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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : Maria de Buenos Aires, opéra-tango

Maria de Buenos Aires
©Agathe Poupeney

  • Astor Piazzolla : Maria de Buenos Aires, opéra-tango en deux parties et 16 tableaux. Livret : Horacio Ferrer
  • Ana Karina Rossi (Maria), Stefan Sbonnik (ténor), Alejandro Guyot (El Duende)
  • Federico Sanz (violon solo), Carmela Delgado (bandonéon solo)
  • Ballet de l'Opéra national du Rhin, Claude Agrafeil, maître de ballet
  • La Grossa - Orchestre Tipica de la Maison Argentine, dir. Nicolás Aguiló
  • Chorégraphie & décors : Matias Tripodi
  • Xavier Ronze : costumes
  • Romain de Lagarde : lumières
  • Claudio Larrea : vidéo
  • Opéra du Rhin, Théâtre de Colmar, le 16 mai 2019 à 20 h

Dans le cadre de son festival annuel de printemps, "Arsmondo", consacré cette fois à l'Argentine, l'Opéra du Rhin vient de monter Maria de Buenos Aires. Un "petit opéra", ou opéra-tango, écrit sur une musique d'Astor Piazzolla et un texte du poète argentin Horacio Ferrer. Une allégorie musico-dramatique dont l'héroïne, Maria, symbolise à elle seule le tango et aussi la ville de Buenos Aires. Dans une production basée essentiellement sur la danse. Une expérience originale.

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Un de maîtres incontestés du tango, Astor Piazzolla (1921-1992), ne composa qu'un seul opéra, et d'une nature toute particulière. Maria de Buenos Aires est un "operita" ou petit opéra, conçu sur un texte de Horacio Ferrer (1933-2014), le parolier de ses plus célèbres tangos. Y est narrée l'épopée du Tango à travers le personnage d'une femme, Maria, et son parcours chaotique : de sa naissance et son ascension dans les banlieues de Buenos Aires, sa gloire dans les cabarets de la ville, sa descente aux enfers dans ses bas-fonds, sa mort. Mais aussi sa lente renaissance qui à travers l'errance de son ombre, jusque dans le ''cirque des psychanalystes", la mène à être initiée aux mystères de la fécondité et à mettre au monde un enfant, une petite Maria. Nouveau départ, nouveau destin. Ainsi du tango qui meurt et ressuscite, toujours réinventé. Une métaphore, en fait, dès lors que le destin du personnage éponyme ne fait qu'un avec la danse dont elle est l'incarnation. Et une fusion des divers arts que sont la musique, la poésie et la danse, à travers le dire musical combien expressif de Piazzolla et la langue onirique de Ferrer. 

Cette intrigue chargée est traitée au fil de deux parties et seize brèves scènes, dont certaines purement instrumentales. Et par un trio de chanteurs : Maria, mezzo-soprano, un "ténor" qui se voit attribuer plusieurs rôles, et un personnage narrateur, El Duende, l'esprit, qui officie comme récitant. À part le "ténor" dont la partie est entièrement chantée, les interventions des deux autres solistes vocaux sont partagées entre chanté et parlé. Un petit orchestre d'une douzaine de musiciens est à la manœuvre, outre quelques solistes, dont le bandonéon bien sûr, mais aussi la flûte, et le violon qui se voit offrir, à lui seul, plusieurs solos. Dans cette musique si intimement argentine, on perçoit des influences classiques mais aussi jazzy. On y expérimente une bonne dose de nostalgie, jusque dans ses silences, combien évocateurs.

Maria de Buenos Aires 2
©Agathe Poupeney

Comme il en avait été lors de la création à Buenos Aires en 1968, et dans quelques autres éphémères productions (Alfredo Arias en 2003, à Paris et à Caen), cette nouvelle présentation revisite l'œuvre par la danse. La régie est essentiellement chorégraphique. Matias Tripodi l'inscrit dans une mise en espace suggestive, tout de noir et blanc, dont les seuls repères décoratifs sont quelques chaises et des photos de la ville de Buenos Aires projetées à l'arrière plan. Ce qui confère au spectacle un indéniable esthétisme. Les trois personnages s'inscrivent dans l'ensemble des danseurs, leur relatif statisme contrastant avec le mouvement général. Tripodi se libère d'une interprétation narrative au premier degré pour privilégier des espaces poétiques. Il se détache aussi de l'univers habituel du tango qu'il rapproche du débit de la danse actuelle, en en déplaçant les accents vers une gestique épurée plus proche du ballet d'opéra que de l'esprit fantasque du cabaret : une manière extrêmement physique, alternant figures endiablées et vécues comme au ralenti, confrontant les effleurements à distance et l'intime des corps enlacés, opposant tension et abandon. L'ensemble offre réelle fluidité et quelques beaux groupements ou belles idées. Ainsi du narrateur effeuillant quelques parchemins noirs, d'où il semble puiser l'histoire de Maria. Le processus qui connaît nombre des répétitions, par des lâchers plus ou moins hystériques, s'intensifiera en une pluie de feuilles noires s'abattant sur le plateau, visualisation des bas-fonds de la capitale argentine. Encore qu'il soit par endroits difficile de saisir l'exacte correspondance entre figures du ballet et déroulement de l'intrigue, et en particulier de discerner l'étrangeté de certaines situations, comme le "cirque des psychanalystes", par exemple.

Maria de Buenos Aires 3
©Agathe Poupeney

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L'interprétation des danseurs et solistes du Ballet de l'Opéra national du Rhin est habitée de spontanéité, dont se détachent quelques solos et pas de deux spectaculaires. Spécialiste de ce répertoire argentin, Ana Karina Rossi incarne une Maria spectrale, et son chant possède ce ton envoûtant et cette couleur légèrement gutturale qui participent naturellement de l'univers du tango. Dommage que malgré une sonorisation, la voix ne passe pas toujours les démons sonores dont Piazzolla truffe son orchestration, et doive affronter, dans l'auditorium du Théâtre de Colmar, une acoustique d'une immédiateté redoutable. De même, on a peine à suivre le débit excessivement rapide pour nos oreilles non hispaniques d'Alejandro Guyot, El Duende, et partant, le texte en espagnol pourtant intéressant de Ferrer. Dont ce dernier était lui-même l'interprète lors de la création. Le ténor Stefan Sbonnik, membre de l'Opéra Studio de l'OnR, tire son épingle du jeu grâce à une voix bien posée qui projette sans effort par-dessus l'orchestre. L'ensemble La Grossa, composé ici de trois violons, alto, violoncelle, contrebasse, flûte, piano, guitare et percussions batterie et clavier, possède la ''tinta'' argentine et son irrésistible attrait, tour à tour cravaché ou empli de poésie dans la direction tonique de Nicolás Aguiló. Percussions et solos instrumentaux ajoutent à l'ensemble toute son authenticité. 

Texte de Jean-Pierre Robert



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