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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : Un Postillon qui a aussi du coffre, triomphe à l'Opéra Comique

Le Postillon de Lonjumeau
Michael Spyres (Chapelou) ; ©Stefan Brion

  • Adolphe Adam : Le Postillon de Lonjumeau. Opéra-comique en trois actes. Livret d'Adolphe Leuven et Léon-Lévy Brunswick
  • Michael Spyres (Chapelou/Saint-Phar), Florie Valiquette (Madeleine/Madame de Latour), Franck Leguérinel (Le marquis de Corcy), Laurent Kubla (Biju/Alcindor), Michel Fau (Rose), Yannis Ezziadi (Louis XV), Julien Clément (Bourdon)
  • Accentus
  • Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie, dir. Sébastien Rouland
  • Mise en scène : Michel Fau
  • Emmanuel Charles, décors
  • Christian Lacroix, costumes
  • Joël Fabing, lumières
  • Pascale Fau, maquillages
  • Opéra Comique, Paris, lundi Ier avril 2019 à 20 h
  • Et les 5, 9 avril 2019 à 20 h & le 7 avril à 15 h

Une première depuis 1894, Le Postillon de Lonjumeau d'Adolphe Adam revient à l'Opéra Comique. Dans une réjouissante production due à Michel Fau, qui n'hésite pas à forcer le trait pour dérouler une intrigue amoureuse à l'envers, sur fond de théâtre sur le théâtre, et une distribution resplendissante menée par l'américain Michael Spyres, formidable ténor.

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Adolphe Adam (1803-1856), rendu célèbre par ses ballets, dont l'inusable Giselle, a aussi composé pour l'opéra. Parmi ses titres, aux côtés de Si j'étais roi, Le Chalet, ou Le Toréador, Le Postillon de Lonjumeau tient une place de choix. Car cet opéra-comique connut un succès immédiat (1836). De par son canevas simple, mais très original. Celui d'une union réussie qui fonctionne à l'envers : Chapelou, fameux postillon, épouse deux fois la même femme à dix ans d'intervalle, alors que possesseur d'une voix d'or, il devient un chanteur en vue à l'Opéra. Ce sera la belle aubergiste Madeleine, qui elle-même devient, moyennant l'héritage d'une vieille tante, une femme du monde. Elle manigancera pour faire découvrir le stratagème et tout rentrera dans l'ordre amoureux d'une entente retrouvée. Cette histoire mêle plusieurs strates : l'ascension sociale de gens simples, le thème de la vraie-fausse bigamie, immorale pour l'époque qui malgré tout raffolait de ces entorses à la morale, et surtout un jeu de miroir dans le temps, par la référence à la fois au contexte historique des Lumières et à l'époque du compositeur, faiseur d'opéra-comique sous le règne de Louis-Philippe. Avec en filigrane l'avènement du chemin de fer, qui condamnait inexorablement la malle-poste. Un scénario simpliste à première vue, mais aussi bien ficelé qu'une comédie de Feydeau. Adam s'en est emparé pour écrire une musique alerte, inventive, d'une veine mélodique constamment renouvelée. Et taillée sur mesure pour des chanteurs acteurs d'une troupe célèbre, celle de l'Opéra Comique, qui possédait en son sein une ''star'', le ténor Cholet, réincarnation pour les besoins de la cause d'un de ses prédécesseurs de l'époque de Rameau, musicien qu'Adam se promettait de remettre à l'honneur : le célèbre ténor Jélyotte.

Le Postillon de Lonjumeau 2
Ier acte - choeurs Accentus ©Stefan Brion 

Il y a de cela, et au centuple, dans la mise en scène de Michel Fau. Qui profite de ces chassés-croisés avec les époques pour en faire un fort amusant pot pourri. On sait l'acteur-régisseur friand de visions décapantes, paradoxales, et d'imagerie onirique. Celle-ci s'avère décidément haute en couleurs, « saturées » revendique-t-il. Le rideau s'ouvre sur une énorme pièce montée rose bonbon en haut de laquelle trônent ''comme figurines'' les deux héros de la noce, Chapelou et Madeleine. Ce ne seront ensuite, par le truchement de toiles peintes et d'éclairages crus, que visions verdâtres, bleutées ou rougeoyantes, parsemées d'objets cocasses descendus des cintres. Tel ce hêtre malingre, prétexte à un air du rôle titre, ou une immense table, lieu du théâtre sur le théâtre au IIème acte, ou encore un confortable canapé-lit figuré, pour les retrouvailles chaotiques du IIIème. Et tutti quanti... Les costumes, signés Christian Lacroix, mêlent avec doigté habits d'époque Louis XV et atours de campagne bariolés, toujours seyants. Dans pareil écrin débordant de couleurs presque criardes, se succèdent des images a priori simplistes, mais terriblement efficaces. La direction d'acteurs ne cherche pas à épater par des réinterprétations savantes. Elle affiche un adroit second degré pour traduire les états d'âme de personnages qui n'ont rien à cacher de leurs sentiments : recherche de meilleure fortune de la part de chacun des membres d'un couple pulsionnel, en permanence au bord de la crise, ou de lumière auprès des grands, comme chez un petit marquis, Intendant des Menus Plaisirs, qui n'a de cesse de se faire bien voir du monarque, ou chez cet autre, forgeron de son état, bien décidé à lui aussi à enfourcher l'ascenseur social et poursuivre une trajectoire opportuniste. Tous, à commencer par les deux compères-commères au caquet bien affilé et à l'esprit retors, sont d'une désarmante sincérité. Le passage de l'époque contemporaine, celle de Louis-Philippe, au théâtre et ses coulisses, où l'on singe une pièce de Rameau, se fait sans solution de continuité : on ne sait si notre ex-postillon hidalgo, qui se voit dire ''Tu as mille livres dans ton gosier'', devenu ténor, émule du créateur Cholet, n'est autre qu'une réincarnation de Jélyotte, son ancêtre et modèle, avec son couvre-chef à plumes et ses hauts de chausse dix-huitième. Joli coup ! Fau, qui incarne lui-même Rose, suivante de Madame de Latour, ex Madeleine, plus vraie que vraie, ménage tout cela avec esprit et douce ironie, qui sait se faire délicieusement féroce.

