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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert : La symphonie The Age of Anxiety de Bernstein

Concert Bernstein Simon Rattle

Richard Strauss, Metamorphosen. Richard Wagner : Prélude et mort d'Isolde. Leonard Bernstein : Symphonie N°2 « The Age of Anxiety »
Kirill Gerstein, piano. London Symphony Orchestra, dir. Sir Simon Rattle
Concert à la Philharmonie de Paris, Salle Pierre Boulez, le 18 décembre 2017

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C'est à un programme peu conventionnel que nous ont conviés Simon Rattle et le LSO à la Philharmonie de Paris, dans le cadre d'un des concerts de la résidence parisienne de l'orchestre britannique. Réunir Richard Strauss, Wagner et Bernstein relève en effet de l'inédit. Pas de quoi décourager un public nombreux et fort réceptif. Mais plutôt faire reculer l'idée reçue selon laquelle il n'y a point de salut en dehors des œuvres archi connues.

C'est en 1945 que Richard Strauss voit créer ses Metamorphosen, dédiées au Collegium Musicum de Zürich et à leur chef Paul Sacher. Il avait commencé cette ''étude pour vingt trois cordes solistes'' au lendemain du bombardement de l'Opéra de Munich en 1943 et l'achève quasiment le jour de la destruction de l'Opéra de Vienne. La portée de l'œuvre va sans doute au-delà de sa signification immédiate, la dénonciation de la folie meurtrière nazie. Le titre de « Métamorphoses » renvoie aussi à une interrogation de Strauss sur l'Art, faisant sien l'axiome de Rameau « efface l'art par l'art même ». Car comme dans ses dernières œuvres vocales, celle-ci est un manifeste de musique pure. D'où le parti adopté d'économie sonore, presque paradoxale chez lui. Simon Rattle le comprend bien qui, l'entamant très lent et pianissimo, joue des deux leviers du tempo et de l'intensité sonore, au-delà de l'architecture de ce qui est un immense lamento. La polyphonie, une des plus travaillées de Strauss, continuellement changeante, fait entendre une sorte d'entrelacs raffinés basés sur une thématique elle-même réduite. Rattle fait chanter les cordes, qui au demeurant ne jouent à l'effectif complet que dans les tuttis, les parant d'un lyrisme incandescent ou assagi. Et avec celles du LSO, on savoure l'excellence. Faire suivre Prélude et Mort d'Isolde peut paraitre curieux. C'est le retour au grand orchestre symphonique, mais aussi à un autre drame fondamental. De l'Ouverture, on a rarement perçu si clairement combien elle anticipe ce moment crucial que sera le délire de Tristan au III ème acte, ses phases d'exaltation et de rémission. Rattle bâtit ce morceau comme un grand arc avec une habile accélération pour installer le feu dévorant d'un amour impossible et l'anxiété d'une mort qui seule peut l'accomplir. L'intensité croît au fil de ces pages sublimes par un savant dosage du rythme et de la mélodie. On le retrouve dans la « Mort d'Isolde », certes donnée ici sans la voix, mais combien expressive, proche de l'envoûtement sonore. Magistrale lecture qui en rappelle une autre, celle donnée avec le Philharmonique de Berlin, au Festival de Pâques 2016 de Baden-Baden, lors d'une exécution scénique de l'opéra.

La Deuxième Symphonie de Leonard Bernstein a été complétée en 1949 et créée par son dédicataire Serge Koussevitzky, avec le Boston Symphony Orchestra et  Bernstein au piano. Elle sera révisée en 1965 pour être donnée à New York sous la direction de l'auteur avec Philippe Entremont au piano. Cette « symphonie pour piano et orchestre » traite celui-ci non en soliste, mais plutôt comme primus inter pares dans le tissu orchestral. Elle est conçue sur un poème de l'anglais W. H. Auden, de1947 : un groupe de jeunes, trois hommes et une femme, se rencontrent dans un bar de New York et discutent des maux du monde et de leurs propres vies solitaires. Ce thème de l'isolement est décliné au fil de deux parties, elles-mêmes divisées en trois sections. Pour satisfaire à cette approche programmatique, Bernstein utilise un vaste orchestre et un instrumentarium recherché avec un large brelan de percussions, dont une caisse claire munie d'un timbre, le gong, le glockenspiel, et les blocs chinois. Il amalgame les styles. On décèle des influences à la fois de la musique européenne post romantique et des années vingt, et des musiques nord américaines, elles-même empruntées tant à des auteurs comme Ives ou Copland, qu'aux tunes de Broadway. Et on passe du jazz au sérialisme en un tournemain.

Cette partition riche, apparemment disparate, renferme bien des idées intéressantes. Elle fait se succéder une introduction lente, le « Prologue », presque chambriste, puis deux séries de variations très condensées, « Les sept âges », « Les sept stades », pages virtuoses, renfermant notamment une variation confiée au seul piano et une autre au piano accompagné de la petite harmonie. La seconde partie s'ouvre par un beau largo, « The Dirge » (le chant funèbre) - musique dont est issue le reste de la symphonie - confié d'abord aux cordes graves et menant à d'impressionnants climax. Suit « The Masque », sorte de scherzo, à l'écriture pianistique comme virevoltante, très rythmée, jazzy, avec même un système de répons entre le Steinway et un piano droit. Et enfin « The Epilogue », ouvert par la trompette bouchée, et qui referme un grand solo du piano, « ultime et explosive cadence » dira Bernstein, avant un finale grandiose, un brin grandiloquent. Rattle, qui décidément a bien l'intention de bousculer les us et coutumes d'un orchestre qui passe pourtant pour peu conservateur, mène tout cela avec un bel enthousiasme qui s'étend à ses musiciens londoniens. Le pianiste Kirill Gerstein, remplaçant au pied levé un Krystian Zimerman souffrant, se joue allègrement des traits les plus affolants accumulés par Bernstein. Franc succès public pour ce premier hommage d'anniversaire à l'américain iconoclaste !

Texte de Jean-Pierre Robert    

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