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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : une version quasi intégrale de Don Carlos à l'Opéra de Lyon

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Giuseppe Verdi : Don Carlos. Opéra en cinq actes. Livret de Joseph Méry & Camille Du Locle d'après Friedrich von Schiller. Version parisienne en cinq actes de 1867

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Michele Pertusi (Philippe II), Sergey Romanovsky (Don Carlos), Stéphane Degout (Marquis de Posa), Roberto Scandiuzzi (Le Grand Inquisiteur), Patrick Bolleire (Un Moine), Sally Matthews (Elisabeth de Valois), Ève-Maud Hubeaux (La Princesse Eboli), Jeanne Mendoche (Thibault, page d'Elisabeth), Caroline Jestaedt (Une voix d'en haut), Yannick Berne (Le Comte de Lerme), Didier Roussel (un Héraut royal), Dominique Beneforti, Charles Saillofest, Antoine Saint-Espes, Paolo Stupenengo, Denis Boirayon, Thibault Gerentet (Députés flamands)
Orchestre, Chœurs et Studio de l'Opéra de Lyon, dir. Daniele Rustioni
Mise  en scène : Christophe Honoré

Opéra de Lyon, le 17 mars 2018. Et jusqu'au 6 avril 2018 https://www.opera-lyon.com

Donner la version française de Don Carlos dans une quasi intégralité, sur les pas de la production remarquée de l'Opéra de Paris en début de saison, tenait de la gageure. La comparaison ne tourne nullement au désavantage de la capitale des Gaules. Car voilà bien une représentation passionnante comme on en rêve ! Qui se paie le luxe même de restaurer le ballet de la reine « La Peregrina » et toute la substance de plusieurs duos raccourcis ou coupés par Verdi lors des remaniements successifs de l'œuvre. Cette production sacre le talent hors pair d'un jeune chef, Daniele Rustioni, chef permanent de l'Opéra de Lyon.

« Don Carlos est bel et bien un opéra du malheur ». Qui broie tous ses personnages. Ainsi le voit Christophe Honoré qui dans sa mise en scène joue l'épure et le souci de démythifier ce qui a souvent été vu comme une fresque historique prétexte à recherche de spectaculaire. Le choix de la version française de 1867 nous ramène au plus près de la vérité historique et permet de saisir les vraies implications. Là où la version italienne resserrée en quatre actes laisse pour acquis un certain nombre de présupposés, cette trame intégrale d'origine les explicite. Ainsi de l'acte dit ''de Fontainebleau'' qui voit Elisabeth de Valois accepter d'épouser Philippe II devant la supplication du peuple de France, alors qu'elle était promise à son fils l'infant Don Carlos. Ou plus tard, au IV eme acte, du triple et non pas seulement double aveu d'Eboli, d'amour pour l'infant, de trahison de la reine, mais aussi de sa liaison avec le roi lui-même. Fier, volontaire, passionné, le personnage en acquiert une épaisseur qui va bien au-delà de la séductrice éconduite et manipulatrice. Autre exemple, à ce même acte IV, où après la mort de Posa, surgit un effrayant dialogue de rejet entre fils et père, le piège se refermant sur Philippe II. D'une grande lisibilité, la régie insuffle vie, souvent de manière impressionnante, à cette tragédie du pouvoir.

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On ne cherchera pas de datation décorative. Non, Honoré veut se couler dans une certaine intemporalité de l'histoire et saisir avant tout des caractères. Car comme souvent chez Verdi, le grandiose côtoie le drame intime du choix entre amour et pouvoir. Celui de Carlos qui, anéanti par un espoir d'union si vite déçu, va se muer en rebelle au père. Il y a du Hamlet dans ce jeune homme épris de solitude. Mais à la différence du prince danois, une impulsivité viscérale le rend peut-être plus vulnérable. Celui de Philippe II surtout, en apparence solide dans sa passion d'absolu et ses inébranlables convictions, et malgré tout partagé, même si soucieux de ne pas déplaire au diktat religieux. Grâce à une direction d'acteurs serrée, sertie dans les éclairages spectraux de Dominique Bruguière, la mise en scène met à nu les terribles confrontations au cœur de cet opéra. Et jusque dans la scène de l'Autodafé qui, sur trois plans superposés, joue la monumentalité plus que la démonstration pompeuse, le statisme plus que le mouvement, enfermant ses personnages en de multiples cases dans des arrêts sur images écrasants : royauté et princes au milieu, moines et religieux en haut, foule bigarrée en bas ; le tout flanqué de quatre hérétiques suspendus dans le vide.

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L'aspect musical est plus remarquable encore. Et avant tout, la direction flamboyante de Daniele Rustioni. Rarement a-t-on entendu cette partition sonner avec des accents si naturellement verdiens, avec son panel de nuances inouïes, du fortissimo martelé aux effets caressés. Comme un Claudio Abbado naguère, pas mince compliment !  Qu'un Orchestre de l'Opéra de Lyon métamorphosé offre tour à tour enflammés et lustrés. Cette coulée orchestrale est bien le personnage pivot et guide les personnages. Ceux-ci, la distribution leur rend pleinement justice. Pas un cast starisé comme à Paris récemment, mais un ensemble brillant par son homogénéité. C'est que cet opéra de Verdi, plus que tout autre, réclame sept chanteurs de premier plan. Il faut saluer d'abord leur impeccable diction française et un souci de déclamation qui refuse l'emphase au profit d'un débit naturel. Certes, Michele Pertusi est un baryton-basse plus qu'une basse au ramage sonore éclatant. Mais son Philippe II impressionne, surtout lorsque torturé par les affres du choix. Les deux grands échanges, avec Posa puis face au Grand Inquisiteur, loin d'être des morceaux de bravoure, sont d'intenses moments de confrontation. L'incarnation que Stéphane Degout donne du marquis de Posa – une prise de rôle – est tout simplement captivante et vocalement hors pair de par une souveraine articulation au service d'une passion assumée. Qui culmine dans le monologue et l'air de la mort de Rodrigue, modèles de sincérité et de pudeur. Caractère bien trempé aussi dont la soutane dont est affublé le personnage dès le milieu de l'opéra, semble vouloir questionner la profonde droiture. L'espace d'instants d'empoignades pied à pied entre pouvoirs religieux et séculier, le Grand Inquisiteur de Roberto Scandiuzzi possède la hargne chevillée au corps, et le creux de la basse profonde que Pertusi peut lui envier alors. On ne saurait dénier au Carlos de Sergey Romanovsky la conviction du héros désespéré. La voix de ténor large et bien timbrée affronte sans dommage un rôle écrasant et souvent inconfortable dans ses éclats aigus. Un habile nuancier en pare les diverses facettes. Sally Matthews est une Élisabeth attachante. Si le choix n'est pas évident en terme d'italianità du soprano, le médium large et expressif la compense largement et l'investissement l'emporte vite sur la pure attractivité vocale. Ève-Maud Hubeaux - qui passe du personnage du Page d'Elisabeth à Paris à celui d'Eboli - est une révélation : un timbre de mezzo soprano éclatant, une ligne de chant magistralement conduite la voient aussi à l'aise dans la « Chanson sarrasine » dont elle varie les trilles avec une rare finesse qu'à l'heure de l'air final « O Don fatal » délivré avec panache. Où est maudite une beauté que la régie semble refuser au personnage en le confinant dans un fauteuil roulant. Last but not least, la prestation des Chœurs de l'Opéra de Lyon est d'une justesse de ton admirable, achevant une totale réussite. Le risque était immense. Ils l'ont fait !

Jean-Pierre Robert 

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