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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Festival de Salzbourg : Cecilia Bartoli enflamme L'Italienne à Alger

Festival Salzbourg CeciliaBartoli 1
© SF/Monika Rittershaus

  • Gioachino Rossini : L'Italiana in Algeri. Dramma giocoso en deux actes. Libretto de Angelo Anelli
  • Cecilia Bartoli, Ildar Abdrazakov, Edgardo Rocha, Alessandro Corbelli, José Coca Loza, Rebeca Olvera, Rosa Bove
  • Philharmonia Chor Wien
  • Ensemble Matheus, dir. : Jean-Christophe Spinozi
  • Mise en scène : Moshe Leiser, Patrice Caurier
  • Haus für Mozart, 14 août 2018, 15 h 

Initiée au Festival de Pentecôte en mai dernier, cette production de L'Italienne à Alger a été conçue par et pour Cecilia Bartoli, pour commémorer le 150ème anniversaire de la mort de Rossini. Directrice artistique de ce festival, la célèbre cantatrice a voulu se mesurer pour la première fois sur scène à ce nouveau rôle du répertoire rossinien dont elle a déjà à son actif ceux de Rosina du Barbier de Séville, de La Cenerentola et de Desdemona dans Otello. Pour ce nouveau défi, elle a réuni une équipe qui a déjà fait ses preuves à Salzbourg comme à L'Opernhaus de Zürich et au Théâtre des Champs Elysées : le tandem Leiser et Caurier à la régie et le chef Spinozi à la baguette. Un moment de fun assurément !

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Premier chef-d'œuvre bouffe de Rossini, L'Italiana in Algeri dispense une verve inépuisable, mine pour le chef d'orchestre comme pour le metteur en scène. Quoi de plus réjouissant en effet que cette historie du Bey Mustafà qui lassé de son épouse Elvira, se verrait bien flatté d'en trouver une autre plus divertissante, une italienne par exemple, qu'il charge son sbire Haly de lui dénicher. Ladite, qui est amoureuse de Lindoro, l'esclave italien captif du Bey, n'entend pas s'en voir conter de la sorte, et même pas par son fidèle suivant Taddeo. Elle use et abusera de ses charmes comme de sa verve capricieuse pour savamment berner le bouffon Mustafà. Au plus fort de la machination ourdie par la belle et son amoureux, qu'elle a bien sûr retrouvé, l'aspirant mari obsédé sexuel est intronisé ''Pappatacci'', au fil d'une cérémonie aussi grotesque que destinée à endormir ses soupçons, tandis que les deux amoureux embarquent sur la goélette de la liberté pour fuir l'enfer nord africain. Au fil de cette action au ressort souvent mince mais bien ficelée, on aura croisé des airs magnifiques et des ensembles réjouissants comme le finale du Ier acte, modèle du genre délirant, où tout semble se dérégler alentour dans la tête et les mouvements des divers protagonistes. On aura vu se confronter deux civilisations, l'occidentale et l'orientale, et deux immenses égos : le machiste Mustafà, dont l'arrogance frôle la démesure, et la rebelle Isabella, femme émancipée prête à en découdre avec le sexe dit fort et faire tourner les hommes en bourriques. Cette constellation de personnages typés et de situations cocasses a de quoi fertiliser l'imagination du metteur en scène. Et même de deux ! Les acolytes Moshe Leiser et Patrice Caurier, qui n'en sont pas à leur première aventure en terrain bouffe, vont faire fonctionner sans répit cette délirante machine, dont le moteur est selon eux le désir, au sens érotique du terme. Avec quelques trouvailles : l'appel du muezzin durant l'Ouverture pour d'emblée situer l'action au-delà de la Méditerranée, un décor haut en couleurs (Christian Fenouillat) représentant le bled, l'intérieur du harem aux accessoires criards, le Yacht blanc qui emportera les italiens vers la liberté, etc. Et aussi quelques tics habituels de leur vocabulaire, comme le fait d'instaurer Mustafà en chef de contrebande de produits de luxe, genre matériel Hi-Fi, et Haly son dévoué exécutant des basses œuvres.

