CD : « Enfers », un Requiem imaginaire sur des musiques de Rameau et de Gluck
Scènes d'opéra de Jean-Philippe Rameau (Hippolyte et Aricie, Zoroastre, Dardanus, Les Surprises de l'amour, Les Boréades) et de Christophe Willibald Gluck (Iphigénie en Tauride, Armide, Orphée et Eurydice)
Jean-Féry Rebel : « Chaos », extrait des Éléments
Stéphane Degout, baryton
Chœurs et orchestre Pygmalion, dir. Raphaël Pichon
Avec Emmanuelle de Negri, Stanislas de Barbeyrac, Renoud van Mechelen, Sylvie Brunet-Grupposo, Nicolas Courjal, Thomas Dolié, Mathias Vidal
1CD Harmonia Mundi : HMM 902288 (Distribution PIAS)
Durée du CD : 78'29
Note technique : (5/5)
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Raphaël Pichon aime les défis, en l'occurrence rien moins que la représentation des Enfers, thème cher à l'époque baroque, fascinée par la mort et l'outre-limite. Il nous immerge dans la reconstruction imaginaire d'une sorte de Messe pour la fin des temps. Une épopée funèbre unissant sacré – les diverses séquences d'un office des défunts - et profane puisque assemblant des extraits d'opéras de Rameau et de Gluck. Le canevas est fourni par les morceaux d'une Messe de Requiem, récemment découverte, d'un auteur anonyme du XVII ème écrite... sur des thèmes de l'opéra Castor et Pollux de Rameau ! Un montage d'airs, de chœurs et de morceaux instrumentaux aussi inédit que signifiant.
Il s'agit en réalité d'un opéra imaginaire calé sur le déroulé de la messe. L'argument dramaturgique met en scène un héros, « le tragédien » - évoluant au demeurant sur les pas du fameux Henri Larrivèe qui se produisit dans les grandes tragédies lyriques de Rameau et créa, entre autres, le rôle d'Oreste de l'Iphigénie en Tauride de Gluck. Les divers volets figurent le parcours du tragédien confronté aux affres des enfers : supplices, imploration à la clémence, horreur inspirée par le royaume des Ténèbres, adhésion aux rituels sabbatiques, perte annoncée, évocation de l'épouse et de la disparition du fils, mort sacrificielle avant l'ultime lumière salvatrice. A cette fin, il prend les habits successivement de la Vengeance (Zoroastre/ Rameau), d'Anténor (Dardanus/Rameau), d'Oreste (Iphigénie en Tauride/Gluck), d'Abramane (Zoroastre), et surtout de Thésée (Hippolyte et Aricie/Rameau). Les divers récitatifs et airs sont accompagnés par les séquences de la « Messe de Requiem sur de thèmes de Castor et Pollux », et de passages purement instrumentaux. Au fil de ces morceaux on mesure combien Rameau puis Gluck ont magistralement su porter les Enfers sur la scène d'opéra. Par des sonorités audacieuses et des trouvailles harmoniques singulières, quasi imitatives des tremblements d'effroi suscités par le royaume du Tartare. Quoique en termes de musiques infernales, la palme revienne à Rebel dans le « Chaos », tiré des Éléments. Mais aussi avec des harmonies plus apaisantes, comme celles du « Ballet des Ombres heureuses » d'Orphée et Eurydice. Les enchainements sont judicieux sur le plan dramatique et souvent d'une étonnante pertinence harmonique.
Raphaël Pichon se meut dans ce univers avec une indéniable aisance. Le sens de la tragédie transparait dans sa direction d'une énergie communicative, des tempos alertes, souvent plus que vifs (« Danses des Furies » de Gluck), ce qui génère une animation palpable. Mais aussi à travers toute la force poétique de ces musiques. Et par dessus tout par le soin apporté aux couleurs (le rôle déterminant des bassons). Son orchestre Pygmalion est le héros de l'entreprise. Dans le rôle du « tragédien », Stéphane Degout, qui signe là sa première prestation sous le label Harmonia Mundi, est aussi à l'aise dans la déclamation passionnée des récitatifs que dans la belle théâtralité des airs, grâce à une ligne de chant d'une magistrale tenue, couronnée d'aigus éclatants. Une composition d'anthologie. Il est soutenu par une pléiade de collègues rompus au style baroque dont la basse Nicolas Courjal, le ténor Renoud van Mechelen, la soprano Emmanuelle de Negri ou la mezzo contralto Sylvie Brunet-Grupposo. Et par les chœurs de Pygmalion, d'une singulière présence.
Au final, un bel objet original et ambitieux qui tient de l'essai musicologique, bien dans l'air du temps, privilégiant ce genre d'assemblage (on pense à « Une symphonie imaginaire » d'après Rameau conçue par Marc Minkowski). Mais qui ne manque pas d'attraits.
L'enregistrement effectué à l'église du Liban à Paris offre de fières perspectives sonores qu'une légère réverbération, en particulier sur les voix, contribue à rendre encore plus saisissantes.
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Jean-Pierre Robert
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