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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert classique : Andris Nelsons et le Gewandhausorchester Leipzig, Philharmonie de Paris, le 3 mai 2018

Andris Nelson Gewandhausorchester Leipzig Philharmonie Paris

Ce n'est pas tous les jours qu'il est donné d'entendre pareil festin orchestral à Paris ! L'Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, la plus vieille formation symphonique de la planète, y était de passage au cours d'une tournée européenne dans onze villes, la première sous la direction de son nouveau Kapellmeister, Andris Nelsons. Un poste de directeur musical où s'illustrèrent des noms célèbres tels que Felix Mendelssohn, Arthur Nikisch, Kurt Masur ou Riccardo Chailly. L'universalité de cet orchestre tient du prodige, quel que soit le répertoire abordé. Une identité sonore unique qui distingue cette phalange de ses homologues, fussent-ce les plus prestigieuses. 

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Thomas Larcher : Chiasma pour orchestre
Wolfgang Amadeus Mozart : Symphonie N° 40 K 550
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Symphonie N°6, op. 74 «Pathétique»
Gewandhausorchester Leipzig, direction : Andris Nelsons

Philharmonie de Paris
Salle Pierre Boulez
Le 3 mai 2018
 

Pour en juger : un programme associant deux symphonies des plus connues de Mozart et de Tchaïkovski. Ce qui peut paraître a priori convenu, s'avère une expérience rare tant leur exécution aura su renouveler l'écoute qu'on a de ces morceaux, à l'aune de souvenirs personnels. Mais en hors d'œuvre, Andris Nelsons avait choisi de faire découvrir une nouvelle composition de l'autrichien Thomas Larcher (*1963), dédiée à l'orchestre et à son chef et créée le 15 mars dernier à Leipzig. Chiasma pour orchestre est, selon son auteur, une «micro symphonie compressée», où l'espace d'environ dix minutes, est évoqué «un monde entier dans sa disparité, avec son intensité meurtrière, sa tendresse et sa beauté comme sa brutalité et sa futilité». Un effectif pléthorique permet en effet de saisir moult facettes contrastées, des climax enivrants à des passages d'une belle quiétude, et une fin apaisée. Le traitement orchestral s'y avère virtuose, avec percussions en nombre et même accordéon, dispensant d'intéressants motifs confrontés, développés et synthétisés. Au demeurant peu goûtés par un public de marbre. 

On croit tout connaître de l'avant-dernière symphonie de Mozart, cette fameuse Quarantième symphonie et ses thèmes qui tombent sous le sens. Or, devant la présente exécution, on se prend à redécouvrir plus d'un détail souvent enfoui dans la routine. Certes, Nelsons opte pour un effectif relativement fourni, mais cela ne frôle pas même le sentiment d'épaisseur. Les tempos sont contrastés, maintenant une nécessaire tension. Et quelle plastique d'exécution pour ce qui est des cordes d'un délié inouï, comme des vents d'un suprême raffinement. Le contrepoint est magistral comme les fins de phrases d'une réelle délicatesse. On aura admiré la fièvre contrôlée de l'Allegro initial, l'effusion de l'Andante qui sait aussi musarder, le charme vigoureux du Menuetto et son trio central d'une optimiste tendresse dans ses traits de clarinette, et un finale où se succèdent angoisse et élan vigoureux. Une interprétation dans la grande tradition symphonique, loin des chemins baroqueux, qui démontre l'art consommé avec lequel cet orchestre sait jouer Mozart. 

La Sixième Symphonie «Pathétique» op. 74 de Tchaïkovski est sans nul doute un formidable faire-valoir pour l'orchestre. On l'a tant entendue. Et pourtant, on se laisse surprendre ici encore, presque avec gourmandise, par l'extrême tenue de l'exécution et la charge émotionnelle qu'elle dégage. Le chef letton possède en lui cette musique aussi bien qu'un musicien russe. Il en a la vision, la démesure, tout autant qu'il en maitrise le sens des proportions, ce qui passe par une gestuelle désormais assagie, qui puise sa sève dans la formidable concentration de ses musiciens. Ce qui fut dénié à l'œuvre par un Paul Dukas, après la première exécution française en 1898, qui y voyait une «facture boursouflée» et fustigeait la «longueur redondante des développements» ; on en a depuis longtemps fait litière, comme du qualificatif de vulgarité un peu vite accolé à l'ultime partition symphonique de Tchaïkovski. Depuis le murmure étouffé des contrebasses, comme sortant du néant, jusqu'aux ultimes pages s'enfonçant dans ce même néant et la désespérance, l'exécution aura été d'une vibrante maestria.

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Qu'admirer ? La fièvre, les déflagrations sonores et soubresauts en tous genres du premier mouvement, dont se détachent les interventions de la clarinette. L'Allegro «con grazia» du deuxième, curieuse valse à cinq temps, où rien n'est appuyé. L'élan de l'Allegro molto vivace, pseudo scherzo dont ici le mordant renforce le côté frénétique, ce que la section médiane corse d'une vraie-fausse gaité, presque caricaturale en telle occurrence, jusqu'aux clameurs ultimes de tout un orchestre incandescent, combien maitrisé, qui laisse bouche bée. L'«Adagio lamentoso» final qui s'enfoncera dans un tragique exacerbé, les interventions des violoncelles exhalant du centre de l'orchestre une déchirante plainte. On saisit alors combien la disposition des pupitres des cordes - cellos à côté des violons I, altos jouxtant les violons II, basses à l'extrême gauche du spectre - apporte de sens à la recherche d'une spatialisation de la sonorité grave.
La fabuleuse patine d'un orchestre d'exception procure un sentiment de plénitude, qui sourd aussi bien dans la petite harmonie, les cuivres sans raideur et les cordes d'une extrême flexibilité jusqu'au brelan des huit contrebasses d'une rare expressivité. Aux saluts finaux, le chef reste comme en retrait, s'effaçant derrière ses troupes. Elles lui auront permis tout simplement de rendre cette exécution mémorable. 

Texte de Jean-Pierre Robert      



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