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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert : A la Philharmonie de Paris, Daniel Barenboim et la Staatskapelle de Berlin magnifient Debussy

Orchestre Staatskapelle Berlin

  • Claude Debussy : Images. Prélude à l'Après-midi d'un faune. La Mer.
  • Staatskapelle Berlin, dir. Daniel Barenboim
  • Philharmonie de Paris, Grande salle Pierre Boulez, le 5 septembre 2018 

En cette année anniversaire de Claude Debussy, il est piquant de constater que c'est à un orchestre étranger, la Staastkapelle de Berlin, que l'on doit un concert événement. D'abord, parce qu'entièrement consacré à des œuvres du musicien français. Ensuite, eu égard à la direction originale mais pas moins passionnante de Daniel Barenboim et à la qualité d'une phalange qu'il a amenée à se mesurer aux plus grandes, pas seulement berlinoises. Étaient associées, dans un ordre inversement chronologique, trois pièces symphoniques majeures : Images pour orchestre, Prélude à l'Après-midi d'un faune et La Mer. Inscrit dans le cadre de la première Biennale Pierre Boulez, ce programme ne manquait pas de constituer un vibrant hommage du chef argentin à son collègue et ami français.

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Peu souvent donné dans son intégralité, le triptyque Images (1909-1911), marque une avancée significative chez Debussy vers des harmonies plus complexes, dénotant, comme le souligne Boulez, une « manière inédite de ''créer'' le développement ». Les trois volets sont d'inégales proportions, la partie centrale « Iberia », étant elle-même subdivisée en trois morceaux. Barenboim a choisi de les jouer dans un ordre différent de celui habituellement retenu, plaçant le dernier volet « Rondes de printemps » en deuxième position, ce qui tout compte fait fonctionne plutôt bien, eu égard à une progression du plus ténu au plus expansif. On admire dans « Gigues » une orchestration extrêmement dépouillée et une ligne mélodique aisée. Car cette pièce est un peu « une peinture d'âme », comme l'a décrit André Caplet. La plainte indolente du hautbois d'amour qui en trace le thème principal, laisse place à des traits plus grimaçants. Cette vignette emprunte à l'Écosse. Barenboim en tresse les volutes avec délicatesse. « Rondes de printemps », par contraste, affirme ici toute sa modernité. C'est à la France et à la chanson populaire « Nous n'irons plus au bois » que le morceau fait allusion. Un thème moult fois repris sous des formes diverses, parfois peu perceptibles tant le travail orchestral est savant, dans une rythmique très diversifiée et une palette sonore d'une richesse inouïe, par la combinaison de timbres rares, voire le surgissement de dissonances, et le bruissement de tout un orchestre en fête. Et surtout cet art du développement créateur souligné par Boulez. Puis vient « Iberia » et son éclat solaire. C'est bien sûr à l'Espagne que ce panneau se réfère. Une Espagne imaginée, plus vraie que vraie, exactitude qui provoqua l'admiration d'un Manuel de Falla. Barenboim et son fabuleux orchestre en magnifient les contours : lignes nettes de ''Par les rues et par les chemins'', force suggestive des ''Parfums de la nuit'', joué ici très retenu, laissant au hautbois toute sa sensualité, outre l'évocation des senteurs d'une Andalousie torride. Enfin éclat de « Matin d'un jour de fête », après cette fabuleuse transition entre nuit finissante et point du jour, avec son appel de cloches, provoquant un enchaînement d'une troublante ambiguïté. L'atmosphère étouffante se dissout peu à peu dans une lumière chatoyante.

Daniel Barenboim

Première page orchestrale majeure de Debussy, Prélude à l'Après-midi d'un faune (1894) est prise par Barenboim à un tempo de nouveau très mesuré. Sans que cette lenteur nuise au pouvoir évocateur de la flûte solo lascive, d'une douce expressivité. On admire ici encore un jeu orchestral d'un raffinement extrême, pour une sonorité toute gallique associée à la rigueur germanique. L'art du développement est déjà à l'œuvre, obtenu par une fragmentation des pupitres des cordes, une souplesse qui caresse le thème initial de multiples façons, pareil mais toujours différent, et installe une atmosphère envoûtante. La Mer reçoit une exécution pareillement marquée par un souci de raffinement. Mais aussi par des contrastes marqués. Influences wagnériennes inavouées ? Ces ''trois esquisses symphoniques'', le chef les façonne de grandiose manière. Où la rudesse côtoie l'ineffable : netteté du trait, à l'image d'un Boulez, fluidité du discours, oppositions dynamiques creusées. Le premier volet, « De l'aube à midi sur la mer » est pourvu d'un début lent et mystérieux jusqu'à une éclosion de lumière. L'entrée des violoncelles sera jaillissante. La coda, abordée très lente, se transforme vite en une lame de fond jusqu'à l'écrasement sonore. L'esquisse centrale « Jeux de vagues » affirme sa modernité, successions de visions éphémères, se concluant en rafales d'une belle frénésie. La dernière partie « Dialogue du vent et de la mer », introduite par quelque climat menaçant rappelant la scène de la grotte de Pelléas et Mélisande, ne se prive pas de furieuses accélérations ou d'ensorcelants ralentissements, de luxuriants fortissimos lors des éclatantes fanfares de cuivres, ou d'impalpables pppp de tout un orchestre soudain superbement assagi. Et tout s'achève dans une tumultueuse, quasi cataclysmique péroraison. Certes, le choix de tempos très différentiés est large, comme toujours chez Barenboim, en particulier sur le versant lent. Mais qu'importe, dès lors que la vision est cohérente. Et que la plastique sonore est si immédiatement saisissante. Car ses merveilleux musiciens berlinois le suivent sur ce chemin de confiance. Quels que soient les pupitres, le fini sonore enthousiasme : bois expressifs, cordes d'une infinie douceur, cuivres clairs, percussions subtiles, à même de distiller au plus près les riches harmonies et d'établir cette atmosphère si spécifiquement française. La fréquentation habituelle du répertoire d'opéra apporte, nul doute ici, ce ''supplément cantabile'' si heureux !

Texte de Jean-Pierre Robert

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