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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Les Études de Debussy par Roger Muraro et un Messiaen inconnu

Etudes Debussy Muraro Messiaen

  • Claude Debussy : Douze Études pour le piano
  • Olivier Messiaen : Fauvettes de l'Hérault - Concert des garrigues -
  • Roger Muraro, piano
  • 1 CD Harmonia Mundi : HMM 905304 (Distribution : PIAS)
  • Durée du CD : 73 min 06 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile grise (4/5)

Autre découverte de la série Debussy du label Harmonia Mundi : les Douze Études pour le piano, jouées par Roger Muraro. Qui y ajoute une œuvre inconnue d'Olivier Messiaen, Fauvettes de l'Hérault – Concert des garrigues -. Et pour cause, il en a reconstitué l'écriture à partir des esquisses laissées par le musicien, d'un concerto qui ne vit jamais le jour. Les difficultés techniques de l'œuvre de Debussy, Muraro les transcende, comme il se joue de celles de la pièce de Messiaen avec la science qu'on lui connaît de l'idiome du maître.

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''A la mémoire de Frédéric Chopin'', les Douze Études pour le piano se présentent en deux sets de six pièces qui, selon les mots mêmes de Debussy, «dissimulent une rigoureuse technique sous des fleurs d'harmonie». Ces morceaux, qui restent peu connus, ont été analysés par bien des compositeurs, comme Pierre Boulez, dans son cours au Collège de France en 1984 et 1985, ou Olivier Messiean, fervent admirateur de Claude de France. Les Études ont été écrites à l'été 1915, alors que Debussy travaillait à une nouvelle édition de plusieurs œuvres de Chopin. Ce sont d'abord des études sur le rythme, car elles sont «en mouvement», comme le souligne l'auteur. Par exemple, l'étude ''Pour les « cinq doigts »'', apparaît comme un innocent exercice de piano pour les enfants, juste troublé par la survenance d'une note incongrue. Les trois suivantes, ''Pour les tierces'', ''Pour les quartes'', ''Pour les sixtes'', offrent des compositions savantes de pure technique musicale. Si on y décèle la patte de l'auteur de Pelléas et Mélisande, ces pièces ouvrent la voie à la modernité, celle de la musique de piano du XXème siècle. L'étude ''Pour les octaves'', marquée ''joyeux et emporté, librement rythmé'', ou celle ''Pour les huit doigts'', sont de loin autre chose que des exercices de style. Il y a aussi des études de timbres. Comme celle ''Pour les sonorités opposées'', l'indication ''modéré, sans lenteur'' créant l'impression d'une chose quasi statique, alors que pourtant ancrée dans le mouvement. Le morceau s'anime d'ailleurs en sa partie médiane. Celle ''Pour les agréments'', fruit de «recherches de sonorités spéciales», selon Debussy, offre de sa course dansante un cheminement mystérieux, ce qu'accentue le jeu bien pédalé de Muraro.

Au-delà de l'aspect d'exercice pur, requérant une technique avérée, ces pièces peuvent déconcerter, même pour qui aime Debussy, par leur aspect un peu ésotérique. Mais la poésie debussyste est bien là. ''Pour les notes répétées'' renferme quelque humour, l'indication ''scherzando'' approchant une vision fantastique. Avec l'étude ''Pour les arpèges composés'', c'est la transparence du piano de Debussy à son meilleur, mais non désincarnée, dans cette manière bien sonore dont use Muraro. ''Pour les accords'' conclut en fanfare les deux cahiers.

Le morceau titré Fauvettes de l'Hérault - Concert des garrigues - connaît une histoire peu commune. Créée en avril 2017 à Tokyo, et enregistrée live ici un an plus tard à Paris, il s'agit d'une composition pour piano seul reconstituée par Roger Muraro. À partir d'une œuvre dont commande avait été passée par André Malraux à Messiaen pour le centenaire de Debussy en 1962 : un concerto de piano, ''sur les oiseaux de l'Hérault'', déjà largement esquissé. Qui ne verra pas le jour et dont Messiaen utilisera une partie matériau dans les Sept Haïkaï. Retrouvant ces esquisses, Roger Muraro s'est assigné la tâche d'en tirer une pièce pour piano seul. Ce qui donne une œuvre conséquente (25 min), la plus longue de toutes celles pour piano de Messiaen. Elle est bien sûr forgée au son de ses chers oiseaux. Le plan en est structuré en arche, selon le schéma A, B, A'. Elle est faite de courtes sections enchaînées vives ou calmes, via des silences, jouant de tout le spectre du piano. Ce ne sont que ruptures de rythmes, impressions colorées comme le transmettent les chants d'oiseaux, répétitions rageuses, notes écrasées dans l'aigu ou assénées dans le grave, ou encore accords répétés dans l'extrême grave, qui pour certains font penser à ceux qu'on trouve dans l'opéra Saint François d'Assise. Tout Messiaen est là, grâce soit rendue au travail perspicace de Muraro et à sa fréquentation assidue de la musique du maître. Pour aussi une exécution qui requiert, outre une poigne certaine, un indispensable flair aux fins d'assembler les divers épisodes de ce puzzle, comme d'habiter ses silences si signifiants. Une découverte majeure.

Nouveau venu dans le rostrum d'Harmonia Mundi, Roger Muraro en tant qu'interprète choisi de Messiaen, se devait de s'attaquer aux Études de Debussy. Sa manière, certes différente de celle de Mitsuko Uchida (Philips), est d'une souveraine clarté, d'une modernité assumée, creusant de larges écarts dynamiques. Qui offre un toucher d'une grande sensibilité et se refuse à la force qui ne serait que percussive.

L'enregistrement, en studio, des pièces de Debussy est très présent, un peu ''boxy'', mais livrant les belles harmoniques du Steinway Grand. Lequel est saisi presque de trop près dans un morceau comme ''Pour les accords'', qui aurait mérité prise de son plus aérée. C'est le cas de l'œuvre de Messiaen, captée live en concert à Radio France, parfaitement restituée dans une atmosphère dégagée.

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Texte de Jean-Pierre Robert

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