CD : Philippe Jaroussky enchante Cavalli
- Francesco Cavalli : ''Ombra mai fu''. Arias d'opéras extraites de Serse, Erismena, Calisto, Eliogabalo, Elena, Ormindo, Gli Amori d'Apollo e Dafne, Eritrea, Giasone, La Virtu de'stradi d'Amore, Pompeo Magno
- Sinfonia extraites de Eliogabalo, Ercole Amante, Orione, Doriclea
- Philippe Jaroussky, contre-ténor
- Avec Marie-Nicole Lemieux & Emoke Barath
- Artaserse, dir. Philippe Jaroussky
- 1 CD Erato : 0190295518196 (Distribution : Warner Classics)
- Durée du CD : 65 min 13 s
- Note technique : (5/5)
Un nouveau CD de Philippe Jaroussky est toujours un événement. Celui-ci nous entraîne, avec le compositeur Francesco Cavalli, dans un territoire fort séduisant, celui du genre lyrique vénitien du XVIIème. Au fil d'un florilège exhaustif d'airs d'opéras, complétant la renaissance d'un musicien déjà remis à l'honneur à la scène ces dernières années, à Aix, Paris ou Glyndebourne. Ils sont chantés avec la meastria qu'on connaît à l'interprète, au sein de l'écrin d'un ensemble qu'il dirige aussi de main de maître.
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Francesco Cavalli (1602-1676) a écrit une trentaine d'opéras, dont une des forces est de puiser chez les grands dramaturges de l'époque, traitant de sujets exaltant les sens, sous toutes leurs formes, érotique, mais aussi pastorale, voire moralisatrice. À une époque où le genre évolue, pour passer de l'opéra de cour, donc à destination de cercles retreints, à une plus grande audience, c'est-à-dire l'opéra public, donc pour le public, avec l'ouverture des plusieurs théâtres dans la Sérénissime. Cavalli signale vite son originalité, ancien chanteur de Saint Marc qui va jusqu'à accéder à la prestigieuse fonction de maître de chapelle céans. Qui va composer « des opéras savoureux et débordant de vie, parfaits reflets de la société vénitienne au XVIIème siècle », souligne Jaroussky. Œuvres mettant en valeur les textes aussi bien par la fluidité du recitar cantando hérité de Monteverdi, que dans des arias ou ensembles d'une écriture novatrice, entre récitatif et air, et surtout magnifiant la forme du lamento. Philippe Jaroussky a choisi de composer un programme significatif des diverses facettes du style du vénitien. Où Éros est placé au centre du jeu musico-dramatique. Un jeu qui va se décliner selon plusieurs approches. Le registre pathétique d'abord, bien sûr est-on tenté de dire, tant cet aspect est consubstantiel à l'opéra de l'époque. C'est celui qui s'illustre à travers le lamento. Le plus célèbre est emprunté à l'opéra Erismena ''Uscitemi dal cor'', morceau emblématique par la ligne de chant et l'accompagnement instrumental qui l'enveloppe. Jaroussky l'interprète avec une rare intensité dans les ornements et le legato. L'élément pathétique, on le trouve aussi dans Eliogabalo, le dernier dramma de Cavalli, qui fut monté il y a peu à l'Opéra Garnier. Et illustré dans l'aria ''Io resto solo ?''. Ou encore dans Gli amori d'Apollo e di Dafne, sur un livret de Busenello, alors que le bel adonis pleure la métamorphose de la nymphe Daphné, ce que Jaroussky cisèle particulièrement de son timbre plus ''central'', combien porteur d'une douleur idéalisée.
Un autre registre est celui du style madrilgalesque, ou de pastorale. Ainsi des arias tirées de La Virtu de' strali d'Amore : l'une sur un rythme quasi dansant pour exprimer la joie innocente d'un berger, l'autre ''Che pensi, mio cor ?'', là où sur un ton apparemment enjoué et un rythme joliment balancé, sont étalées de terribles peines de cœur. On rencontre également le registre comique que défendent des personnages si pas de premier plan, du moins au caquet bien affilé, dans la lignée de ceux qu'on trouve dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi. Ici c'est le satyre de la Calisto dans un savoureux dialogue avec Linfea, autre personnage grotesque, dans l'aria ''L'uomo è una dolce cosa'', magistralement portraituré par Marie-Nicole Lemieux et Jaroussky. Dans Elena, un autre dialogue, avec la soprano cette fois, en l'occurrence Emoke Barath, met aux prises Hélène et Ménélas, où celle-ci cède peu à peu aux avances du jeune homme avant une fin de duo émue.
Cavalli dépeint encore l'ironie, située entre comique et tragique. Dans ''Delizie, contenti'' de Giasone, il imagine une sorte de berceuse à l'envers, de la part d'un anti héros ''effemminato''. Voire la parodie dans la célèbre aria de Xersès à un platane, tirée de Serse, ''Ombra mai fu''. Ce morceau inspirera à Haendel une de ses plus belles pages, dont Jaroussky pense qu'elle n'est pas si éloignée que cela de celle de Cavalli. La composante morale, on la rencontre chez les personnages de nourrice ou de page. Ainsi de Nerillo d'Ormindo avec l'aria ''Che citta'', haletant, un brin hystérique, lorsque le bonhomme redoute 1000 dangers autour de lui et ne sait pas pourquoi il est tant séduisant, une page théâtralisée pour une musique amusante. Enfin Cavalli satisfait au genre de l'opéra à effets et son lot de morceaux brillants, qu'on expérimente ici dans des arias de Statira ou de Pompeo Magno.
Partout, Philippe Jaroussky enchante ces pièces de son timbre reconnaissable entre tous, et par la rectitude de son style, de fois en fois maturé pour atteindre la quintessence de la pureté. Il fait sien avec un égal bonheur aussi bien les traits d'humour que la plus profonde élégie tragique. Il conduit ''son'' orchestre Artaserse avec autant de brio. Ce qu'on admire encore à travers quelques pages instrumentales, Sinfonia d'ouverture de plusieurs autres opéras.
La prise de son, à l'église du Liban à Paris, met la voix en valeur dans un équilibre parfait avec l'ensemble instrumental. On savoure le relief et l'immédiateté de l'image sonore.
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Texte de Jean-Pierre Robert
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