CD : Quatuors N°2 "Lettres intimes" de Janáček & Quatuor N° 14 "La Jeune fille et la mort" de Schubert par Les Dissonances
Quatuor Les Dissonances
1 CD : Les Dissonances records : LD010 (distribution Harmonia Mundi)
Durée du CD : 66'
Notre avis : (5/5)
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Voici un couplage inédit. Qui fait sens pourtant. En particulier dans l'ordre où sont jouées les deux œuvres, tel que voulu par David Grimal et ses trois complices des Dissonances, qui signent là leur premier enregistrement de musique de chambre.
A un siècle d'intervalle, Schubert et Janáček partagent cette même vision d'une musique non formelle qui va à l'essentiel et ne se satisfait pas d'hédonisme sonore. David Grimal remarque combien ils "sont deux frères en souffrance", souffrance de mort chez l'un, souffrance d'amour chez l'autre. Le Deuxième quatuor de Janáček, est une confession, celle de l'ardente passion que nourrissait le vieux musicien pour sa seconde épouse Kamila Stösslová. "C'est une œuvre taillée dans la chair vivante" lui écrira-t-il au soir de la première audition, le 27 juin 1928. A l'aune de ces traits ardents ouvrant l'allegro initial qui développe bien des pages visionnaires. Tout l'art de Janáček est là : un langage calqué sur celui de la parole, ses mille inflexions, ses ruptures inattendues, ses moments d'exaltation comme de répit. Vivacité et tendresse vont alterner au long des quatre mouvements qui défient les lois du genre. Car il y a peu de différences ici entre eux si ce n'est, au moderato, une phrase cadre mélodique, ou la folle équipée qui caractérise l'allegro final où se télescopent une foison de thèmes et de rythmes. Une telle musique exige beaucoup de ses interprètes pour établir la cohérence au sein de cette marqueterie, de cet ensemble de bribes éphémères. Le Quatuor Les Dissonances, quatre musiciens d'élite, rompus au défi de l'inventivité et de la liberté d'approche qui animent le collectif « Les Dissonances », relèvent haut la main le gant : une vision d'une étonnante vie intérieure, techniquement hors pair, extrêmement pensée où l'âpreté du discours le cède à des coloris inouïs.
Sans doute dans le souvenir, ou le prolongement, du Lied "La jeune fille et la mort" composé en 1817, Schubert, sept ans plus tard, achève un nouveau quatuor qui portera le même sous-titre et partagera le même climat sombre. Au sortir du Janáček, le contraste pouvait s'avérer délicat. Point ici, car nos quatre mousquetaires en proposent une interprétation là aussi on ne peut plus vivante. Dès les premières notes, cette phrase en forme d'appel implacable, évoquant la terreur de la jeune fille, on sent passer comme un frisson qui ne se démentira pas dans cette agitation, fièvre même qu'est le premier mouvement. Les Dissonances donnent tout. Jusqu'à ces magnifiques couleurs automnales dont se pare la péroraison. L'andante con moto, page sublime s'il en est, exhale une prière en apparence sereine, crépusculaire en fait, avant que les cinq variations n'égrènent leur chapelet de bonheurs musicaux où perce le terrible drame. Le violon séraphique de Grimal est souverain, soutenu par celui de Hans Peter Hofmann, l'alto fruité de David Gaillard et le cello de Xavier Phillips. Le court scherzo possède un formidable élan et le presto final n'est qu'urgence, danse cauchemardesque. L'accélération à la fin du développement renchérit en dramatisme cette lutte de mort. On est subjugué par l'approche libérée de tout carcan, la rectitude instrumentale et son extraordinaire fouillé qui vont de pair avec la franchise de ton par laquelle est abordé le texte.
L'enregistrement, capté live à l'Opéra de Dijon en septembre 2015, offre une image très présente, intimiste, avec une excellente spatialisation des quatre voix.
texte de Jean-Pierre Robert
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