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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : La Fiancée vendue à l’Opéra de Munich ou l'humour au premier degré

La Fiancee vendue Munich 1
©Wilfried Hösl

  • Bedřich Smetana : La Fiancée vendue. Opéra comique en trois actes. Libretto de Karel Sabina
  • Traduction allemande : Max Kalbeck
  • Oliver Zwarg (Kruschina), Helena Zubanovitch (Kathinka), Selene Zanetti (Marenka/Marie), Pavol Breslik (Jenik/Hans), Günther Groissböck (Kecal), Kristof Klorek (Micha), Irmgrd Vilsmaier (Agnes), Wolfgang Abliger-Sperrhacke (Vasek/Wenzel), Ulrich Ress (Le directeur dune troupe itinérante), Anna El-Khashem (Esmeralda), Ogulcan Yilmaz (Muff)
  • Chor der Bayerisches Staatsoper
  • Bayerisches Staatsorchester, dir. Tomáš Hanus
  • Mise en scène : David Bösch
  • Patrick Bannwart : décors
  • Falko Herold : costumes
  • Michael Bauer : lumières
  • Dramaturgie : Reiner Karlitschek, Lukas Leipfinger
  • Bayerische Staatsoper, Nationaltheater Munich, le 22 décembre 2018 à 18H
  • Et jusquau 6 janvier 2019, & les 19, 22 juillet 2019
    www.staatsoper.de

L'Opéra de Munich présente une nouvelle production de La Fiancée vendue. Le chef-d'œuvre de Smetana dont le succès repose sur une trame simple, un sujet tiré de l’imagerie populaire, et surtout sur ses fameuses danses tchèques, se voit gratifier d’une mise en scène naturaliste en diable, flattant un humour au premier degré. La direction musicale du chef tchèque Tomáš Hanus est un gage certain de fidélité à l'idiome d'une pièce plus qu'attachante.

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L'opéra comique La Fiancée vendue que Bedřich Smetana termine en 1866, sur un libretto de son compatriote Karel Sabina, narre un fait divers pittoresque. Dans un village tchèque, la belle Marenka (Marie) s’est prise d’amour pour le jeune et beau Jenik (Hans). Mais ses parents veulent la marier au fils de Tobias, famille plus aisée, selon une promesse faite auparavant, et ce au grand dam de Marie. Le marieur Kecal conclut l'affaire : l'union se fera avec Vasek (Wenzel), le fils du couple. Il s'avère que celui-ci est bègue et disgracieux. Ce que la jeune fille tire à son avantage pour l'informer du mauvais caractère de sa future, d'où la panique du garçon. Kecal propose un marché à Jenik : céder sa bien-aimée au fils de Tobias contre 300 florins. Après quelques péripéties où l'on voit le pauvre Wenzel ridiculisé en ours dans un cirque, le dénouement voit le couple Marenka-Jenik réunifié. Car celui-ci est bien (aussi) le fils de Tobias. Tout finit comme dans un conte de fée. On aura croisé des personnages bien typés, comme celui du marieur roublard, et été sous le charme d'une musique alerte, chaleureuse, de veine typiquement tchèque, adornée par des danses on ne peut plus sémillantes. La création de l'opéra marquait le triomphe de la veine nationaliste contre le germanisme ambiant. Chose cocasse, car l'œuvre connaît depuis lors un beau succès international, en particulier en Allemagne. La présente production est d'ailleurs donnée dans une traduction en allemand.

La Fiancee vendue Munich 2
©Wilfried Hösl - Marenka (S. Zanetti) & Jenik (P. Breslik)

Et c'est un metteur en scène allemand, David Bösch qui est ici à l'œuvre. Pour donner de cette histoire une vision souvent au premier degré, d'un humour frôlant le vulgaire. La Fiancée vendue, avec sa fête au village et ce mariage retardé jusqu'au happy end, est une sorte d'Elisir d'amore tchèque. Opéra par lequel Bösch a d'ailleurs signé sa première collaboration avec le Bayerische Staatsoper. Hasard ou coïncidence, le parti décoratif qui voit le village représenté en un amoncellement de bottes de foin sur les pentes desquelles tout un chacun grimpe et dégringole, ressemble à s'y méprendre au décor imaginé par Laurent Pelly pour sa mise en scène de… l'Elisir d'amore à l'Opéra Bastille ! Mais ce qui chez ce dernier est source d'humour malicieux, prend chez son confrère une tournure sarcastique, pour ne pas dire grotesque. Car ce décor est l'écrin de gags en tous genres, dont le surgissement d'un tracteur XXL bien rouge et sa cargaison de purin, ou l'arrivée inopinée d'une vieille bagnole déglinguée pour introduire les fastes d'un cirque décidément bien parodique au dernier acte, sans parler d'un cochon (!) bien vivant, prénommé Willi, accompagnant Wenzel. Kecal est un homme d'affaires sans scrupule, hâbleur, affairé avec son portable, et offrant au spectateur tous les trucs du confort moderne. Les fiancés sont typés simplement, elle pas si naïve et qui ne se laisse pas faire, lui sans arrière-pensées, dont le regard sur la famille et l'amour est encore limité. Les deux couples de parents sont bien distingués, la différence de statut social soulignée par la tournure vestimentaire, la paysanne en fichu pour Kathinka, la dame envisonnée et chaussures de luxe pour sa consoeur plus fortunée. Le simplet Wenzel est caricaturé en pauvre gars empêtré dans son bégaiement et ses manières primaires, avec la pointe de tragique qui sied à un garçon peu favorisé par la nature mais prêt à prendre tous les risques qu'autorise sa naïveté. Le bavard Kecal à l'ego surdimensionné, un brin manipulateur, est surtout homme d'affaires à quoi rien ne saurait résister. La régie souligne le trait, parfois grossièrement : le final du Ier acte est plus un 'mess' avec loubards obligés, qu'une chaude fête villageoise, et celui du II renchérit en caricature appuyée, voire sous la ceinture. Certes, le mouvement des chœurs donne lieu à une visualisation recherchée, au flanc de la montagne de foin, ou sur l'appareil pentu acheminant l'herbe, transformé en piste sur laquelle surfent plus d'un personnage. Cela peut donner l'impression de ne pas se prendre au sérieux. Et pourtant Bösch sait où il va, dénonçant avec cet opéra de Smetana la société capitaliste et tutti quanti.

