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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Quatuors de Janáček et de Ligeti par le Belcea Quartet

Janacek ligeti Balcea Quartet

  • Leŏs Janáček : Quatuor à cordes N° 1 "Sonate Kreutzer". Quatuor à cordes N° 2 "Lettres intimes"
  • György Ligeti : Quatuor à cordes N° 1 "Métamorphoses nocturnes"
  • Belcea Quartet
  • 1 CD Alpha : Alpha 454 (Distribution : Outhere music)
  • Durée du CD : 70 min 35 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile grise (4/5)

Ce généreux CD offre un couplage intéressant, sinon audacieux, dans le domaine du quatuor à cordes, puisque regroupant les deux œuvres que lui a consacré Leŏs Janáček et le premier de ceux composés par György Ligeti. Ils sont interprétés par une formation, le Belcea Quartet, qui sait le pouvoir expressif de ces musiques d'un relief singulier.

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Il aura fallu à Leŏs Janáček atteindre la grande maturité pour aborder le genre du quatuor à cordes. Une source littéraire singulière, puis la passion dévorante pour celle qui deviendra son égérie et sa muse, Kamila Stösslova, en auront été successivement le moteur. Car il livre là deux pièces d'un pouvoir expressif inouï, même si la forme est plus que bousculée. Le Quatuor à cordes N° 1, "Sonate Kreutzer", écrit en 1923, est inspiré du roman éponyme de Léon Tolstoï. Y transparaît toute la dramaturgie de cette nouvelle tragique d'un triangle amoureux qui voit périr les deux amants sous le poignard d'un mari jaloux, alors même qu'ils jouent la sonate de Beethoven. Le langage heurté et constamment changeant du musicien trouve là matière à s'exprimer dans une œuvre d'une incroyable difficulté technique, qui voit éclater tous les repères formels. Car ses quatre mouvements offrent une structure non fondamentalement différente, avec cette indication ''con moto'' les définissant tous, et un sens de la répétition qui pourtant n'est qu'apparence car la musique n'est jamais la même. Le texte musical ne comprend ni transition ni développement, mais s'organise plutôt en une succession de brèves séquences émiettées, de changements incessants de tempo et de tonalité, miroirs de la mobilité des émotions, comme à l'adagio introductif. Au mouvement suivant, on croise un vrai faux rythme de valse fugace. Un autre, encore plus échevelé, est traversé de grincements horribles essayant de troubler un semblant de mélodie. Enfin le dernier l'est de traits sabrant le discours, jusqu'à une fin où tout s'évanouit. Dans cet univers ingrat, les Belcea sont à l'aise et en assument l'énorme chalenge instrumental.

L'expression d'une passion hors du commun pour Kamila Stösslova, totalement assumée, est au cœur même du Quatuor N°2 "Lettres intimes", de 1926. Là encore, le langage est à la limite de l'ésotérique, formant une sorte de code secret des amours du vieux musicien pour sa jeune muse. La logique interne de l'œuvre ne se dévoile pas d'emblée, même si quelques thèmes ressortent clairement. Ainsi de l'Andante dont "la couleur est celle de l'attente et de l'émerveillement", selon Guy Erismann (in "Janáček ou la passion de la vérité" ; Seuil), où l'on note le rôle pivot de l'alto. Comme il en ira à l'Adagio vivace - curieuse indication !- qui voit l'exaltation poétique prévaloir à partir d'une courte figure de cet instrument. Le travail motivique est puissant, exacerbé, au fil de sections différentiées, dont un presto du violon I, ou de petits traits subreptices et tendres de ce même instrument rappelant tel thème de l'opéra La petite renarde rusée. Voilà un scherzo qui ne dit pas son nom. Le Moderato traduit quelque langueur dans un ton apaisé, bien chantant et légèrement scandé. Chaque voix commente de brefs instants de béatitude et tout repart vite dans d'autres bourrasques. Le finale débute dans un mode joyeux, où s'installe une succession de thèmes et de tempos variés : déclarations éperdues, bouts de dialogues, moments d'exaltation ou de lyrisme apaisé. Toutes les possibilités techniques sont utilisées à des fins expressives, des plus habituelles (pizzicatos, jeu sul ponticello) aux plus audacieuses : intervalles vertigineux, jeu sur le crin de l'archet. Ce que les Belcea là encore assument avec brio. 

Le Quatuor N° 1 " Métamorphoses nocturnes", que György Ligeti compose en 1953/54 et créé à Vienne en 1958, est d'un seul tenant. Il est basé sur la forme de la variation : "Une suite de variations de caractère sans thème propre", dira l'auteur. Là aussi, les techniques de jeu sont innovantes et on ne peut plus complexes. C'est souvent un tourillon sonore fragmenté, comme chez Janáček, aux rythmes enchevêtrés, mais traversés de sections formelles classiques, sortes d'îlots tonals. Ligeti fait abonder les contrastes dynamiques, du fortissimo rageur au murmure impalpable, créant un nuancier fascinant. Toute une dramaturgie s'y déploie dans un continu qui répond, comme chez le compositeur tchèque, à une idée forte au-delà d'un simple assemblage de motifs. On y rencontre soudain un relent de danse russe qui verse dans une débauche de traits comme déchiquetés, eux-mêmes sanctionnés par des phrases extrêmement calmes et raffinées. Ou plus tard, une sorte de course saccadée. Cela s'achève pourtant dans un souffle. C'est peu dire que la technique du quatuor à cordes connaît là de nouveaux et intéressants développements. La phénoménale technique requise n'a pas de secret pour les Belcea Quartet qui en offrent une exécution de haut vol.

Les enregistrements, à la Philharmonie de Luxembourg, privilégient une image frontale, analytique, offrant un bel espace à chaque instrument, manière intéressante pour apprécier les diverses facettes de ces trois pièces. 

Texte de Jean-Pierre Robert

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