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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Intégrale des Quatuors de Bartók par les Diotima

Bela Bartok Quatuors a cordes

  • Béla Bartók : Quatuor N° 1, op. 7. Quatuor N° 2, op. 17. Quatuor N° 3. Quatuor N° 4. Quatuor N° 5. Quatuor N°6
  • Quatuor Diotima
  • 3 CDs Naïve : V 5452 (Distribution : Believe music)
  • Durée des CDs : 62 min 26 s + 39 min 13 s + 61 min 52 s
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/5) 

Les six quatuors de Béla Bartók forment une somme d'un suprême achèvement. L'audace, la subtilité, la concentration de ces compositions, sans parler de la maîtrise technique qu'elles exigent, constituent un énorme chalenge pour une formation de quatuor à cordes. Une sorte d'Everest du genre, comme le remarquent les Diotima. Qui signent là une version enthousiasmante, se plaçant très haut dans la discographie.

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Composés entre 1909 et 1939, les quatuors à cordes jalonnent la carrière créatrice de Bartók et ses grandes mutations. Toujours empreints d'une science accomplie de l'utilisation de ces quatre voix fondamentales en musique que sont celles du quatuor à cordes, ils témoignent, à chaque fois, d'une synthèse de son style de composition. On a remarqué que « chacun des quatuors à cordes touche à l'essentiel du génie bartokien et forme un creuset de matière en fusion d'où pourront jaillir, sous la forme de grandes pages scéniques et orchestrales, les astres les plus divers et les plus rayonnants » (Claire Delamarche, in ''Béla Bartók'', Fayard, 2011). 

Le Quatuor N° 1, op 7 (1908-1909) se situe à la croisée des chemins entre post-romantisme allemand, découverte de Debussy et mise en avant du folklore hongrois. Ses trois mouvements enchaînés vont du lent au très vif dans un système de progression sonore qui deviendra typique chez Bartók. Qui inaugure avec ce premier opus un parcours ouvert à une expressivité procédant directement d'une rythmique exubérante. L'Allegro vivace final montre ainsi des harmonies fuyantes et des différences rythmiques creusées. Le Quatuor N°2, de 1916-1917, qui fait son miel des acquis de Schoenberg et de Stravinski, s'ouvre par un Moderato alternant douceur et vagues tempétueuses. La tension va croissante à travers des accords percutants et un savant dosage dynamique, que les Diotima ménagent avec sagacité. L'Allegro molto capriccioso est d'une extrême vigueur rythmique, âpre, l'aspect capricieux traduit par des ostinatos et autres traits mordants. Dans le Lento final, d'une profonde concentration, le chant du violon I se détache, générant l'angoisse. Une quête sombre, presque désespérée qui n'est pas sans aspérité.

Le Quatuor N° 3 (1927), dont la quintessence fait penser au Troisième quatuor de Schoenberg et à la Suite lyrique de Berg, signe de nouvelles avancées : dissonances, alliages inédits de timbres, construction rigoureuse dont Bartók a le secret. La facture est en quatre mouvements enchaînés selon le schéma lent-vif-lent-vif. La ''Prima parte'', Moderato, s'articule autour d'une brève cellule qui se modifie continument et emprunte à des techniques diverses : jeu sul ponticello, en sourdine, glissandos, pizzicatos, etc. La ''Seconda part'', Allegro, est vigoureuse. On y distingue des bribes de mélodies populaires, au cello notamment. Viennent ensuite la ''Récapitulation de la première partie'', lente, et la coda plus rapide, allegro molto endiablé. Le Quatuor N° 4 (1928) est constitué de cinq mouvements dont le Non troppo lento est l'épicentre, entouré de deux scherzos, et eux-mêmes de deux allegros. Construction symétrique, pour une musique passionnée. L'Allegro initial et le finale sont d'une rare véhémence, avec des attaques à l'arraché, usant de techniques de jeu extrêmement variées et de rythmes changeants. Les deux scherzos sont tout aussi originaux : le Ier, Prestissimo con sordino, figure une course haletante, fantomatique avec trilles, glissandos ppp, pizzicatos heurtés, d'une extraordinaire virtuosité et d'une exigence technique inouïe. Que les Diotima assurent avec brio. Le second scherzo est joué tout en pizzicatos, en miroir au précédent. Le mouvement lent central qui s'ouvre par l'ample et envoûtante mélopée du violoncelle dans le grave, développe un langage des plus originaux : bruits étranges, atmosphère nocturne traversée de traits plus tranchants.