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© SF/Ruth Walz

Les images sont souvent amusantes. Ainsi de l'entrée d'Isabella juchée sur un chameau, façon touriste interloquée de pareil environnement, et de son empressé acolyte Taddeo, chemisette et culotte courte, affairé à se frayer un chemin céans. Ou encore de l'entreprise en règle de séduction du Bey par la belle qui dans son bain, s'emploie à éveiller l'avidité sexuelle du bonhomme auquel elle a déjà lancé quelque lingerie féminine. Ou encore de l'air d'Haly sur la ruse des femmes italiennes, doublé à l'écran par l'image d'Anita Ekberg dans la Fontaine de Trévi, du film culte La dolce vita de Fellini. Autre cliché filmique : les adieux du couple enfin réuni à la fin de l'opéra, Isabella et Lindoro en figure de proue du navire, façon Titanic. Certains traits sont plus appuyés, virant à la franche caricature. Comme l'intronisation de Mustafà en Pappatacci, l'impétrant complétement ridiculisé dans son accoutrement ou plutôt l'absence de celui-ci, en caleçon, flanqué d'un couvre chef en plume. Paradoxalement, les ensembles, pour bien réglés qu'ils soient, ne délivrent pas suffisamment leur charge d'irrésistible comique, comme la stretta finale de Ier acte qui conclut l'ensemble concertato, de sa succession d'onomatopées et de modulations bizarres. Elle devrait fonctionner dans une simplicité hypnotique, de par son irrépressible principe d'ostinato mécanique, mais semble ici comme bridée à force de recherche de nuances excessives. Si le réalisme grotesque exige une large dose d'exagération, voire de pure charge, encore faut-il que celles-ci déchaînent spontanément le rire par une sorte d'intoxication collective 

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© SF/Ruth Walz

La cause est à rechercher dans un orchestre qui apparaît comme sous-dimensionné. L'Ensemble Matheus produit un son volontairement fluet qui dans l'acoustique pourtant flatteuse de la salle de la Haus für Mozart, est loin de saturer l'atmosphère. Alors surtout que Jean-Christophe Spinozi cherche à surjouer les pianissimos et les ralentissements, au risque de rapetisser encore le résultat sonore. Et de provoquer des accidents, dans les cors naturels en particulier. Cette ténuité prive le spectacle de son ressort dynamique à bien des endroits, et pas seulement dans les deux finales. Heureusement, le chapitre chant est mieux loti. Cecilia Bartoli aborde avec Isabella ce qui est un rôle de contralto, avec le même souci de flexibilité et d'agilità que pour les autres parties de tessiture plus ''légère'', comme Rosina ou Cenerentola, quoique tout autant bardé de coloratures périlleuses. Le personnage est vécu à la fois comme énergique, presque passionnaria, comme dans l'air du II «Pensa alla patria», et doucement ironique lorsque se moquant de Mustafà («Oh ! che muso !»). Loin de l'égérie capricieuse, voilà une femme d'expérience, émancipée, qui se révèle entretenir une sorte de complicité avec Elvira, l'épouse délaissée de Mustafà. Celui-ci, Ildar Abdrazakov, lui donne ses lettres de noblesse. Passer en si peu de temps de Philippe II (Opéra Bastille), puis de Boris Godounov (même lieu) à cette figure buffa tient du tour de force : la large voix de basse se plie au raffinement rossinien, là encore avec une retenue et sans doute un refus de l'excès naturel que peut imprimer au rôle un chanteur italien - comme un Ruggero Raimondi -, et l'abattage ne souffre pas question. Le Lindoro d'Edgardo Rocha distille la coloratura du «tenore contraltino», c'est-à dire-nanti des plus extrêmes volutes dans l'aigu, avec précision et aplomb, et le Haly de José Coca Loza est fort habile. Reste qu'Alessandro Corbelli, de son immense métier, offre avec Taddeo le meilleur du style rossinien, aux côtés de Bartoli : vitalité du chant italien, rapidité du débit. Le Chœur Philharmonia de Vienne fait de l'excellent travail. Au final, un spectacle qui ne convainc pas totalement. Et que pourtant le public semble plébisciter de ses frénétiques applaudissements aux saluts, au point de claquer des mains en cadence lors de la reprise de l'ultime ritournelle. 

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Texte de Jean-Pierre Robert 



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