les mêmes, Ella, Billie, Anita O’Day, Helen Forrest, Lena Horne, Peggy Lee. Pour les compositions magnifiques Fats Waller, pour la présence sur scène Fred Astaire, pour le gospel sophistiqué le Golden Gate. Deux nouveaux arrivent en cette année 42, tournant de la guerre avec Stalingrad : Billy Ekstine et Louis Jordan. Chez le Duke, c’est Betty  Roché qui s’y colle. Et puis toutes les autres, avec des accompagnements de rêve ou pas, qui font le substrat musical d’une époque et qui l’éclairent.

CD 11 : Ambiguïté des Amériques : le charme séducteur de Nat King Cole fait des ravages avec « Embraceable You » et Lena Horne distille un « As Long As I Live », cependant que la vie des Noirs est toujours source du malheur et du blues. C’est ce que chantent Billie Holiday ou une nouvelle, Dinah Washington, ou sister Rosetta Tharpe. Ça sent la fin de la guerre, et la variété de qualité reprend ses droits. Louis Prima débarque ainsi que Peggy Lee, et Judy Garland. Accompagné par, entre autres, Gene Ammons, Dizzy Gillespie, Dexter Gordon et Art Blakey, Billy Ekstine is « Blowing the Blues Away », évidemment.

CD 12 : Ce CD de la fin, enfin, de la guerre a un esprit blues qui domine, comme toujours. La sophistication aussi. Et la déconne et la danse. Pour le premier, Ivory Joe Hunter, Rubberlegs Williams, Big Bill Broonzy ou T-Bone, pour la deuxième, la divine Sarah Vaughan (elle chante avec Charlie Parker et Dizzy), Joya Sherrill de chez Ellington, ou Ella Fitzgerald. Pour les troisièmes, Louis Jordan ou Woody Herman qui jouent tous deux « Caldonia » (moi, je préfère Jordan). Et Billy Ekstine. Et l’orchestre du Duke. Ça joue !

CD 13 : Toujours de grands orchestres (le Duke, bien sûr, et celui de son fils Mercer, mais aussi de Count Basie, de Gene Krupa, de Buddy Rich (qui chante). Pour des Carmen McRae, Al Hibbler, Anita O’Day, Billy Ekstine ou la tantine de George : Rosemary Clooney. Et puis Louis Armstrong, seul ou avec Ella, Bille Holiday, ce séducteur de Nat King Cole, ou cet entertainer de choc de Cab Calloway. Dinah Washington accompagnée par Charlie Mingus et Milt Jackson. Et bien sûr, madame Sarah Vaughan.

CD 14 : Une Ella guimauve, mais c’est Ella quand même. June Christy chez Stan Kenton, mais aussi Alice Roberts chez Dizzy, Kay Davis, Marion Cox ou Ray Nance à la voix presque féminine, chez le Duke. Côté gospels, c’est le véhément révérend Kelsey ou Mahalia Jackson qui s’y collent. Côté scats, Babs Gonzales ou Cab Calloway (« Hi-De-Ho »). Sarah Vaughan pour « September Song ». Et Billie Holiday, toujours, et toujours Louis Armstrong, Mildred Bailey, Ivie Anderson, ou Cleanhead Vinson le chauve, qui nous explique qu’il économise un dollar chaque fois qu’il passe devant le salon de coiffure. Ou un Paul Gayten qui joue les Memphis Slim.

CD 15 : Quelques versions historiques de chansons qui font date, « Lady Be Good » ou “How High the Moon” par Ella, « Down by the Riverside » par sister Rosetta Tharpe, “Amazing Grace » par Mahalia Jackson, « Making Whoopee » ou « Dream a Little of Me » par Nat King Cole, « One for My Baby » ou “All of Me” par Frank Sinatra ou un “Honeysuckle Rose” délirant par Roy Eldridge et Mel Tormé. Et puis les vocalists du Comte, du Duc, bref, toute l’aristocratie.

