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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert : Daniel Barenboim ouvre ses Festtage berlinoises avec les Viennois

Daniel Barenboim
Daniel Barenboim dans ''sa'' maison Unter den Linden ©Christian Mang

  • Serge Prokofiev : symphonie N° 1 en ré majeur op. 25, ''classique''
  • Gustav Mahler : Symphonie N°1 en ré majeur
  • Wiener Philharmoniker, dir. Daniel Barenboim
  • Philharmonie Berlin, le 12 avril 2019 à 20 h

Il faut s'appeler Daniel Barenboim pour faire venir à Berlin l'Orchestre Philharmonique de Vienne en ouverture des ''Festtage 2019,'' ce festival de printemps dont il est l'âme depuis des années. Alors que les Berliner Philharmoniker sont occupés au Festival de Pâques de Baden-Baden, l'occasion est donnée d'entendre l'autre grande formation européenne dans la salle mythique de la Philharmonie. Pour un programme réunissant deux œuvres dissemblables, et pourtant écrites dans la même tonalité, les premières symphonies de Mahler et de Prokofiev, celle-ci en écho à la nouvelle production de l'opéra Les fiançailles au couvent, par ailleurs donné à l'Oper Unter den Linden.

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Exercice de style, à la façon de Haydn, ou génial pied de nez à ses détracteurs, comme lancé à la postérité qui la consacrera comme chef-d'œuvre, la Première symphonie de Prokofiev (1917) est indéniablement un coup de maître. Par son extrême concision, car voilà une des plus courtes symphonies jamais écrites, à peine 20 minutes, où chaque note est essentielle et frôle la perfection. Par son style alerte aussi, avec son orchestration originale qui voit les instruments, bois en particulier mais aussi les cordes, traités de manière bien différente de leur technique de jeu habituelle. Par ses modulations enfin, aussi surprenantes qu'inattendues, qui cherchent à défamiliariser le style classique en convoquant un aspect plaisamment provocateur. Aussi en fait-on souvent une pièce brillante et sur le ton du pastiche un peu facile. Rien de tel avec Barenboim qui prend les choses au sérieux. L'Allegro introductif est animé d'un tempo confortable, loin de la vitesse plus ou moins étourdissante que bien de ses confrères prétendent lui accorder. On savoure le second thème en forme d'amusante marche, initiée par le basson et ses notes pointées, que notre compatriote Sophie Dervaux ménage avec tact. La réexposition est fort adroite et la coda, que Prokofiev détourne joliment des codes habituels du genre, est ici tout aussi habilement rendue par un orchestre d'élite dont on admire la transparence des cordes et le mordant des vents. Le Larghetto qui suit possède le charme d'une délicate sérénade qui a tout d'un faux menuet : la mélodie de Prokofiev à son meilleur de par son caractère immédiatement séduisant. La Gavotta, qui fait office de scherzo, respire une douce ironie, un humour presque, et surtout une souveraine élégance du phrasé qui n'étonnera pas s'agissant des Viennois. Le Molto vivace final sera contrasté à la fois en termes de mordant et d'esprit parodique. Le ciselé des cordes y est pour beaucoup, la gracieuse sonorité des bois tout autant, flûtes, clarinette et encore bassons. Cela finit en une pirouette. Tout est dit et on s'étonne que cela soit déjà terminé. Mais la qualité ne se mesure pas à la durée : la mini symphonie de Prokofiev aura reçu ici une éblouissante leçon d'orchestre !

