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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : Double Bill Tchaïkovski à l'Opéra Garnier

Iolanta Valentina
Iolanta/Valentina Nafornita, Iolanta & Dmytro Popov, Vaudémont ©Julien Benhamou/ONP

  • Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Iolanta, opéra en un acte. Livret de Modest Tchaïkovski, d'après "La Fille du roi René" de Henrik Hertz
  • Casse-noisette, ballet en deux actes, livret réécrit par Dmitri Tcherniakov
  • Valentina Naforniţa (Iolanta), Dmytro Popov (Vaudémont), Krzysztof Bączyk (Le roi René), Artur Ruciński (Robert), Johannes Martin Kränzle (Ibn-Hakia), Vasily Efimov (Alméric), Gennady Bezzubenkov (Bertrand), Elena Zaremba (Martha), Adriana Gonzalez (Brigitta), Emanuela Pascu (Laura)
  • Chœurs de l'Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano, chef des chœurs
  • Les Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet, Marine Ganio (Marie), Jérémy-Loup Quer (Vaudémont), Samuel Murez (Drosselmeyer), Sébastien Bertaud (Le Père), Émilie Cozette (La Mère), Jean-Baptiste Chavignier (Robert), Jennifer Visocchi (La Sœur)
  • Maîtrise des Hauts-de-Seine, Chœurs d'enfants de l'Opéra national de Paris
  • Orchestre de l'Opéra national de Paris, dir. Tomáš Hanus
  • Mise en scène & décors : Dmitri Tcherniakov
  • Chorégraphie : Sidi Larbi Cherkaoui, Édouard Lock, Arthur Pita
  • Costumes : Elena Zaitseva
  • Lumières : Gleb Filshtinsky
  • Vidéo : Audrey Zelenin
  • Opéra Garnier, le 13 mai 2019 à 19 h
  • Et les 15, 16, 19 (14 h 30), 21, 22 & 24 mai 2019 à 19 h 

Réunir les deux œuvres dissemblables que sont l'opéra Iolanta et le ballet Casse-noisette, comme ils le furent lors de la création en 1892, peut passer pour une gageure. Le metteur en scène plus qu'imaginatif Dmitri Tcherniakov l'a fait à l'Opéra Garnier. Pour un spectacle étonnant qui fusionne les deux histoires en une seule, et rapproche ainsi à peu près toutes les composantes de la scène d'Opéra. Si l'aspect dramaturgique prend encore une fois le pas sur l'aspect purement musical, celui-ci n'en souffre pas, servi qu'il est par un brelan d'interprètes du chant qui mêlent intimement leur savoir à ceux de la danse.

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L'improbable diptyque, formé de Iolanta et de Casse-noisette, est né d'une commande du directeur des Théâtres impériaux de Russie, pour surpasser les productions réputées fastueuses de l'Opéra de Paris ! Tchaïkovski n'était guère enthousiaste à l'idée de faire suivre un opéra dont il avait choisi le thème, par un ballet dont le sujet lui avait été imposé. Et de fait les deux trames sont bien différentes pour ne pas dire opposées. Un opéra, Iolanta, qui conte la curieuse destinée d'une jeune fille aveugle, protégée des regards de tous par le roi René, son père, et qui ne retrouve la lumière que grâce à l'amour du jeune Vaudémont. Un ballet, Casse-Noisette, qui entre de plain-pied dans la féérie pour narrer les aventures de la jeune Marie et d'un Prince issu d'un bonhomme de bois, avatar d'un casse-noisette... Problématique est le rapprochement de deux mondes aux codes bien différents, ceux de la danse et du chant, qui s'adressent à des publics dont le regard n'est a priori pas le même. La réunion de ces pièces n'a d'ailleurs jamais revu le jour depuis la création. Dmitri Tcherniakov relève le défi de tisser des liens entre ces deux univers. Faire du ballet l'épilogue de l'opéra ou de celui-ci le prélude à celui-là ? L'ambition du régisseur russe si situe bien au-delà : il les fusionne en un seul et même corpus.

Iolanta Scene finale
Iolanta/scène finale ©Julien Benhamou/ONP 

Tcherniakov considère Casse-noisette comme une suite logique de Iolanta. Il souligne, modestement, que "ces deux histoires si différentes sont liées par la musique"... "une autre symphonie tragique (que la contemporaine Sixième 'Pathétique') distribuée entre l'opéra et le ballet". De ce dernier, il réécrit la trame : lors de son anniversaire, Marie fait la connaissance d'un beau jeune homme, Vaudémont, se le voit reprocher par sa famille. Sa maison tombe en ruines et elle se retrouve au milieu d'un paysage terrifiant... Mais ne fait-il pas que puiser dans une analyse psychologique, voire d'ordre psychanalytique, qu'appellent les deux œuvres, et qui finalement ne les voient pas si éloignées l'une de l'autre du point de vue du symbolisme véhiculé. Iolanta met en scène des personnages d'une histoire dont la symbolique appartient au conte de fées, avec ses implications morales et le passage par un processus initiatique. La difficulté pour recouvrer la vue que doit surmonter l'héroïne prend sa signification à deux niveaux : un premier, explicite, selon lequel Iolanta ne peut être guérie de sa cécité que si elle en a le désir, le moteur de ce dernier étant l'amour. Le second, plus caché, qui ressortit à l'approche psychanalytique, révèle que la cécité de la jeune fille, c'est l’ignorance de l'amour, dans laquelle son père la maintient, lui refusant de partager sa vie avec un homme. L'épisode des roses blanches et rouges le montre clairement : la blancheur, c'est celle de la virginité, proche de l'ignorance, le rouge, la chair et le sang de la vie. Pareillement, s'il est d'abord un conte féérique, le ballet Casse-noisette cèle des arrière-plans autrement plus signifiants. L'intrigue s'apprécie aussi à deux niveaux, du réel et de l'imaginaire, confrontant le monde de l'enfance avec ce qu'il peut avoir de dureté, et une fantaisie aux confins du démoniaque qui puise sa source dans le récit d’ETA Hoffmann qui en est à l'origine : cette petite Marie qu'on honore au début, n'est-elle pas proche de la jeune Iolanta, et ne va-t-elle pas souffrir des avanies de plus en plus terribles. Tcherniakov fait habilement fonctionner les deux pièces comme un miroir inversé : des ténèbres vers la lumière (opéra), de celle-ci vers le monde effrayant de l'ombre (ballet).

