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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Bertrand Chamayou joue Saint-Saëns... magistralement !

Bertrand Chamayou Saint Saens

  • Camille Saint-Saëns : Concertos pour piano et orchestre N° 2, op. 22 & N°5, op. 103, « L'Égyptien »
  • Études op. 52, N° 2 & N° 6. Mazurka op. 66 N° 3. Allegro appassionato, op. 70. Valse nonchalante op. 110. Études op. 111 n° 2 & N° 4
  • Bertrand Chamayou, piano
  • Orchestre National de France, dir. Emmanuel Krivine
  • 1 CD Erato : 0190295631261 (Distribution : Warner Music)
  • Durée du CD : 77 min 52 s 
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

Ce disque pourrait bien être un manifeste : il faut réhabiliter Saint-Saëns ! Un compositeur injustement négligé, taxé d'être ancré dans la tradition et de tourner le dos à la modernité. Analyse que conteste Bertrand Chamayou. Qui fort de l'admiration portée au musicien par un Liszt et un Ravel, affirme que Saint-Saëns est le maillon essentiel entre les deux. Derrière un aspect a priori très policé se cache une musique d'une « étonnante profondeur » et « d'un charme étrange et envoûtant, presque vénéneux » qui n'a peut-être pas besoin d'être résolument novatrice pour être tenue à sa juste place. Cela, le pianiste français le démontre dans un programme centré sur des compositions pour un instrument que leur auteur pratiquait à la perfection, et nourri de deux de ses concertos et de quelques pièces solo, toutes jouées magistralement.

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Le Concerto pour piano N°2, op. 22, de 1868, écrit à la demande d'Anton Rubinstein, ne manque pas de traits innovants. À commencer par la grande cadence, « cathédrale » selon Chamayou, qui ouvre son premier mouvement, dans un style presque improvisé. N'y perçoit-on pas l'organiste réputé qu'était aussi Saint-Saëns ? Le sens dramatique dont est empreint cet andante sostenuto paie son tribut au romantisme, mais ne manque pas d'inspiration dans la narration. Suivent dans un saisissant contraste, deux mouvements rapides. Un allegro scherzando, d'une belle vivacité, un brin fantastique, dans les pas d'un scherzo de Mendelssohn, où les roucoulades du piano s'enroulent dans un orchestre d'une légèreté immatérielle. Chamayou y apporte un zest plus que convaincant, comme il en est encore du 2ème thème et de son amusante façon de clopiner. Le finale presto est une tarentelle démoniaque avec de sarcastiques enroulements des cordes et un discours très ouvragé du soliste empli de cascades de trilles. À la transparence du jeu de Chamayou fait écho l'accompagnement tout de clarté prodigué par Emmanuel Krivine et ses forces du National, rappelant au passage l'inventivité d'une orchestration qui laisse à l'orchestre son indépendance et assure à la pièce un incoercible allant. 

Près de trente ans plus tard, au Caire en 1896, Saint-Saëns écrit son Cinquième concerto de piano, sous-titré « L'Égyptien », aux parfums orientalisants. Un thème très en vogue à l'époque, mais traité bien réel ici puisque traduisant des impressions de voyage, et non pas réimaginé comme bien de ses collègues l'ont fait de l'Espagne. Alors que l'œuvre adopte le schéma habituel rapide-lent-rapide au long de ses trois mouvements, l'approche demeure singulière. Ainsi l'allegro animato prend de nouveau un caractère d'improvisation et d'une fantaisie toute rhapsodique. La structure extrêmement travaillée est bardée de fréquents changements d'indications offrant d'intéressantes oppositions de climats et de singuliers mélanges de timbres. Le rôle assigné au piano est plus impressionnant encore, qui dialogue souvent avec les bois. « Un collage orientalo-hispano-chinois », remarque Chamayou. Qui en fait au demeurant ses délices. L'andante proclame « une sorte de chant de sirène », une vraie mélodie nubienne semble-t-il. L'arabesque est joliment dessinée et se pare d'effets irisés, annonçant les impressionnistes. Ce que souligne le jeu translucide du pianiste. D'habiles combinaisons soliste-orchestre enrichissent un morceau envoûtant, en particulier au 2ème thème plus sensuel, extrêmement chantant, à l'orchestre d'abord puis au piano. La dernière partie, nocturne, réaffirme l'évocation d'un Orient éloigné du cliché de l'exotisme de pacotille. Le molto allegro final renoue, certes, avec l'aspect collage du premier mouvement, mais en plus brillant, fier presque. Le traitement de son thème principal est digne d'un grand concerto romantique, empli de tensions, mais ouvragé avec une élégance toute gallique et un sens du flux peu résistible dans la vision de Chamayou et de ses partenaires de l'Orchestre National. 

L'autre intérêt du CD est de présenter un bouquet de pièces pour piano solo, bien peu connues mais superbement écrites par le compositeur-pianiste. Elles sont un nécessaire complément aux deux concertos. Ces courtes pièces isolées ou groupes de miniatures, sans doute réservées aux salons parisiens, sont loin d'être fades. Elles empruntent aux genres divers que sont l'étude, la mazurka ou la valse. Ainsi des Études op 52, dont la N° 2 est une douce rêverie malgré un titre didactique rébarbatif « Pour l'indépendance des doigts », et la N°6 « En forme de valse » qui s'avère hyper virtuose dans ses grands emportements lisztiens. Dans la Mazurka op. 66 N°3, on perçoit volontiers une note mélancolique. L'Allegro appassionato op. 70 est une grande page aux multiples reflets irisés comme à la stupéfiante vélocité. Des deux Études op.111, la N° 1 « Tierces majeures et mineures » est plus qu'un simple exercice, un bref morceau charmeur de par son thème souplement accompagné à la main droite. La 4ème « Les cloches de Las Palmas » est plus ambitieuse et offre des sonorités curieusement debussystes. Chamayou conclut ce florilège par la Valse nonchalante op. 110 : la reine des danses trouve une élégance combien française sous ses doigts enchanteurs. Tout dans la manière de Chamayou se défie de la virtuosité pure. La technique requise est transcendée par un naturel que soutiennent une souple vélocité du trait, une extrême fluidité du jeu, et surtout une vraie luminosité à travers tout le spectre sonore. Qui placent toutes ces pièces, concertos compris, dans une orbite plus pré-impressionniste que romantique attardée. Un régal ! Faux débat, alors, que l'opposition académisme-modernité. Plutôt « le charme secret de la musique de Saint-Saëns », comme le dit et le démontre à l'envi Chamayou. Et pari réussi : voilà bien le soldat Saint-Saëns sauvé ! 

L'enregistrement à Radio France est un modèle d'équilibre dans la balance soliste-orchestre et de clarté dans l'agencement des plans pour ce qui est des concertos. Les pièces solo reçoivent pareil traitement : un piano à la sonorité claire et immédiate dans une perspective naturelle. 

Texte de Jean-Pierre Robert

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Disponible sur Amazon en CD et vinyle



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