CD : "Amour et Mars", avec Clément Janequin et Claude Le Jeune
- Clément Janequin & Claude Le Jeune : "Le chant de l'Alouette", "Le chant du Rossignol"
- Clément Janequin : "J'ay dict, j'ay faict". "Au joly jeu du pousse avant". "Ô mal d'aymer"
- Claude Le Jeune : "Fuyons tous d'amour le jeu". "Ô voix, ô de nos voix". "Arm' arm' "
- Pierre Guédron : "Puisque les ans n'ont qu'un printemps"
- Pièces instrumentales de Nicolas Vallet, Claude Le Jeune
- Thélème, dir. Jean-Christophe Groffe
- 1 CD Coviello classics : COV 91908 (www.covielloclassics.de)
- Durée du CD : 58 min 33 s
- Note technique : (5/5)
C'est à un intéressant programme de musique de la Renaissance que nous convie l'ensemble suisse Thélème : une brassée de chansons de Clément Janequin et de Claude Le Jeune. Sur le thème éminemment porteur de la conquête amoureuse via l'imagerie militaire.
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L'amoureux est souvent proche du soldat. On le sait depuis Ovide qui professe que l'amant tient son rival à l'œil comme le soldat son ennemi. Mars et Cupidon rivalisent sur ce terrain entre jeu de l'amour et jeu guerrier. Deux compositeurs essentiels du XVIème illustrent les joutes d'humeurs ardentes et belliqueuses : Clément Janequin (1485-1558) et Claude Le Jeune (1530-1600), chantres du figuralisme en musique. Le second reprend le flambeau du premier : s'il y a parenté des effets, ce le sera avec des moyens différents. Le programme concocté par Thélème illustre ce passage de relais entre l'un et l'autre, quoique il n'y ait pas, observe Jean-Christophe Groffe, de progression linéaire au cours d'un siècle qui se veut de transition et où circulent librement thèmes et langages musicaux. Cette mise en abîme se fait à partir de deux pièces, composées par Janequin et "augmentées" par Le Jeune. Avec "Le chant de l'Alouette" (1603), à l'écriture à quatre voix du premier, succède celle à cinq voix du second, développant le principe de reprise et d'amplification. L'imitation du chant de l'oiseau baladeur et qui voit tant de choses, procède par l'usage d'onomatopées cocasses et des décalages rythmiques, au fil de couplets truffés d'allusions et bourrés d'empilements de mots. Pour, par exemple qualifier le ''le traître cocu", de "Teigneux, tondu, morveux, bossu, boiteux, tortu, rongneux, têtu, brigneux, battu"... Il en va de même dans "Le chant du Rossignol" qui cultive pareil mimétisme.
Des pièces de Janequin, on savoure le piquant de la chanson "J'ay dict, j'ay faict pour sa beauté", ou le sous-entendu du jeu d'amour de "Au joly jeu du pousse avant", d'une veine toute rabelaisienne. "Ô mal d'aymer" est en revanche proche du lamento. Chez Le Jeune, le langage se fait plus raffiné comme le montre "Fuyons tous d'amour le jeu". "Ô voix, ô de nos voix" séduit par son effet d'écho, un motif emprunté encore à l'antiquité et à Ovide qui dans les Métamorphoses, met en scène la nymphe Écho. La petite cantate ou saynète "Arm, arm, - la guerre" porte le langage figuraliste à son apogée dans des épisodes contrastés mêlant l'amoureux et le guerrier, par l'utilisation, au fil des diverses strophes, de combinaisons différentes, à 3,4 ou 5, voire 6 voix, et de styles variés.
Quelques morceaux instrumentaux agrémentent ce panorama. Comme le "Prélude" de Pierre Attaingnant (1494-1552), lui-même fameux imprimeur de musique, une courante de Mars de Nicolas Vallet (1583-1642), ou la "Pavane la bataille'' d'un auteur anonyme, censée rappeler celle de Janequin, et visant ici à introduire la chanson de Le Jeune "Arm', arm' ".
L'ensemble Thélème, fondé en 2003 par Jean-Christophe Groffe, composé de musiciens issus de la Schola Cantorum Basiliensis, compte ici 6 chanteurs et 5 instrumentistes. Dont deux hautes-contre, le timbre de l'un rappelant celui légèrement acidulé de Dominique Visse. Groffe est lui-même basse. Ils disent et chantent le vieux français avec cette pointe d'accent délicieux qui voit notamment chaque fin de mot souligné de sa consonne. Les inflexions tour à tour douces ou joliment rythmées de la polyphonie de la Renaissance n'ont pas de secret pour eux, comme l'esprit qui est à la base de ce langage métaphorique fleuri.
L'enregistrement, en studio en Suisse, offre une image agréablement aérée.
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Texte de Jean-Pierre Robert
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