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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Sombres rivages : Orphée et Eurydice à l'Opéra Comique

Orphee et Eurydice Champs Elysees
© Stefan Brion

  • Christoph Willibald Gluck : Orphée et Eurydice
  • Opéra en quatre actes. Livret français de Pierre-Louis Moline. Version remaniée par Hector Berlioz (1859)
  • Marianne Crebassa, Hélène Guilmette, Lea Desandre
  • Chœur et orchestre : Ensemble Pygmalion, dir. Raphaël Pichon
  • Mise en scène : Aurélien Bory
  • Dramaturgie : Taïcyr Fadel
  • Décors : Aurélien Bory et Pierre Dequivre
  • Costumes : Manuela Agnesini
  • Lumières : Arno Veyrat
  • Opéra Comique, Paris, le 14 octobre 2018 à 15H. Et jusqu'au 24 octobre
    www.opera-comique.com

Le chef-d'œuvre de Gluck a de la chance ces temps sur les scènes parisiennes, car après la version viennoise en italien, donnée au Théâtre des Champs-Elysées au printemps, voici que l'Opéra Comique en présente la version française. Et singulièrement la seconde, remaniée par Hector Berlioz en 1859. Elle fut inspirée à l'auteur de la Symphonie Fantastique par la cantatrice Pauline Viardot qui tenait à incarner ce rôle emblématique entre tous. Il retouchera ainsi la partition, essentiellement pour l'adapter à cette tessiture féminine particulière, bien différente de celles du castrat de la version d'origine ou du ténor de celle parisienne de 1774. La présente production livre une vision on ne peut plus sombre, enfoncée dans le noir tragique aussi bien musicalement que dans sa traduction scénique.

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Orphee et Eurydice Champs Elysees 1
© Stefan Brion

Chef d'orchestre et régisseur s'accordent sur le fait que le resserrement de l'action d'Orphée et Eurydice, comme dans une tragédie antique, exigeait de ne pas dévier de l'axe tragique de l'action. Une première conséquence, musicale, est ainsi de substituer à l'Ouverture habituelle, considérée comme pompeuse et trop flamboyante, et partant, anecdotique en pareille occurrence, une autre pièce plus ''dans le ton'', empruntée à Gluck et son ballet Don Juan ou le festin de pierre. Un larghetto, qui sonne un peu court, dont le seul mérite est d'enchaîner harmoniquement avec la première intervention du chœur. Pour rester dans la même veine, le dénouement est également changé : le lieto fine est abandonné, car selon Raphaël Pichon, il est difficile d'« accepter qu'Amour touché par la douleur d'Orphée, ressuscite Eurydice d'un coup de baguette magique », convention qui « trahit le mythe », et « totale aberration dramaturgique ». On placera ici une réplique du premier chœur funèbre. Belle audace ! Alors que cette convention, qui se ressent certes des circonstances festives de la création en 1762, est consubstantielle à l'œuvre. D'autres productions l'ont compris et tout en conservant la ''fin heureuse'', se sont attachées à préserver également à ce stade le climat tragique qui enveloppe l'opéra. Cette volonté de ne pas s'écarter du tragique induit une direction aux accents souvent soulignés, aux cuivres par exemple, presque stridents, ou aux percussions copieusement sollicitées jusqu'à la presque dissonance. Et surtout creusant de larges écarts dynamiques, en prisant des passages forte volontairement appuyés qui sonnent robustes dans l'acoustique feutrée de la salle Favart. Une sonorité préromantique qu'assume le chef. Et que son orchestre Pygmalion enlumine par une palette brillante et grâce à une cohésion enviable, du frémissement impalpable au jeu en tremblement, comme on le rencontre dans la musique de Rameau. Un ensemble dont on admire les solistes, en particulier la flûte qui de son magistral et poignant solo, ouvre l'acte III.

