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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Représentation : L'Opéra des gueux ressuscité aux Bouffes du Nord, à Paris, le 2 mai

Opera des Geux The Beggars Bouffes du Nord ouverture

The Beggars' Opera de John Gay et Johann Christoph Pepusch, créé en 1728, appartient au genre du ''ballad opera'', à savoir une pièce satirique faite de textes parlés et d'airs chantés. On le connaît surtout par la célèbre adaptation qu'en firent Bertold Brecht et Kurt Weill en 1928 dans «L'Opéra de quat' sous». Il connut encore, entre autres, deux versions notoires : l'adaptation faite par Benjamin Britten en 1948, et le film de Peter Brook de 1953. Il est ressuscité maintenant par Robert Carsen, aidé du fidèle Ian Burton, et par William Christie pour la partie musicale. Le spectacle donné au théâtre des Bouffes du Nord à Paris, où Brook officia bien des années - joli clin d'œil - fera date en ce qu'il transforme l'opéra en un musical, ce dont il est en effet sans doute l'ancêtre.

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John Gay & Johann Christoph Pepusch : The Beggar's opera, Ballad opera
Nouvelle version de Ian Burton et Robert Carsen.
Conception musicale : William Christie
Robert Burt, Beverley Klein, Kate Batter, Benjamin Purkiss, Kraig Thornberg, Olivia Brereton, Emma Kate Nelson, Sean Lopeman, Gavin Wilkinson, Taite- Eliott Drew, Wayne Fitzsimmons, Dominic Owen, Natasha Leaver, Emily Dunn, Louise Dalton, Jocelyn Prah
Les Arts Florissants, direction musicale et clavecin : William Christie
Mise en scène : Robert Carsen

Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
Mercredi 2 mai 2018

Opera des Geux The Beggars Bouffes du Nord representation

Le parti, pour osé qu'il soit, trouve sa justification dans une œuvre qu'on peut qualifier d'ouverte, donc portée à l'adaptation, voire au pastiche. Alors surtout que basée sur la satire de l'époque, une Angleterre puritaine en pleine mutation. Car qu'en est-il ? L'Opéra des gueux met en scène les bas-fonds de la société londonienne du XVIIème siècle, en l'espèce toute une communauté de malfrats, voleurs et proxénètes évoluant autour de la fameuse prison de Newgate. Forts de répliques définitives : «Dans la vie, chacun arnaque son voisin», ou encore : «De tous les animaux de proie, seul l'homme vit en société. Chacun de nous fait de son voisin une proie ; et cependant nous nous rassemblons en troupeau».

L'ouvrage connut à l'époque un succès retentissant, à la mesure de la réaction populaire vis-à-vis des conventions et du côté élitiste véhiculés par l'opera seria, celui de Haendel en particulier. La primauté donnée au texte permettait un accès autrement plus direct, alors que les airs, eux-mêmes empruntés à des chansons connues, mettaient le spectacle en prise directe avec l'actualité. La présente production opère une sérieuse actualisation, pour essayer, selon Carsen, de «faire revivre l'atmosphère de transgression et d'inépuisable énergie qui anime l'œuvre originale». Sa régie ne fait pas dans la dentelle et c'est un tourbillon continu, depuis un départ sur les chapeaux de roue jusqu'au lieto fine, aussi endiablés l'un que l'autre. Dans un environnement d'empilement de cartons craft, évolue une troupe de chanteurs acteurs d'une prodigieuse vitalité, à l'occasion cascadeurs et danseurs virtuoses. Un ensemble d'une dizaine de musiciens leur tient compagnie sur le plateau, moins agités bien sûr, mais tout aussi grimés façon loubards : le contrebassiste est encapuchonné et porte des lunettes noires, et le claveciniste-chef d'orchestre sévit en «survêt» et pantalon de cuir ajusté. William Christie, qui avait déjà démontré ses talents de comédien lorsque dirigeant Hipermestra de Cavalli à Glyndebourne l'été dernier, est ici inénarrable. Le chef s'encanaille au contact de cette jeunesse bouillonnante ! Ce fait, si inattendu, paraît pourtant naturel. Tout le petit monde des vauriens menés par le chef de bande Macheath s'empoigne, et pas seulement physiquement, dans un accent cockney plus vrai que vrai.

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La direction d'acteurs est, comme toujours chez le metteur en scène canadien, d'une formidable acuité ; chaque mouvement, chaque attitude millimétrés, les confrontations participant d'une immédiateté accrue dans ce théâtre des Bouffes du Nord où n'existe plus de séparation entre scène et public. Les duos et ensembles sont aussi d'une étonnante vélocité, dignes du musical réglé à l'américaine. Les changements à vue, entrées et sorties par les deux allées sillonnant les spectateurs, et non en fond de scène, accentuent le sentiment de proximité.  

Opera des Gueux The Beggars Bouffes du Nord representation 2 

Si l'aspect parlé domine, les numéros chantés sont habilement amenés et font mouche, prolongeant la satire ambiante. L'instrumentation confiée à deux violons, alto, violoncelle, contrebasse, flûte (à bec ou traverso), hautbois, archiluth, clavecin et percussions, mêle l'original de la musique de Pepusch et son adaptation, sans que l'on sache où et comment, suprême habileté. On apprécie en tout cas la vivacité du trait dispensé par cette poignée de membres des Arts Florissants, dont quelques envoûtants solos de la flûte d'Anna Besson et l'accompagnement raffiné de l'archiluth de Thomas Dunford, sans parler du clavecin du maestro. On se délecte à l'écoute de tubes aussi ravageurs dans leur mordant qu'une scie musicale, à moins que ce ne soit de telle complainte puisée chez Bernstein. Toute aussi séduisante est l'étrangeté des chants qui pour les besoins de la cause, sont ainsi arrangés à la manière de la comédie musicale.

Finalement, il n'est pas de hiatus entre modernité visuelle et parfum ancien dispensé à l'oreille ! La distribution se défonce, chacun assumant son propre rôle et participant à la mise en place des divers tableaux. Certes, tout n'est pas toujours au dernier fait de la pure beauté vocale, voire de la justesse. Car on a privilégié le vrai plus que le raffinement vocal. Mais cela fonctionne et c'est là l'essentiel. On citera les deux égéries qui se partagent le cœur de Macheath, Kate Batter, Polly, et Olivia Brereton, Lucy, d'une ardente conviction, en particulier dans une scène de vraie-fausse embrassade aux sous-entendus morbides. Le couple des Peachum, Robert Burt et Beverley Klein, ont la gouaille chevillée au corps, elle surtout qui use d'un physique de vamp. Le Macheath de Benjamin Purkiss a la trempe du beau gosse conquérant, sûr de son pouvoir mâle, et il est bien le héros du show. Un spectacle qui n'a pas froid aux yeux, suivi quasi religieusement par un public de toute évidence vite conquis par un tel entrain communicatif et pareille singularité, qui au final laisse éclater une satisfaction débordante. Good news ! Cette production est promise à une vaste tournée en France et en Europe dans les deux ans à venir. 

Texte de Jean-Pierre Robert    

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