LA SUITE APRÈS LA PUB

CD 16 : C’est encore le Duke qui ouvre le CD, avec Kay Davis puis Al Hibbler sur deux thèmes bien sophistiqués. Sophistiqué aussi, le chanteur Kenny Hagood, mais pas son accompagnement (Milt Jackson et Thelonious Monk). Tout comme Sarah Vaughan sur « Black Coffee » ou Addie Williams. Pas sophistiqués du tout, en revanche, Nellie Lutcher, les voix acidulées de Blue Lu Barker ou de Rose Murphy, ou les voix blues de Memphis Slim, de Willie Dixon, de Big Joe Turner ou d’un petit nouveau qui promet, Ray Charles. La côte ouest débarque, avec l’orchestre de Woody Herman et les entertainers-scatteurs Sammy Davis Jr ou Babs Gonzales.

CD 17 : Le jazz nouveau s’invite avec Jackie Cain, de chez Charlie Ventura. Les petits nouveaux de ce CD sont Betty Carter, ou encore Fats Domino. Mais il y a toujours les monuments que sont Ella, Sarah Vaughan, Billie Holiday ou Louis Armstrong, ces deux derniers chantant ensemble. Sans oublier, chez Lionel Hampton, Sonny Parker. Marie Knight pour le gospel et puis, côté variétés jazzy, Judy Garland, Frank Sinatra. Et un titre de James Moody enregistré avec des jazzmen français, avec Annie Ross, des futurs Lambert-Hendricks-Ross.

CD 18 : Avec des Français, et en français, du moins Roy Eldridge le croit-il, « Une petite laitue », avec de la mayonnaise. Un autre qui croit parler français, c’est Louis Armstrong (« C’est si bon »). Louis, on l’a aussi avec Louis Jordan ou avec Bing Crosby. On a aussi une Ella magnifique, une Billie Holiday extraordinaire, une Anita O’Day ou une Dinah Washington de mieux en mieux, un Shelly Manne qui en fait des kilos, pour rire et un Hot Lips Page qui fait le diable. Pour le blues, il y a Charles Brown, ou Dorothy Ellis. Pour le gospel, sister Rosetta Tharpe ou les Angelic Singers et le chant en groupe est assuré par les sœurs Andrew. Pour le moderne, voyez King Pleasure, Blossom Dearie ou Eddie Jefferson.

CD 19 : Le bebop est là en plein avec Eddie Jefferson aussi bien sur de vieux standards (« Body and Soul ») que sur de nouveaux thèmes. Chez le Duke, Betty Roché ou Jimmy Grissom font du neuf, tout comme Chris Connor chez Stan Kenton ou bien Honi Gordon ou Janet Thurlow avec Mingus. Un monument d’impro avec Sarah Vaughan invitée par Dizzy. Billie Holiday est parfaite, Billy Ekstine est impérial. Nat King Cole est égal à lui-même. Babs Gonzales se lance à chanter du Charlie Parker et réussit. Un nouveau, Chet Baker, va faire frissonner les dames avec sa voix androgyne.

CD 20 : Chet Baker, avec « My Funny Valentine » ouvre ce CD juste après Ella dans « How High the Moon », c’est dire si on ne mégotte pas. Et ça continue comme ça, Ella encore, Sarah Vaughan, deux fois, Sinatra itou. Et June Christy, Chris Connor, Billie Holiday, Carmen McRae, Helen Merrill, ou Ray Charles dans “I Got a Woman”. Que des vedettes. Le nouvel arrivant est Joe Williams. King Pleasure pour l’audace et une plage vocale des Blue Stars, un groupe français qui va préfigurer les futurs Double Six.

CD 21 : Un vent souffle de la côte ouest : Mel Tormé, June Christy, et un nouveau groupe, les Four Freshmen. Mais également Louis Armstrong ou Ella qui enregistrent là-bas tout comme Anita O’Day ou Dinah Washington. Idem pour la « Sophiticasted Lady » Rosemary Clooney. Mais, à New York, Count Basie cogne toujours aussi fort, avec un Joe Williams fantastique. Jimmy Rushing nous donne deux airs, dont un « Rock and Roll » qui bien des rockers auraient dû écouter. Jon Hendricks, avec Lambert, mais pas encore avec Ross, nous donne un « Four Brothers » excellent. Carmen McRae, Ray Charles continuent sur leur lancée. Joe Turner est le bluesman du CD. Quant à la délurée Rose Murphy, elle rendrait leste la lecture du Bottin.

