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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert : Magistrale conclusion de la Première Biennale Pierre Boulez à la Philharmonie de Paris

Biennale Pierre Boulez 1

  • Anton Webern : Quatuor op. 28
  • Robert Schumann : Quintette pour piano et cordes en mi bémol majeur op. 44
  • Pierre Boulez : Incises. sur Incises
  • Michael Barenboim, Yamen Saadi, violons, Yulia Deyneka, alto, Sennu Laine, violoncelle. Daniel Barenboim, piano (Schumann).
  • Michel Wendeberg, piano (Incises)
  • Denis Kozhukhin, Karim Said, Michael Wendeberg, pianos, Aline Khouri, Susanne Kabalan, Stephen Fitzpatrick, harpes, Lev Loftus, Pedro Torrejón Gonzáles, Dominic Oelze, percussions (sur Incises)
  • Boulez Ensemble, dir. Daniel Barenboim
  • Philharmonie de Paris, 8 septembre 2018, 15 h

C'est à l'initiative conjointe de Laurent Bayle, directeur de la Philharmonie de Paris, et de Daniel Barenboim, en sa fonction de directeur du Boulez Ensemble, qu'a été lancée la Première Biennale Pierre Boulez, aventure conjointe entre la Philharmonie parisienne et la Pierre Boulez Saal de Berlin. Pour entendre l'œuvre du maître français, aller à la découverte des compositeurs qu'il a défendus, mais aussi jeter un regard sur l'avenir. Cet avant-dernier concert d'une semaine événement rassemblait Webern, Schumann et bien sûr Boulez. Car l’une des caractéristiques du Boulez Ensemble, fondé en 2015, est de par sa composition à géométrie variable, d'associer œuvres du répertoire classique et romantique, comme ouvrages du XXème siècle et contemporains. Cette diversité de styles autorise un dialogue artistique enrichissant comme il revêt une fonction didactique, l'un et l'autre chers à Boulez et à Barenboim. Le présent concert en est une parfaite illustration, qui aura révélé des interprètes d'exception dans des répertoires bien différents.

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Il s'ouvrait par le Quatuor op. 28 d'Anton Webern, son dernier, écrit en 1937-1938. Dépouillement extrême, nudité presque, signalent une œuvre d'une exceptionnelle concision : trois brefs mouvements pour une durée totale de quelques huit minutes ! Un langage aussi abstrait que concentré dans l'expression comme dans la technique compositionnelle, basé sur la série et trois groupes de quatre notes : la célèbre notation B-A-C-H, elle-même transposée (3ème groupe), après avoir connu son renversement transposé (2ème groupe). Tout autant distinctif est le souci d'homogénéiser les timbres dans des bribes de phrases et de créer des combinaisons constamment renouvelées. Le quatuor formé par Michael Barenboim et Yamen Saadi (violons), Yulia Deyneka (alto), et Sennu Laine (violoncelle), affirme une rare maîtrise de cette étonnante épure.

Grand saut dans le passé avec le Quintette pour piano et cordes de Schumann. Dédié à Clara, cet opus 44 voit le jour en 1842, associant le quatuor à cordes au piano, si cher au musicien. Le rôle de ce dernier est essentiel dans une partition de facture presque concertante. Au fil de ses quatre parties, l'inspiration thématique, qui emprunte à la forme cyclique, ne se tarit pas. Il reçoit par Daniel Barenboim et le quatuor mené par son fils Michael une exécution dans la grande tradition romantique. L''allegro brillante'' est pris à un tempo retenu et progresse à l'aise au cours des métamorphoses de son thème initial. Le deuxième mouvement, ''dans un mode de marche'', où l'on a vu quelque souvenir de la symphonie « Héroïque » de Beethoven, révèle de sombres contrées, à l'expression soulignée ici. À l'épisode ''un poco largamente'', on remarque le rôle de l'alto, magnifié par la sonorité chaude et ample de l'altiste Yulia Deyneka. Le placement du violoncelle à côté du Ier violon contribue d'ailleurs à une intéressante fusion du registre grave. Tout comme se détache la partie de second violon, celui-ci étant placé à droite, en face du violon I. Deux passages en trio apportent un saisissant contraste, dont le second très agité. Tout comme l'est le scherzo nanti ici d'une énergie débordante qu'entrecoupe ses deux trios, le premier très lyrique avec ralentissements marqués, le second fort allègre, avant la reprise quasi victorieuse. Qui ne manque jamais de déchaîner les applaudissements de l'auditoire. Le finale est en soi un univers dans son écriture étincelante qui transcende les canons, une « chevauchée sur des sables mouvants », selon Brigitte François-Sappey. Tout cela culmine dans une double fugue, magistralement façonnée par les cinq interprètes.

Biennale Pierre Boulez 2

La seconde partie était consacrée à la pièce sur Incises de Boulez. Prenant le micro, Daniel Barenboim souligne combien le maître était amoureux de la complexité. Et rappelle que l'œuvre (1998) est issue d'une pièce pour piano, Incises, créée en 1994. La nouvelle apparaissant non pas comme une transposition mais une transformation de la première. Et pour donner une idée de cette filiation, il propose au public de lui faire entendre cette mouture d'origine. Belle surprise que cet ajout au programme ! Marque de générosité et preuve du souci didactique qui aminait tant Boulez lui-même. La magistrale exécution du pianiste Michael Wendeberg montre combien cette composition dévoile un visage singulier de l'instrument, au-delà même du percussif : figures sonores contrastées, notes répétées comme assénées. Sur Incises offre une distribution instrumentale originale : trois pianos, trois harpes et trois percussions-claviers. Un triple trio d'instruments résonants ayant pour finalité non seulement d'enrichir la pièce pour piano d'origine, mais encore d'en renforcer les profondes résonances. Ce dernier aspect est central dans le travail de Boulez comme l'est la recherche d'un perpétuel approfondissement de l'idée première. Toute œuvre étant chez lui un ''work in progress''. Le morceau dépasse de loin en durée celle d'Incises, puisqu'elle avoisine les 40 minutes pour la douzaine de cette dernière. Il est constitué de deux parties enchaînées en un flux ininterrompu. La première se réfère au matériau d'origine, sans jamais le citer expressément, dans une sorte d'enrichissement, dont ses cascades de groupes de notes et d'accords répétés vigoureusement en saccades. La seconde, encore plus abstraite, part d'éléments de la pièce d'origine pour en tirer de nouvelles perspectives. Les jeux de résonance sont de plus en plus travaillés dans un camaïeu très différencié, sombre ou éclatant, fortissimo ou presque évanescent, et un sens de la continuité très boulézien. On décèle à l'occasion, quelque réminiscence des séries d'accords amplifiés tant favorisés par Olivier Messiaen.

Ce festin sonore d'une singulière force trouve ici exécution à sa mesure : tout son pouvoir hypnotique et son impact émotionnel, sans parler d'une maîtrise instrumentale hors pair, sous la direction toute d'acuité de Barenboim, décidément très éclectique dans ses interprétations. On ne saurait trop louer la formidable maîtrise des six musiciens du Boulez Ensemble ici réunis, issus des rangs de la Staatskapelle Berlin et du West-Eastern Divan Orchestra. L'acoustique ''ouverte'' de la bien nommée Grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris procure un écrin quasi idéal en termes de spatialisation sonore. D'une parfaite concentration, le public laisse éclater une joie revigorante au final de ce parcours ascétique. Quel meilleur hommage au maître français pour cette biennale !

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Texte de Jean-Pierre Robert



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