Casse noisette
Casse-noisette/ Valse des flocons ©Julien Benhamou/ONP

Pour ce faire, il réécrit une histoire, du ballet surtout, et l'organise à sa guise, moyennant quelques entorses aux œuvres d'origine, les chœurs relégués en fosse par exemple et l'ajout de bruitages. Le spectacle est constitué non pas de deux, mais de trois parties, afin de ne pas opérer de césure entre opéra et ballet : Iolanta est interrompu après la 7ème scène du duo entre Iolanta et Vaudémont. La 2ème partie voit la fin de l'opéra auquel s'enchaînent directement le ballet et son Ier acte. La 3ème partie du spectacle étant l'acte II du ballet, à partir du tableau de la forêt. L'opéra se déroule dans le salon d'un sanatorium luxueux, muni d'un sapin de Noël, préfiguration de l'univers de Casse-noisette : une pièce exiguë, placée au centre du plateau, comme une sorte de huis clos où est confinée la jeune fille. Cet écrin étroit autorise de échanges serrés entre les protagonistes. Ce lieu se desserre un peu au début du ballet, pour accueillir la foule des invités à l'anniversaire de Marie, et se libérera définitivement dans toute son ampleur scénique à partir de la scène dite de "La Nuit" du ballet, pour révéler quelque extérieur effrayant suite à un cataclysme qui voit tout s'écrouler autour de la jeune fille, Marie/Iolanta, et offrir une vision de cauchemar lors de la "Valse des flocons". Effet spectaculaire à défaut d'être plastiquement séduisant. Les personnages de l'opéra trouvent leur double dans ceux du ballet, où ils sont démultipliés à l'envi. Tcherniakov qui a aussi conçu la décoration, a confié le réglage de Casse-noisette à trois chorégraphes maniant des styles différents, du ''classique'' revisité à une forme de mime dansé dégingandé, en tous cas des visions très physiques et maniant une approche souvent démoniaque, d'un grand pessimisme, s'inspirant de la sienne. Par exemple, plus qu'enchantée, la forêt est peuplée d'êtres effrayants, animaux sauvages, hommes transformés en automates. Reste qu'ils ne peuvent passer sous silence des moments plus joyeux. Encore que bien édulcorés. Le tableau du "Divertissement" singe la vision habituelle d'une sorte de ballet des jouets, bardé qu'il est de poupées géantes se mouvant imperceptiblement ou d'une manière compassée. La "Valse des fleurs", bien triste, qui conclut le tableau, ressort du second degré.

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 Casse noisette 2
Casse-noisette ; Marie ©Julien Benhamou/ONP

La dramaturgie s'appuie, comme toujours, sur une direction précise, même si un peu relâchée à l'occasion de cette reprise. Et est servie par une distribution de haut vol, sans faille. Côté opéra, Valentina Naforniţa offre un portait fouillé de Iolanta, jusqu'à l'exaltation. Même si elle n'a pas l'aura de Sonja Yoncheva, qui créa le rôle dans cette production en 2016, la voix de beau timbre russe possède l'intensité d'une Netrebko et est capable de nuances et d'émotion. Le Robert d'Artur Ruciński, timbre typique russe, rappelant l'or d'un Hvorostovsky, semble sans limite y compris dans le haut du registre du baryton. Bien sonores aussi, Krzysztof Bączyk, Le roi René, et le médecin-magicien Ibn-Hakia, Johannes Martin Kränzle, hier fabuleux Alberich du Ring de Daniel Barenboim à Berlin. On a plaisir à retrouver deux vétérans, Elena Zaremba (Martha), beau métal de mezzo grave, et Gennady Bezzubenkov (Bertrand), basse profonde. Le Vaudémont de Dmytro Popov est en-deçà par un chant souvent passé en force et asséné dans le forte du ténor, comme une incarnation trop au premier degré. Pour ce qui est du ballet, on admire la cohésion de la troupe assimilant avec brio les chorégraphies pleines de fantaisie de Sidi Larbi Cherkaoui, Édouard Lock et Arthur Pita, qui mêlent leurs approches différentes souvent au sein d'un même acte. Tout comme se distinguent un brelan d'Étoiles. S'en détache la Marie de Marine Ganio dont la performance mérite d'être saluée pour son endurance et la manière plus qu'engagée dont elle traduit les diverses facettes du personnage. Les deux partitions sont dirigées de main sûre par Tomáš Hanus. Il tire de l'Orchestre de l'Opéra de Paris des sonorités avantageuses et détache singulièrement les solistes des vents, magnifiant la recherche de timbres si originale à laquelle s'est livré Tchaïkovski pour Casse-noisette. On le sent plus à l'aise dans l'opéra que dans le ballet dont la musique sonne souvent très fort, pour épouser sans doute la tournure bien pessimiste que prend alors la régie. 

Texte de Jean-Pierre Robert    



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