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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Pelléas et Mélisande dirigé par Simon Rattle

Pelleas et Melisande Sir Simon Rattle

Claude Debussy : Pelléas et Mélisande. Drame lyrique en cinq actes. Livret du compositeur d'après le drame éponyme de Maurice Maeterlinck. Magdalena Kožená, Christian Gerhaher, Gerald Finley, Franz-Josef Selig, Bernarda Fink, Joshua Bloom, Elias Mädler. London Symphony Chorus. London Symphony Orchestra, dir. Simon Rattle
3CDs (SACD) + 1CD Blu-ray LSOLive : LSO0790 (Distribution: PIAS)
Durée des CD : 62'10+76'19+27'17
Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte(5/5)

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Pelléas et Mélisande a toujours fasciné les grands chefs qui ont voulu en confier leur vision au disque. Hier, Désormière, Inghelbrecht, Ansermet. Plus près de nous, Karajan, Abbado, Haitink. Simon Rattle confesse une véritable passion pour le chef d'œuvre de Debussy qu'il a souvent fait sien à la scène, à Berlin, Salzburg ou Londres. Ces CD sont le fruit d'une captation de concerts donnés au Barbican de Londres en janvier 2016, peu après d'autres exécutions concertantes à la Philharmonie de Berlin, et dans les deux cas sur une mise en espace de Peter Sellars, le fidèle des grands projets du chef anglais. Cette magistrale interprétation tient compte de la lecture repensée du metteur en scène américain.

La première chose qui frappe cependant est l'exécution orchestrale. On sait que l'orchestre de Pelléas et Mélisande n'est pas spécialement discret et moins précautionneux des voix que celui de Wagner. Pourtant Debussy soulignait sa volonté de ne pas suivre « les errements du théâtre lyrique où la musique prédomine insolemment, où la poésie est reléguée et passe au second plan ». L'orchestration, en apparence plus ténue, est bien souvent généreuse et peut submerger les voix. Sans parler des interludes qui offrent à la symphonie tout loisir de s'exprimer, et aux allusions wagnériennes de prospérer de leurs harmonies troublantes, étonnamment proches de Parsifal. Cet immense poème musical, où alternent réalisme et onirisme, action et plages de réflexion, Rattle le révèle dans toute sa puissance, voire sa violence, l'assortissant d'extrêmes contrastes. Pas d'impressionnisme vaporeux. Au contraire, des climats presque burinés. Aux tempos lents, voire très lents (début de l'œuvre, interludes 1 et 2 du Ier acte), font écho des accélérations fulgurantes (scène de la fontaine du II ème acte, scène 2 de l'acte IV). Cette flexibilité confère à chaque scène son individualité tout en préservant le souci de continuité. La science des couleurs illumine le discours : les cordes graves et le basson (scène de la grotte), la montée par paliers de l'ombre glaçante vers une lumière aveuglante au sortir des souterrains, débouchant sur un extérieur libérateur des angoisses des tréfonds. Admirable encore la course haletante de la scène où Golaud fait espionner Mélisande et Pelléas par Yniold, jeu infernal entre ombre et lumière là encore, entre certitude recherchée et prosaïque incertitude des faits. On sait cette scène cruciale quasi impossible à réaliser correctement, au surplus compliquée par le choix de l'interprète d'Yniod, jeune garçon ou soprano féminin, dilemme entre parfaite intelligibilité du texte et impact du flot musical. Force est d'en passer par un compromis. Il est ici plutôt réussi, grâce une balance satisfaisante entre texte et symphonie. Le LSO, le plus ''français'' des orchestres londoniens, offre une sonorité gallique, claire et translucide, apte à traduite toute la richesse de la palette debussyste, au registre des bois en particulier.

La distribution, qui ne compte pas d'interprètes français, aligne un brelan de noms starisés. Relevant le défi, ils forment un ensemble parfaitement cohérent. Par l'intelligibilité textuelle car la diction est partout excellente. Par une immersion scrupuleuse dans une dramaturgie combien éloignée de l'intrigue opératique - la patte de Sellars y est sûrement pour quelque chose : pas de sollicitation du texte, ni d'affectation, ce qui dégage le discours de tout côté emprunté. Habituée d'un rôle qu'elle a, entre autres, interprété à Paris, Magdalena Kožená prête à Mélisande des accents d'une grande justesse de ton, que le timbre de mezzo soprano clair et une parfaite articulation rendent encore plus vrai. L'empathie est totale avec ce personnage clé de la pièce et de l'idéal poétique de Debussy. Un personnage qui s'exprime par le silence autant que par les paroles, et ici d'une consistance réelle, instinctif et empêtré dans ses propres contradictions. Le Golaud de Gerald Finley est de la même eau. Est-ce l'influence de la vision de Sellars, toujours est-il que le personnage prend une dimension plus humaine, sans pour autant renoncer à la dureté de l'homme sûr de son pouvoir. Moment de basculement, l'interrogation à l'endroit de Mélisande « Tiens, où est l'anneau que je t'avais donné ? » n'est pas si menaçante que souvent. Nous voilà loin de l'homme qu'on a souvent voulu réduire à un brutal jaloux, voire même à un fier-à-bras lors de la terrible scène où il en appelle Absalon. La voix de baryton est ductile et le registre aigu dégagé. Moins à l'aise, du moins au début, où une tendance au Sprechgesang marque ses premières interventions, le Pelléas de Christian Gerhaher s'affirme et se distingue par sa flexibilité. Le célèbre chanteur de Lieder allège sa voix à la hauteur du timbre de baryton Martin qu'il atteint sans effort, et la quinte aiguë de la scène de la fontaine au IV ème acte est assumée crânement. Outre un « Je t'aime » lancé à pleine voix et non murmuré.

Franz-Josef Selig lui aussi allège sa large voix de basse pour rencontrer la sonorité lumineuse du timbre de la basse française, tout sauf caverneux. Voilà un Arkel doté d'un beau legato et d'une quinte aiguë aisée au IV ème acte. Il ennoblit les dernières pages de l'opéra. De même Bernarda Fink est-elle une Geneviève émouvante dans sa simplicité, en particulier dans la lecture de la lettre, moment privilégié de diction debussyste, où l'on perçoit combien le musicien se place dans les pas de Rameau. La transparence, la discrétion de l'accompagnement orchestral est alors un modèle. Yniold est interprété par le jeune Elias Mädler dont la diction est idiomatique. Sans doute sa prestation semi-scénique était-elle vraisemblable. Au final, une version à placer auprès des meilleures de par son homogénéité.

La prise de son offre une image naturelle, avec une légère prédominance des voix, et des cordes aiguës un peu compactes dans le forte - mais là encore la responsabilité en revient peut-être plus au compositeur qu'aux ingénieurs du son ! La mise en espace est judicieuse qui donne l'illusion scénique et autorise une adroite spatialisation des protagonistes.

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Texte de Jean-Pierre Robert

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