Wiener Philharmoniker

Daniel Barenboim dirige les Wiener Philharmoniker à la Philharmonie de Berlin

Il en sera de même avec la Première Symphonie de Mahler. Daniel Barenboim aime se confronter à l'univers mahlérien. Et avec cet orchestre, la chose pend un tour d'excellence. On sait combien les Viennois en possèdent la ''tradition '' et, sans remonter aux interprétations légendaires de Bruno Walter, comment ils peuvent produire le son idoine de cette musique. Barenboim les dispose de manière intéressante, cellos au centre gauche, altos à côté vers la droite, violons I & II de part et d'autre, basses à l'extrême gauche. Ce qui aura un impact quant à la couleur orchestrale d'ensemble. L'œuvre est souvent sous-titrée ''Titan'', en référence au roman Titan de l'écrivain allemand Jean-Paul. Mais l'auteur désapprouvait cette appellation et l'on sait son ambivalence pour ce qui ressortit à un programme. Mieux vaut s'en tenir à l'atmosphère qu'elle développe, celle du ''Wunderhorn'' (cor merveilleux), et des Lieder eines fahrenden Gesellen (Chants d'un compagnon errant) dont elle reprend certaines thématiques. Barenboim met l'accent sur le lyrisme qu'elle exhale. D'abord dans le fabuleux premier mouvement qui s'ouvre sur une introduction lente, sorte d'évocation de la genèse, qu'il ne cherche pas au demeurant à faire remonter loin en termes purement sonores : le pianissimo initial est parfaitement audible et cela suffit à établir la magie. Alors que le thème du 2ème Lied du cycle cité s'insinue, le discours s'anime peu à peu et la section allegro progresse en prenant de la vitesse jusqu'à l'ultra rapide. Où l'on croise le chant des cellos, la plainte des bois. La coda développe une extrême énergie dans sa concision. Quel élan ! Le deuxième mouvement, sorte de scherzo, marqué ''vigoureusement animé, mais pas trop vite'', Barenboim lui applique une allure sans concession. Pour traduire à la fois la verdeur et l'allégresse d'une danse de paysans. La manière est vigoureuse mais non dénuée du charme d'un Ländler autrichien lorsque réapparaît le thème du Lied précité. C'est une fête de tous les solos instrumentaux que Malher distribue généreusement, comme celui du cor, sans parler des dessins des cordes où excellent les Viennois. Le trio tranche par un climat plus idyllique qui ferait presque penser à Schubert dans sa nonchalance rêveuse. La péroraison retrouve les débordements énergiques du début.

Le 3ème mouvement, ''solennel et en mesure, sans traîner'', qui développe l'humour cher à Mahler, le sera ici sans insister sur sa charge grotesque. Le solo de contrebasse en forme de marche funèbre sur le thème de ''Frère Jacques'', légèrement obsessionnel, sonne comme dérisoire. Comme le feront les diverses autres entrées dont celle des deux violons solos jouant pianissimo, l'air de ne pas y toucher. Le mélodisme tzigane de la partie centrale du mouvement, au rythme exacerbé, à la bouffonnerie amère, Barenboim le rapproche presque d'une musique Klezmer, tout en assouplissant le burlesque caricatural pour plutôt s'attacher à en faire ressortir l'originale instrumentation. Le tempo s'accélérera de nouveau rapidement et l'aspect démoniaque s'imposera jusqu'à la fin du mouvement qui meurt dans un souffle. Le finale est pris à bras le corps. Après l'explosion attaca, accord cataclysmique, le mouvement alternera les sections rapides et lentes dans une dynamique creusée : "de l'enfer au paradis'', du plus sombre tragique et au lumineux climat triomphant, tout est ici du domaine du dire au-delà des notes. Au fulgurant allegro, quasiment héroïque, succède un premier crescendo intériorisé, puis après de nouveaux déferlements, un second, dans sa majestueuse et presque suave montée et sa progression sonore magistralement managée. Qui n'est pas sans exhaler quelque nostalgie, qu'accentue la pédale de grave. Le thème choral luminescent apparaît pour une coda on ne peut plus glorieuse. Partout on aura admiré la qualité plastique des Wiener Philharmoniker déployant leurs envoûtantes sonorités dans l'acoustique d'une formidable immédiateté de la Philharmonie de Berlin. Il va sans dire que l'ovation fut grande tant pour l'orchestre que pour le chef qui auront démontré combien les ''première symphonie'' de deux musiciens aussi différents que Prokofiev et Mahler sont déjà hautement personnelles et annonciatrices de styles tout aussi originaux. 

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Texte de Jean-Pierre Robert            

 



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