CD 22 : Billie Holiday sur trois titres et quels titres ! « Strange Fruit », « Lady Sings the Blues » et « Don’t Explain ». Ella Fitzgerald plusieurs fois avec Louis Armstrong ou chez Count Basie avec Joe Williams. Nat King Cole pour le charme comme Frank Sinatra ou Chet Baker. Louis Jordan et surtout Louis Prima pour les variétés haut de gamme, ainsi qu’un nouveau, Dean Martin. Ray Charles est bien installé dans la soul music.

CD 23 : Trois duos Armstrong-Ella ainsi qu’un Sarah Vaughan–Billy Ekstine. Deux Nat King Cole, deux Mel Tormé, et deux autres d’une nouvelle, mais pas n’importe laquelle : Nina Simone (« My Baby Just Cares » et « Porgy »). Lambert, Hendricks et Ross sont réunis. Mais Annie Ross s’en fait une petite à part (« How About You »). Et puis la superbe Lena Horne, Billie, bien sûr, Anita O’Day et Louis Armstrong termine le CD avec « Shadrack », prémices de son futur Good Book.

CD 24 : Dans le droit fil du précédent, Louis chante le « Nobody Knows » puis Mahalia Jackson en repasse une couche avec un Ellington très profond. Entre les deux, surprise du chef, pour détendre l’atmosphère, le « Blouse du dentiste » de Vian par Salvador. Pourquoi pas ? Après Helen Merrill et Bill Evans, retour des incontournables : Sarah, Ella, Anita O’Day, Carmen McRay ou Peggy Lee. Et Chet Baker, Nat King Cole, ou un nouveau, Mose Allisson, excellent pianiste. Toujours des thèmes superbes (« Fever », « Blue Skies », « Misty », chantant la peine, la joie, la vie, l’amour. Même la religion, parodiée par Babs Gonzales, sait se travestir en prétexte à danser.

CD 25 : Un certain relâchement pour la programmation de ce CD, avec, notamment, un hors sujet caractéristique en la personne de Dean Martin, chanteur de jazz sur « My Rifle My Poney and I » comme moi en sœur de St Vincent-de-Paul. Idem pour un Sinatra sucré, avec violonades, « Here ‘s That Rainy Day ». Dommage car le reste est du bon jazz bebop, avec Eddie Jefferson, jazz classique avec Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Blossom Dearie, Dinah Washington, ou Anita O’Day. Ou encore avec Sarah Vaughan sur « Doodlin’ », un véritable diamant. Le trio L.H.R est parfait, Cab Calloway infatigable et Ray Charles nous présente « What’d I Say ». Ne reste plus qu’à passer son bac.

Au total, cette compilation gigantesque, mis à part un léger fléchissement en fin de parcours, nous offre trente-deux heures et des brochetailles d’un jazz populaire, enraciné comme moyen d’expression d’un peuple qui avait des choses à dire, et qui trouvait dans la musique une façon de le faire. La musique, c’est avant tout du sentiment et le jazz est sans doute la plus grande nouveauté en musique expressive du siècle. Le livret, copieux, n’est pas exempt d’erreurs de journaliste qui n’a pas vérifié : par exemple, Valaida Snow n’est jamais allée en camp de concentration, mais plus prosaïquement en taule pour trafic de drogue et vol d’argenterie. Ou d’oublis : la table des matières finale arrête inexplicablement Louis Armstrong au troisième CD, alors qu’on l’entend encore jusque sur le 24ème. Mais ce sont des détails qui n’enlèvent rien à une magistrale compilation du jazz vocal qui devrait trouver place dans toute discothèque digne de ce nom. Un superbe cadeau de Noël pour pas cher.



Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser


PUBLICITÉ