quatuor diotima
Quatuor Diotima - ©DR

Le Quatuor N° 5 (1934), commande de la mécène américaine Elisabeth Coolidge, plonge l'auditeur dans ce qu'on a appelé ''le clacissisme bartokien''. Une musique moins dissonante, pas moins agressive. Car cette œuvre est « avant tout couleur, énergie et poésie » (ibid). Elle suit une coupe en 5 parties, le scherzo en étant le cœur. Entouré de deux mouvements lents et de deux plus rapides. Une forme concentrique qu'on retrouve à l'intérieur de chaque mouvement. Un travail sur de petites cellules laissant apparaître des ébauches de mélodie caractérise l'Allegro initial. L'Adagio qui suit est une sorte de nocturne aux bribes de mélodies fugaces, en particulier au violon I. Voilà des pages fascinantes. Le scherzo ''alla burgarese'', du fait de l'utilisation de rythmes bulgares, offre encore une foison d'inventions techniques qui battent en brèche les codes de l'harmonie classique. L'Andante est en miroir avec le premier adagio. Et le finale avec le premier mouvement, truffé d'effets nouveaux, comme des ''bruitages'' les plus étranges, demandant beaucoup d'imagination aux interprètes. Le Quatuor N° 6 ( 1939) écrit pour le Nouveau Quatuor hongrois fondé en 1935 par Sandor Vegh, marque le retour à la forme en 4 parties. Pour un résultat tout autre que dans les cinq pièces précédentes. L'architecture est toujours aussi inventive. Elle offre en effet la particularité de voir chaque mouvement introduit par une phase appelée ''Meto'' (triste), jouée à l'alto, seul au Ier mouvement, puis accompagné diversement aux trois autres. Le Vivace est presque limpide dans la clarté du dessin. La ''Marcia'' vire à une parodie de marche militaire, avec des variations en tous genres dont une presque jazzy. Avec le mouvement ''Burletta'' (Petite plaisanterie), Bartók se fait caustique. Le finale marque un contraste saisissant : d'abord introduit par le ''Mesto'', donc traité dans une longue et douloureuse cantilène, il laisse éclater une rythmique plus asservie que d'ordinaire, où les quatre voix ''sonnent'' très large. Le flux est toujours traversé de ruptures en pizzicatos, d'accélérations mais aussi de phrases profondément lyriques. Comme on en trouve dans les pages orchestrales contemporaines.

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De ces musiques extraordinairement savantes, les Diotima offrent des interprétations qui pourtant s'écoutent avec un plaisir certain tant la beauté plastique est ici au service de l'émotion esthétique. Non pas une beauté froide et desséchée devant la pure technique, non plus qu'une émotion dionysiaque comme à l'écoute d'un quatuor romantique. Mais une manière qui à la fois, éblouit l'intellect et emplit de satisfaction. Grâce à un fini sonore de chaque instrumentiste et à une matière fusionnelle qui transfigurent des contrastes souvent déconcertants dans la manière de jouer. L'art du quatuor à cordes poussé jusque dans ses derniers retranchements, certes, (encore que différant pour beaucoup de la quintessence de Schoenberg ou de Webern), pas toujours si directement accessible qu'un Schubert, par exemple. Musiques qu'on a dit abstraites, et pourtant qui touchent par leur originalité, leur diversité, leur force brute et en même temps leur raffinement, leur pouvoir de séduction sonore aussi. Tout cela les quatre mousquetaires des Diotima le traduisent avec bonheur, par la rigueur et la souplesse à la fois, et font du peu accessible à priori quelque chose d'attirant, en tout cas de tout à fait possible à appréhender. Cela requiert un effort, certes, mais combien payant au bout du compte. 

L'enregistrement studio à la Radio allemande de Cologne, par une équipe fournie de techniciens, est d'un grand relief, d'une présence étonnante avivant le plaisir de l'écoute domestique. Tant le son est direct et ''ouvert'', sans jamais présenter d'agressivité. Les quatre voix sont parfaitement saisies dans la clarté de leur exacte disposition de gauche à droite, et occupent tout le spectre. Dans les mouvements vifs, la prise de son s'aère quelque peu, ce qui ajoute à l'impact et à une bonne différentiation des plans. Une belle réussite technique.

Texte de Jean-Pierre Robert

Disponible en streaming sur Amazon

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