Skip to main content
PUBLICITÉ
  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Au festival d'Aix-en-Provence, Didon et Enée en terres migratoires

Didon et Enee Festival Aix 1
© Vincent Pontet

  • Henry Purcell : Dido and Æneas, opéra en un prologue et trois actes. Livret de Nahum Tate. Nouveau prologue écrit par Maylis de Kerangal
  • Anaïk Morel, Tobias Lee Greenhalgh, Sophia Burgos, Lucile Richardot, Rachel Redmond, Fleur Barron, Majdouline Zerari, Peter Kirk
  • Prologue dit et chanté par Rokia Traoré, accompagné par Mamah Diabaté-N'Goni
  • Chœur et orchestre de l'Ensemble Pygmalion, dir. Václav Luks
  • Mise en scène : Vincent Huguet
  • Théâtre de l'Archevêché, 12 juillet 2018

L'unique opéra d'Henry Purcell nous est parvenu incomplet et notamment sans son prologue, perdu. Ouvrant la voie à toutes sortes de spéculations. La signification de l'œuvre, vraisemblablement créée dans un pensionnat de jeunes filles à Chelsea en 1689, en demeure brouillée. Pour étoffer une soirée bien maigre du fait d'un opéra ultra concis, la nouvelle production du Festival d'Aix-en-Provence introduit un prologue en français réécrit par l'écrivaine Maylis de Kerangal. Ce qui confère au spectacle une tonalité singulière.

LA SUITE APRÈS LA PUB

Plutôt qu'un hommage aux souverains régnants, comme il est de tradition dans tout prologue d'opéra baroque, le nouveau schéma offre une clé de lecture inédite : l'histoire des origines de la reine Didon qui fuyant la ville de Tyr, fait étape à Chypre où elle capture des femmes censées assurer la descendance de son peuple dans la future cité de Carthage, et l'installation de cette colonie dans une terre étrangère sont contées par une récitante, sorte de pythie antique. En inscrivant la destinée de Didon dans un parcours plus vaste et celui d'une migration, la dramaturgie déplace les données de la pièce. Elle la centre délibérément sur le personnage de la reine dont le profil est résolument peu flatteur. Ces mots lourds de sens dans la bouche de cette pythie : « La haine que je voue à Didon ne s'est jamais éteinte » n'annoncent-ils pas la fameuse invocation de la Magicienne à l'acte II, «  The Queen of Carthage, whom we hate ».

Didon et Enee Festival Aix 2 
© Vincent Pontet

Passée cette entrée en matière, la mise en scène de Vincent Huguet, ancien assistant de Patrice Chéreau, notamment pour son inoubliable Elektra en ce même festival, est finalement assez sage. Car outre ce long prologue hiératique, dit et chanté par une narratrice-chanteuse noire accompagnée du seul Oud, les diverses péripéties de l'opéra proprement dit vont se révéler bien placides. À son crédit, le traitement du chœur, une communauté hybride et versatile à l'image des pulsions d'un peuple d'exilés. Reste que le parti pris de la décoration qui dresse un long mur de pierre en travers de la scène déjà bien large de la cour de l'Archevêché, et accrochant mal la lumière, freine souvent l'inspiration : le reine et ses suivantes évoluant en haut, le peuple en contrebas, et à la fin, par un renversement de situation, la mort de la reine au pied de la muraille tandis que le peuple psalmodie sa désolation au-dessus. La caractérisation des personnages est peu détaillée, en particulier celui d'Énée, figure certes irrésolue et anti héros, ici quelque peu transparent. Quelques traits rehaussent le propos. Comme la fameuse scène des sorcières dont l'apparition de la Magicienne du haut d'une sorte d'esquif, actionné par la pythie du début, apporte un regain de tension lors de ses véhémentes imprécations, plus en phase avec Shakespeare qu'avec Virgile. Ladite pythie repend du service plus avant puisque c'est elle qui donnera à Didon la fiole de poison que celle-ci boit avec presque délectation : suicide assisté ? Et contemple figée les derniers instants de la reine dont elle enveloppe le corps inerte de son propre manteau. Ultime étape qui ne manque pas d'impact tragique. Si le dernier chœur, comme s'éteignant par degré, laisse une belle impression, ainsi que l'ont fait plusieurs beaux groupements antérieurement, où l'on sent la fréquentation de Chéreau, ils ne suffisent pas à donner vie à une régie minimaliste qui ne tient que par son idée de départ et est mieux illustrée dans le prologue qu'ailleurs.

Didon et Enee Festival Aix 3
© Vincent Pontet

Musicalement, le bonheur vient d'abord de la fosse. Car l'Ensemble Pygmalion distille des sonorités subtiles et diaphanes sous la baguette inspirée du jeune Václav Luks, spécialiste tchèque du baroque. La battue est nerveuse mais jamais heurtée et les sonorités sont envoûtantes. Les chœurs de l'Ensemble ravissent presque la vedette à leurs confrères et consœurs musiciens par leur précision et la qualité des intonations. Anaïk Morel, lauréate du concours Reine Elisabeth en 2011, prête à Didon des accents magistraux de son timbre bien sonore qui s'impose dès le premier air. Et du lamento final émane une belle intensité. De son timbre avantageux de mezzo contralto, Lucile Richardot campe une sorcière de poids et son intervention effrayante au son des « Appear, appear » confère alors quelque adrénaline à la représentation. Mais aussi bien l'Énée de Tobias Lee Greenhalgh, peu investi et dont la voix se projette mal, que la Belinda de Sophia Burgos, elle aussi d'une trop grande discrétion, ne parviennent pas à se hisser au niveau censé être celui du grand festival lyrique français. On saluera la prestation de l'actrice Rokia Traoré dans le prologue, diction feutrée, chant ensorcelant, comme ses interventions marquantes dans le cours de l'opéra. Une soirée décidément toute en demi-teintes.

LA SUITE APRÈS LA PUB

Texte de Jean-Pierre Robert 



Autres articles sur ON-mag ou le Web pouvant vous intéresser


PUBLICITÉ