Le même dessein de ne rien éluder du tragique se ressent dans la manière dont Raphaël Pichon fait chanter chœurs et solistes. Chez ces derniers en particulier, la prosodie paraît empreinte du soin de souligner les accents pour un maximum d'expressivité. Ainsi du personnage d'Orphée dont le hiératisme des attitudes se traduit par un chant d'un ambitus très large, ne se privant pas de forte généreux. Marianne Crebassa y fait montre d'une souveraine maîtrise grâce à un timbre chaud de mezzo virant au contralto. La ligne de chant reste immaculée sur toute l'étendue du registre, même dans les passages délicats accompagnés par un orchestre réduit ou lors des interventions quasi a capella en début de phrase. L'incarnation a fière allure, émue, déchirante à l'heure du choix cornélien et du regard qui tue. Son Eurydice, qui se voit réserver dans cette version une portion congrue, trouve en Hélène Guilmette un soprano délicat et une émouvante composition. Amour est campé avec aplomb vocal et scénique par Lea Desandre, ôtant au personnage ce qu'il peut avoir de factice. Son air du Ier acte est pure merveille de chant, épuré mais non désincarné.

Orphee et Eurydice Champs Elysees 2
© Pierre Grosbois 

Au final de l'opéra, on voit Amour se détacher du chœur des Pasteurs et des Nymphes pour demeurer seul et contempler le gâchis d'une vie perdue et d'une autre tourmentée à jamais. Concession à l'abandon du lieto fine ? L'autre conséquence du parti tragique adopté, mais plus en situation en l'espèce, est le caractère résolument sombre de la mise en scène. Sans recourir à la réécriture ou vouloir raconter une histoire réarrangée, comme souvent, le regard d'Aurélien Bory se porte sur l'essence du drame et l'isolement dans lequel évolue Orphée. D'où le postulat de garder le plateau nu de toute référence décorative. Là où Carsen concevait un espace ouvert et une sorte d'infini, Bory opte pour un univers confiné dont se détache seulement une réplique de la toile de Corot, représentant « Orphée ramenant Eurydice des Enfers ». Toile qui posée au sol, va se projeter sur la hauteur du fond de scène par un système réflecteur. La régie atteint ici son idée fondamentale : par le truchement d'un miroir en plan incliné, réfléchir l'action se déroulant sur le plateau en l'offrant simultanément à la vue du spectateur dans un second plan, vertical. Procédé inspiré d'un dispositif optique inventé au XIXème, celui du Pepper's Ghost, du nom de son inventeur, permettant par une glace sans tain de créer l'illusion pour démultiplier les espaces et figurer ainsi les trois dimensions. En l'occurrence un film est tendu sur toute la hauteur et la largeur du cadre de scène. Sa fonction soit réfléchissante, soit agissant par transparence, selon les inclinaisons du ''miroir'', permet de refléter le plateau comme la fosse d'orchestre et même la salle et ses spectateurs. 

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Orphee et Eurydice Champs Elysees 3
© Pierre Grosbois  

De fait, il autorise d'intéressantes images, comme par exemple, aux Enfers, les chœurs des larves et furies lovées en cercle au sol, se mirant simultanément au-dessus en une sorte de rosace effrayante. D'où l'on voit Orphée littéralement happé par elles alors qu'il progresse rampant au sol en leur sein. Ou, plus tôt, Amour dont la silhouette est portée d'arrière en avant par les choristes, ce qui par superposition d'images, donne l'illusion qu'il semble se hisser de plus en plus haut vers les cintres, et le ciel. Effet pareillement réussi lorsque le miroir s'inverse, à la fin du spectacle, pour découvrir la salle. Et nul doute, sceller le triomphe du mythe de la musique et du chant que véhicule avant tout cet opéra. Tout cela reste dans le registre sombre, jusqu'au noir le plus total à la fin du IIème acte et le début du suivant. Le tableau des Champs-Elysées ne donne lieu qu'à un frêle réchauffement de lumière, sorte de figure d'aurore boréale. Il n'y a aura pas de ballet, mais seuls des mouvements assignés aux choristes, pour de belles circonvolutions. En cohérence avec une vision qui cherche à retrouver la magie de l'appareil théâtral.

Texte de Jean-Pierre Robert



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