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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Un impressionnant florilège de pièces pour piano de Scriabine

Scriabine VadymKholodenko

  • Alexander Scriabine : Six Préludes op.13. Cinq Préludes op. 16. Sonate N° 4 op. 30. Poème tragique op. 34. Poème satanique op. 36. Huit Études op. 42. Sonate N° 5 op. 53. Vers la flamme op. 72
  • Vadym Kholodenko, piano
  • 1 CD Harmonia Mundi : HMM 902255 (Distribution : PIAS)
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5) 

La musique de piano d'Alexandre Scriabine est une part importante de son œuvre. Pianiste lui-même, il a tout au long de sa carrière confié à l'instrument un corpus impressionnant, dont 10 sonates et un grand nombre de courtes pièces. Le pianiste russe Vadym Kholodenko propose un choix judicieux, traité de manière chronologique, en illustrant les diverses facettes, et magistralement joué. 

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Scriabine (1871-1915) est un musicien à part, même par rapport à ses pairs. Le contenu spirituel s'impose chez cet éminent représentant du symbolisme russe. On le sait cultiver un art singulier, se refusant au compromis, et adopter un regard mystique. Comme on peut le mesurer dans sa musique symphonique, dont le fameux Poème de l'extase. Une musique modale et non sérielle, qui va connaître une évolution spectaculaire au fil des années. Ce qui est tout autant perceptible dans ses œuvres pour le piano. Il est peu de choses en commun entre les premières pièces des années 1890 et l'ultime Vers la flamme de 1914. Des sonates, Vadym Kholodenko a choisi de jouer les Quatrième et Cinquième. La Sonate N° 4 op. 30, de 1903, est en deux mouvements joués enchaînés. Elle inaugure le type de la sonate-poème, inspiré du modèle symphonique. L'Andante est une introduction à une immersion dans le cosmique et le mysticisme. Rien ne dépasse le mezzo-piano et les harmonies font penser à celles du Tristan de Wagner. Le Prestissimo volando, immense crescendo, culmine dans une ivresse extatique après un cheminement chaotique et déjà quelque peu ésotérique. La Sonate N° 5 op 53 (1907), d'un seul tenant, contemporaine du Poème de l'extase, comprend divers épisodes, sur le mode agité (allegro impetuoso, allegro fantastico...). Ses déchaînements tempétueux et ses passages passionnés offrent les mêmes climats contrastés que la pièce symphonique. Remarquable, la vitalité dans les traits rapides aux figures syncopées, bondissantes, avec superposition de formules rythmiques. Les épisodes lents sont empreints de mystère, comme quelque chose de suspendu dans les airs. Étonnants aussi, les effets de précipitation et de progression vertigineux.

Tout aussi saisissantes sont les innombrables pièces réunies en cycles. Ainsi des Six Préludes op. 13, de 1895, sorte d'hommage à Chopin : succession de pièces brèves qui suivent les six premières tonalités et alternent majeur et mineur. Impressions fugitives, comme chez Prokofiev, où le tendre côtoie le passionné, comme au dernier, Presto, cultivant une veine virtuose dans un jeu sur les octaves de la main gauche. Les Cinq Préludes op. 16 sont plus lyriques, tout sauf démonstratifs. Comme il en est du premier morceau, calme et majestueux, ou du troisième contemplatif, ou encore du dernier, d'une grande fraîcheur. Les Huit Études op. 42 (1903), qui appartiennent à la période médiane, montrent une nette évolution du langage de Scriabine, notamment par le recours à la superposition de thèmes. Ce qui est un chalenge pour l'interprète, ici magistralement assumé. Le présupposé didactique, inhérent à ce type de pièce, conduit à intensifier la difficulté technique, pour explorer ici les ressources les plus excessives du clavier. Comme il en est de la première, Presto, et de la troisième, Prestissimo, qui favorisent l'aigu du piano et acquièrent une légèreté presque immatérielle. La N°5 ''Affanato'' propulse un thème heurté, obsessionnel dans un grondement d'arpèges, que Kholodenko maîtrise formidablement. La N°6 ''Esaltato'' est en mode moins agité. La suivante ''Agitato'' fait la part belle aux grands écarts dans un climat plus avenant.

Vadym Kholodenko donne encore des pièces isolées, extrêmement significatives des divers styles de Scriabine. Le Poème tragique op. 34, de 1903, est une page tumultueuse par son martèlement d'accords et d'arpèges à la main gauche. Un morceau presque théâtral. Le Poème satanique op. 36 n'est pas moins diaboliquement virtuose, sorte de réponse à la Mephisto Valse de Liszt : des joutes déchaînées jusqu'à la frénésie pour les derniers feux d'un mauvais génie. Vers la flamme op. 72, écrit en 1914, offre un exemple topique de la dernière manière du compositeur. Où est atteinte une perfection formelle : le statisme de l'écriture, en particulier des premières mesures en accords répétés, fait corps avec le dynamisme de la progression rythmique. Cela se développe comme un flamboiement apocalyptique, avec trilles exacerbés et accords tendus. Il y a un aspect presque inquiétant dans ces ultimes pages pianistiques frôlant la démesure sonore.

C'est peu dire que Vadym Kholodenko s'attache à explorer toutes les facettes du piano de Scriabine. Et qu'il en maîtrise les immenses difficultés avec brio. Son aisance à se mouvoir dans ce vocabulaire sophistiqué, voire étrange, est médusant, s'agissant au surplus d'une captation en concert, donc a priori sans retouches au montage. La technique est plus que confondante, au service d'une belle sensibilité de jeu. Il reconnaît lui-même une empathie avec ce compositeur méconnu au piano. Puisse ce disque permettre de mieux le connaître et l'apprécier.

L'enregistrement live offre une restitution fidèle du piano Fazioli, dans une acoustique à la fois proche et aérée. Les graves du piano résonnent magistralement tandis que registres médium et aigu sont d'une belle clarté. Du très beau son de piano.

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Texte de Jean-Pierre Robert

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