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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Une association d'une rare pertinence : Harold en Italie et Les Nuits d'été de Berlioz

Harold en italie Stephane Degout

  • Hector Berlioz : Harold en Italie, Symphonie avec un alto principal en quatre parties, op. 16, d'après Childe Harold's Pilgrimage de George Gordon Byron
  • Les Nuits d'été, Six mélodies avec un petit orchestre, op. 7, sur des poèmes de Théophile Gautier (extraits de La Comédie de la mort)
  • Stéphane Degout, baryton
  • Tabea Zimmermann, alto
  • Les Siècles, dir. François-Xavier Roth
  • 1 CD Harmonia Mundi : HMM 902634 (Distribution : PIAS)
  • Durée du CD : 63 min 45 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5)

Après l'année Debussy, nous voici entrés dans les commémorations Berlioz. Chance de la Musique française ! Le présent CD offre un couplage original puisque rapprochant Harold en Italie et Les Nuits d'été. Autre première : lesdites mélodies sont confiées à une voix d'homme. Et une confirmation, savoir qu'exécutées sur instruments d'époque, ces musiques prennent une couleur toute autre, au plus près sans doute de ce qu'aurait ''entendu'' Berlioz en les composant. Des interprétations d'une beauté plastique à couper le souffle.

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Le couplage est finalement pertinent en ce que les pièces sont liées par une même idée, très berliozienne : inaugurer de nouvelles formes. Un rapport soliste-orchestre nouveau par rapport aux modèles du concerto ou de la symphonie, pour ce qui est d'Harod en Italie. Un cycle de mélodies accompagnées d'un petit orchestre, s'agissant des Nuits d'été. La ''Symphonie avec un alto principal'' Harold en Italie, op. 16 n'est certainement pas un concerto pour l'instrument, car comme le souligne François-Xavier Roth, celui-ci est « davantage un personnage musical, un narrateur ». Il symbolise aussi ''l'idée fixe'', au cœur de bien des œuvres du maître français, dont La Symphonie Fantastique ou encore Lélio, celle de l'artiste en proie aux doutes et exaltations existentielles et artistiques, ici personnifié par l'alto. Cette œuvre en quatre parties narre le cheminement d'une figure, Harold, empruntée à Byron et son Childe Harold's Pilgrimage, dans les montagnes des Abruzzes. Au fil d'un programme explicitement revendiqué par le musicien. La première partie voit Harold seul face aux montagnes, figuré par une introduction dans un grand crescendo sombre, avant l'entrée de l'alto et de son beau thème mélancolique, lancé avec panache puis continué ppp dans l'interprétation inspirée de Tabea Zimmermann. Une sonorité fascinante, en particulier lors du duo avec la harpe, trait aussi novateur qu'inspiré. Le développement offre aridité et vigueur. C'est peut-être là que l'aspect concertant est perceptible, mais dans une perspective défiant les lois du genre. Il illustre en tout cas ce langage si peu ordinaire qu'a Berlioz pour traduire scènes et climats. La péroraison, où caracole l'alto, est déjà frénétique.

Puis Harold est confronté à un cortège de pèlerins dans la 2ème partie,'' Marche des pèlerins'', allegretto, pris très retenu par Roth. Bel effet qui rend tout son impact à la couleur sombre du morceau et à son rythme lancinant, et presque dansant ici, ponctué de la note du cor longuement répétée, mélancolie consubstantielle jusque dans le jeu sul ponticello ppp de la soliste, sur un accompagnement sourd des contrebasses. Là encore un effet inouï. Le rythme qui s'est élargi, va peu à peu décroître dans un lointain évocateur, de ses notes plaintives tandis que l'alto s'éteint dans un souffle. La ''Sérénade d'un montagnard des Abruzzes à sa maîtresse'', scène d'amour dont est témoin Harold, marque un contraste : un thème joyeux l'ouvre, puis c'est le rythme syncopé qui va progressant avec l'alto, pour instaurer autant de lumières différentes. Ces trouvailles instrumentales rares, Roth les travaille avec finesse et goût. ''Orgie des brigands'' conclut cette fresque de son Allegro frenetico : Roth installe une exubérance rythmique qui rend pleine justice à Berlioz. Échos de La Fantastique ? Le chef en investit le langage comme peu : les combinaisons instrumentales uniques, comme le recours au tambour de basque, les ruptures, les associations inattendues, les traits inouïs et leurs tempos précipités, certains presque sautillants, les enchaînements en spirales des cordes, les crescendos ''infectious''. Le grand climax final est irrésistible, tandis que le rappel du thème de marche à l'alto revient sur la pointe des pieds avec un parfum délicatement suranné. Une grande et belle interprétation. 

