CD : Préludes et Ricercari pour violoncelle
- Domenico Gabrielli : Ricercari per il violoncello solo
- Sofia Gubaidulina : 10 Préludes (Études) pour violoncelle solo
- Benoît Menut : Postlude pour violoncelle solo
- JS Bach : Préludes des 6 Suites pour violoncelle seul
- Patrick Langot, violoncelle
- 1 CD Klarthe Records: K066 (Distribution : PIAS)
- Durée du CD : 81 min 07 s
- Note technique : (5/5)
Voilà une proposition tout à fait singulière qui voit le violoncelliste Patrick Langot associer ancien et moderne, de Domenico Gabrielli à Sofia Gubaidulina, de JS Bach à Benoît Menut. Ou comment par la magie de ce seul et envoûtant instrument préluder... Un disque qui assurément sort de l'ordinaire, instaurant un fascinant moment de méditation.
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Qu'est-ce que préluder en musique ? "C'est en général chanter ou jouer quelque trait de fantaisie irrégulier & assez court, mais passant par les cordes essentielles du Ton", enseigne Jean-Jacques Rousseau dans son Dictionnaire de musique. C'est aussi se souvenir de la signification originelle d'improvisation du mot "prélude", rappelle Patrick Langot. Il associe avec audace, mais finalement à propos, des musiciens qui ont cultivé l'art du violoncelle seul. On pense immédiatement à JS. Bach et ses Six Suites a violoncello solo sanza basso des années 1719. Dont il joue ici le prélude qui ouvre chacune de ces pièces. Mais aussi et "pour préluder aux préludes de Bach", fait-il dialoguer l'Alpha et l'Oméga de la forme : les Ricercari per il violoncello solo de Domenico Gabrielli (1659-1690) et les 10 Préludes pour violoncelle solo de Sofia Gubaidulina (*1931).
S'il peut sembler un peu frustrant de n'entendre que le prélude de chacune des Suites pour violoncelle seul de Bach, du moins se console-t-on de ce choix par la pertinence du propos d'ensemble. Et surtout eu égard à la pénétrante interprétation qu'en livre Langot mêlant rigueur et sentiment d'improvisation. Mais là où le programme se fait vraiment innovant, c'est dans le parcours croisé qu'il tisse entre les pièces de Gabrielli et de Gubaidulina que trois siècles séparent pourtant. Avec Gabrielli, était déjà franchie une étape dans l'histoire de l'instrument : il s'émancipe en effet du rôle de basse pour prendre son autonomie. Le Ricercar, mot qui en italien signifie recherche, est l'ancêtre du prélude et fugue. Les sept morceaux qui composent les Ricercari pour violoncelle seul prennent la forme soit d'une fantaisie quasiment improvisée, soit d'une sonate en plusieurs parties comme le "Ricercar N°2", qui progressant de plus en plus rapide, exige une étourdissante habileté technique. Les 10 Préludes pour violoncelle seul, appelés encore "Études", que Sofia Gubaidulina écrit en 1974 (et qu'elle révisera en 1999), semblent à des années lumière de cette musique. Et pourtant ils renouent avec les origines de la forme. Avec tout le confort moderne en termes de techniques de jeu susceptibles de faire sonner autrement un instrument déjà chantant par excellence, poussé ici à ses limites extrêmes. Ce sont des pièces qui laissent une certaine part de liberté à l'interprète et qui jouent aussi avec le silence. Ainsi du IIème "con sordino", presque tonal et qui s'éteint dans le silence. Ou de tel autre privilégiant un jeu dépourvu de legato (IV-"Ricochet"), offrant des sonorités stratosphériques (VI-flagioletti") ou tempétueuses (VII-"al taco"). Langot entremêle toutes ces pièces dans un ordre soigneusement réfléchi : celles de Gabrielli dans une succession non chronologique, mais celles de Gubaidulina en respectant leur distribution. Créant des contrastes singuliers. En tout cas montrant deux manières de concevoir la modernité, celle propre à leur époque respective. Il ajoute en bonus une pièce écrite en 2017, spécialement pour ce programme, par le compositeur français Benoît Menut (*1977) : Postlude pour violoncelle solo. Encore une autre façon de préluder, dans un geste peut-être plus démonstratif et d'une autre expressivité, recourant à une large palette et un son presque orchestral.
Parfait exemple de la vitalité de l'école française de violoncelle actuelle, Patrick Langot mène une carrière de soliste et de concertiste, de par ses fonctions de violoncelle solo de La Chapelle Rhénane et des Musiciens du Louvre. Chambriste passionné, il a fondé, avec entre autres, Thibault Noally, premier violon de cette dernière formation, un ensemble original avec piano, le Quintette Syntonia. Le moins qu'on puisse dire est qu'il est à l'aise dans ces morceaux. Il les joue sur trois instruments différents, de facture bien spécifique. Ainsi de celui avec lequel il interprète les préludes de Bach, à l'exception du dernier : un violoncelle baroque "arlequin" des années 1700, au son feutré, plus sourd que les deux autres, et en particulier celui, adopté pour le prélude de la suite BWV 1012, dit "violoncello piccolo" de Leila Barbedette de 2011, au son plus brillant. Au-delà de la prouesse technique et de l'ingéniosité de la programmation, voici des exécutions finement pensées qui font de ce premier CD en solo une fière réussite.
L'enregistrement, à la chapelle Notre-Dame de Bonsecours à Paris, favorise une acoustique très aérée.
Texte de Jean-Pierre Robert
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