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Franck Leguérinel (Le marquis de Corcy) et Florie Valiquette (Madame de Latour) ©Stefan Brion 

Car il a à sa main, un cast de fière allure. Et un ténor tout simplement fabuleux. On dit à l'Opéra Comique avoir maturé plusieurs années le projet de monter l'œuvre, pour s'assurer de la disponibilité de Michael Spyres. On ne sait qu'admirer chez ce chanteur américain passionné de musique française et d'opéras-comiques : de l'élégance de la ligne de chant qu'un très léger accent rend encore plus attendrissant, d'une diction d'une rectitude parfaite, que bien de ses confrères peuvent lui envier, et surtout d'un timbre idoine pour donner vie au personnage hors norme de Chapelou devenu le ténor Saint-Phar. Une voix comme il en est peu pour aligner en un tournemain les fameux contre Ré lancés en voix de tête, mais encore maîtriser le phrasé immaculé requis au long d'airs pas si aisés à négocier. Spyres le fait avec un naturel confondant comme il en assume le jeu avec aisance, sans une once de mièvrerie, toujours adroitement. Sa façon de surjouer un divo XVIIIème d'une préciosité affichée, gestes décomposés et œillades gourmandes, est impayable. Les airs sont purs moments de grâce vocale, comme la romance ''Assis au pied d'un hêtre'', ou le périlleux morceau du dernier acte, truffé de notes aiguës et de pianissimos enchanteurs. Tout cela ajouté à une aisance pour passer du chanter au parler, un écueil dans ce type d'œuvre. Nul doute avec la complicité du metteur en scène qui professe « se servir de cette riche palette vocale et aussi rendre justice aux contrastes... entre la platitude d'une réplique et le raffinement d'un morceau musical ». Une incarnation mémorable, dans la tradition d'un Nicolai Gedda qui en fut un interprète de choix, mais hors de France. Florie Valiquette, qui fait ses débuts céans, campe une Madeleine de belle vaillance et endosse le costume de la bourgeoise fortunée avec assurance au fil de la soirée. La voix fraîche de soprano rappelle la jeune Julie Fuchs, et on ne peut que lui souhaiter future carrière à la même mesure. Le marquis de Corcy de Franck Leguérinel, un habitué de cette scène, est judicieusement précieux dans les interventions parlées comme par les atours de son baryton grave et bien projeté. Laurent Kubla ajoute au cocasse du double personnage de Biju/Alcindor une voix de basse claire, elle aussi bien timbrée. Les Chœurs d'Accentus prêtent qui aux paysans de Lonjumeau, qui aux comédiens de la cour de Louis XV, verve et chant enluminé.    

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Le Postillon de Lonjumeau 4
Michael Spyres & Florie Valiquette ©Stefan Brion

Sébastien Rouland, qui fut assistant de Marc Minkovski, dirige avec brio une partition attachante dans ses multiples nuances. Une musique au débit continu, dont les passages parlés ne troublent pas l'unité profonde, et souvent presque dansante, bourrée de traits inventifs, notamment dans l'usage de la petite harmonie ou d'ensembles bien agencés en traduisant toute la verve. Ainsi du finale du Ier acte, d'abord fugué, qui va crescendo pour se terminer en une sorte de délire. Elle comprend de courts passages symphoniques comme le début du IIème acte qui sonne comme une nouvelle Ouverture. Son potentiel mélodique est impressionnant et son orchestration subtilement variée. Une musique qu'adorait un Richard Wagner, pour l'avoir dirigée comme jeune chef à l'Opéra de Riga, marquant un des premiers succès de l'œuvre hors frontières, qui allaient perdurer en Allemagne, en Russie ou ailleurs. Que les musiciens de l'Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie jouent avec tact, finesse et enthousiasme. 

Texte de Jean-Pierre Robert



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