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©Wilfried Hösl - Kecal (G. Groissböck)

Reste qu'il évacue les danses qui pourtant « sont une partie de l'action », comme le relève Hanus dans une courte introduction faite à la Bayerische Rundfunk, précédant la retransmission en direct sur les ondes de cette Première. Elles sont réduites au Ier acte à quelque gimmick de Regietheater, à un déballage grotesque par les chœurs au II, et à des entrechats de la danseuse Esmeralda au III, qui se livre au demeurant à un numéro d'équilibriste sur un fil d'acier. On sent le metteur en scène enserré dans son décor, le conduisant pour donner le change, à multiplier les gags. Ainsi de la machine à Barbe à papa, ou in fine, du retour du tracteur qu'auront enfourché les deux héros désormais bien mariés, ou encore du marieur aspergé de foin, signant là sa déconfiture. Tout cela est divertissant, certes, n'était le hic d'une certaine vulgarité affichée, façon coup de poing sur le chapeau du brave bourgeois munichois. Mais pareille vision a cours depuis des lustres, en particulier à Bayreuth, depuis même un certain Wieland Wagner. 

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La Fiancee vendue Munich 4
©Wilfried Hösl - Vasek (W. Ablinger-Sperrhacke)

Tomáš Hanus dont on ne peut contester l'empathie avec l'idiome tchèque et cette musique singulièrement, offre une direction enlevée et colorée. Au point de presque la brusquer, comme il en est dans l'Ouverture, énergétique et on ne peut plus incisive, les groupes d'instruments bien détachés. Les danses ne sont pas moins burinées : la polka en particulier de sa rythmique brillante, ponctuée de percussions, adornant le finale du IIème acte comme un tableau musical vivant de Bohème. Le furiant dans ce même acte est nursé par le coulant des cordes qu'éclairent des cuivres pétaradant. Et la fameuse ''sauteuse'' du IIIème, se fera très vive, jusqu'au galop. L'esprit festif est là surtout, et c'est ce qui importe avant tout. La distribution est homogène. Pavol Breslik prête à Jenik/Hans une jolie voix de ténor lyrique et une jeunesse pleine de naïveté, mais aussi de réflexion sur son sort. Sa Marenka/Marie, Selene Zanetti, qui débute dans le rôle semble-t-il à la onzième heure, est d'abord précautionneuse et sans doute pétrie du trac généré par une première. La voix s'enhardit et la composition prend de l'assurance au fil de la soirée pour atteindre une belle plénitude dans l'air du dernier acte. Malgré un physique ingrat, adroitement exploité par Bösch, elle offre une belle composition. Les deux couples de parents sont bien distribués, dont se détache le Kruschina de Oliver Zwarg. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke campe un Vasek/Wenzel intéressant, pathétique, tragique presque. Sa voix de ténor dit de composition est idéale ici, lui qui se plaît dans de tels rôles comme la sorcière de Hansel et Gretel. Bien sûr, la composante poétique du personnage est reléguée au second plan, du fait du parti pris de mise en scène, mais le portrait ne manque pas d'allure.

Günther Groissböck impose un Kecal impressionnant. Voilà le vrai meneur de jeu, qui en l'occurrence mène le show. De son abattage enviable, au bagout intarissable, faisant flèche de toutes occasions. De sa voix de baryton-basse bien projetée, d'une sûre réserve de puissance, maniant la nuance avec art. On a dit que ce marieur tchèque était plus ou moins cousin en opéra d'un certain Baron Ochs von Lerchenau du Chevalier à la rose de Richard Strauss. Joli clin d'œil en l'espèce : le chanteur autrichien l'a interprété avec succès il y a peu au Festival de Salzbourg ! Jolie performance aussi de la danseuse diseuse Anna El-Khashem en Esmeralda. Et des Chœurs du Bayerische Staatsoper qui s'en donnent à cœur joie, dans une partie chorale bien différente de celle affrontée le veille au soir dans Otello.

Texte de Jean-Pierre Robert

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