Berlioz compose Les Nuits d'été op. 7 sur six poèmes de Théophile Gautier extraits de La Comédie de la mort. Ces mélodies seront pensées d'abord pour voix de mezzo et piano (1841). Elles seront orchestrées à partir de 1843 et dédiées sous cette forme à six chanteurs allemands, dont une voix masculine. Bien qu'habituellement chantées par une soprano, elles le sont rarement par une voix d'homme, et qui plus est de baryton. D'où l'intérêt de cette exécution, alors que confiée à l'un des meilleurs chanteurs français du moment, Stéphane Degout. Ce cycle a été conçu pour une petite formation, dite ''orchestre Mozart''. Ce qui est le cas ici, à la différence au demeurant de la version de référence due à Ernest Ansermet et chantée par Régine Crespin (Decca). Berlioz a opéré un choix judicieux parmi les textes de Gautier, pour instaurer souvent un ton sombre et mélancolique. Mais ''Villanelle'' ouvre le cycle, de son élan enjoué, tant à l'orchestre qu'on sent raffiné, qu'à la voix, d'une douceur emplie d'élégance racée. Avec ''Le Spectre de la rose'', le ton se fait mélancolique par le climat presque mystérieux qu'instille Roth. La ligne de chant est d'une simple expressivité, la 2éme strophe sur un orchestre assagi et une belle montée sur les mots ''ce léger parfum est mon âme'', débouchant sur un climat envoûtant ''et j'arrive au Paradis''. Et l'épitaphe sera poignante. ''Sur les lagunes'' figure une sorte de Requiem dont Roth peaufine le contrepoint d'orchestre avec une délicate sérénité. Le refrain ''Que mon sort est amer ! Ah ! sans amour s'en aller sur la mer !'' est lancé comme quelque chose d'irrémédiable. Le tempo lent accentue l'intensité du texte, et la péroraison est tout aussi déchirante, la voix frôlant ici le ténor. Le tempo retenu adopté pour ''Absence'' apporte un surplus de note mélancolique à ce qui est un colloque du souvenir, proche du sanglot sur l'envoi ''Reviens, reviens, ma bien aimée''. La mélodie ''Au cimetière'', introduite par un rythme de marche imperceptible, prélude à une autre déploration. Tout semble s'animer en apparence. Illusion peut-être, tandis que la voix s'émeut. Avec ''L'île inconnue'', nouveau contraste, car cette ultime mélodie est enjouée, au fil des épisodes d'un voyage imaginaire. L'interprétation de Stéphane Degout renouvelle la perception qu'on a de ce cycle, par la pureté de la vocalité, l'identification aux textes, la noblesse de la déclamation, et ce que Roth qualifie chez le chanteur d'« intelligence du verbe ». Qui lui fait avec les musiciens si inspirés des Siècles, le plus beau des écrins.

L'enregistrement d'Harold, à la Philharmonie de Paris, est naturellement aéré, usant à son meilleur de son acoustique réverbérante. L'image est large et l'étagement des plans satisfaisant. La patine des instruments d'époque ressort avec netteté. La prise de son studio, pour Les Nuits, offre une aura plus sèche. La voix est saisie de près mais dans un rapport satisfaisant avec l'orchestre. 

Texte de Jean-Pierre Robert

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