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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Un monde singulier, les symphonies Nos 2 & 21 de Weinberg

Weinberg Symphonies

  • Mieczysław Weinberg : Symphonie N° 2 pour orchestre à cordes op. 30. Symphonie N° 21 "Kaddish" op. 152
  • Gidon Kremer (violon), Mirga Gražinytė-Tyla (soprano), Oliver Janes (clarinette), Georgijs Osokins (piano), Iurii Gavryliuk (contrebasse - symphonie N° 21)
  • Kremerata Baltica (s. N° 2), City of Birmingham Symphony Orchestra (s. N° 21), dir. Mirga Gražinytė-Tyla
  • 2 CDs Deutsche Gramophon : 483 6566 (Distribution : Universal Music)
  • Durée des CDs : 34 min 21 s + 54 min 38 s
  • Note technique : etoile verteetoile verteetoile verteetoile verteetoile verte (5/5) 

Le compositeur russe Mieczysław Weinberg (1919-1996) a nul doute pâti de l'ombre faite par ses deux contemporains Prokofiev et Chostakovitch. Il n'en est pas moins représentatif de la musique soviétique du XXème siècle, avec laquelle il a cependant pris ses distances. Ses symphonies représentent une part importante de son immense production. Le présent disque en réunit deux que séparent quelques 45 ans et des éclairages bien différents. Mais qui ont aussi des points communs : une singulière virtuosité orchestrale, un climat de tristesse, celle des horreurs de la guerre et de l'holocauste. Elles sont interprétées par une jeune cheffe d'orchestre lituanienne avec laquelle il faudra compter désormais.

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La Symphonie N° 2 op. 30 a été terminée par Weinberg en 1946. Elle révèle déjà une grande dextérité d'écriture. Sa facture pour les seules cordes lui confère une texture limpide, sans pour autant être dépourvue de soubassement dramatique, comme il en sera de toutes les œuvres symphoniques postérieures. En trois mouvements enchaînés de durée à peu près équivalente, elle offre un langage directement accessible dans une dialectique qui a à voir avec la manière de son ami et protecteur Dimitri Chostakovitch. Dans l'Allegro moderato initial, les quatre groupes de cordes principaux sont traités comme le serait un quatuor. La forte progression dynamique soudain se dissout dans des pianissimos chantants. Une alternance entre vif et lent caractérise le développement comme la récapitulation. L'Adagio s'enchaîne pour une large méditation, là encore imposant les écarts dynamiques et de tempos. On remarque un étonnant travail sur les cordes pianissimo où le temps semble comme suspendu ou au contraire un jeu sur la tension. La coda se distingue par un solo de violon ppp. L'Allegretto final reprend le mode aisé du premier mouvement, dans une sorte de radiance raisonnée, le jeu en pizzicatos apportant une dose de légèreté. L'œuvre s'éteint dans un long souffle. La virtuosité des cordes de la Kramerata Baltica dont son chef titulaire Gidon Kremer a cédé le bâton à Mirga Gražinytė-Tyla, est digne d'éloges. 

Toute autre est l'atmosphère de la Symphonie N° 21 "Kaddish", op 152, la dernière pièce achevée que Weinberg confiera à l'orchestre, en 1991. "Le chant du cygne de Weinberg", remarque Mirga Gražinytė-Tyla. Ce testament résume la thématique essentielle de toute l'œuvre du musicien : l'histoire sombre du XXème siècle, singulièrement les ravages de la Seconde guerre mondiale, et les pénibles souvenirs personnels de Weinberg dont la famille a été déportée. Un océan de mélancolie et une forme épique opposant le grand orchestre et des passages chambristes caractérisent une symphonie de près d'une heure, d'un seul tenant. Où l'on discerne six parties. Un vaste Largo la débute par un solo de violon, inspiré d'un Lied du Knaben Wunderhorn de Mahler. Plus loin, un solo de clarinette qui s'enlace ensuite avec la flûte sur un vaste apparatus des cordes tient en haleine, comme ces autres passages de musique de chambre conduits par le violon solo joué pianissimo sur le fil de l'archet. Une réminiscence de la Ballade N°1 de Chopin traverse un continuum mystérieux de tout un orchestre assagi dont ressortent quelques traits étouffés de cuivres. Une section Allegro surgit avec cuivres et percussions jusqu'à un grand climax. Un autre Largo s'enchaîne sur le même ton déclamatoire et fortissimo, mais qui se résout, à une échelle plus réduite, par un curieux solo de contrebasse tout de désespérance, préludant à un solo de clarinette aiguë dans le style klezmer. Un Presto suit dans la manière grotesque de Chostakovitch, en forme de scherzo très exposé aux cordes à pleine puissance. De nouveau le discours bascule dans un solo de violon lent et profond. La transition avec la section Andantino apporte un autre contraste sur une pédale d'orchestre assagi, que traversent des pizzicatos du violon, toujours dans un climat d'infinie tristesse, celle d'une rétrospection endeuillée. Des accords grandioses conduisent au Lento final ressassant une longue lamentation traversée de sonneries de cloches et des mélismes d'une voix de soprano dialoguant avec la clarinette : étonnante mélopée incantatoire qui ouvre sur un ailleurs étrange, où repasse, fugace, le thème de la Ballade de Chopin. La péroraison sera épique et pianissimo à la fois, comme il en aura été de bien des moments de la symphonie, qui finit dans un souffle.

Mirga Gražinytė-Tyla, pour son premier CD sous label DG, en propose une interprétation on ne peut plus inspirée. Cette jeune femme, lauréate du Salzburg Young conductor Awards en 2012, est depuis 2016 directeur musical du City of Birmingham Symphony Orchestra, quelques années après la tenure d'un certain Simon Rattle. Le souffle avec lequel elle s'empare de cette musique éminemment contrastée force le respect, ses espaces emplis de mystère, ses styles si divers, ses ruptures entre grand orchestre et passages chambristes, ses solos, dont celui de la voix, la sienne ! L'orchestre de Birmingham sonne brillamment. Gidon Kremer, l'un des meilleurs défenseurs de la musique de Weinberg, confère aux solos de violon une vision d'une authenticité qui ne saurait être discutée.

L'enregistrement de la symphonie N° 21, dans la salle du CBSO, offre une image claire, aérée et bien proportionnée eu égard à la facture particulière de l'œuvre. La symphonie N°2 pour cordes, captée en studio à Vilnius, bénéficie d'une prise de son toute aussi réussie, avec un léger effet de réverbération.

Texte de Jean-Pierre Robert 

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