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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert : à Salzbourg, Riccardo Muti fait magistralement résonner le Requiem de Verdi

Requiem Verdi Festival De Salzbourg 1
Riccardo Muti dirigeant les Wiener Philharmoniker ©SF/Marco Borrelli

  • Giuseppe Verdi : Messa da Requiem pour quatre voix solistes, chœur mixte et orchestre
  • Krassimira Stoyanova (soprano), Anita Rachvelishvili (mezzo-soprano), Francesco Meli (ténor), Ildar Abdrazakov (basse)
  • Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Ernst Raffelsberger, chef des chœurs
  • Wiener Philharmoniker, dir. Riccardo Muti
  • Grosses Festspielhaus, Salzburg, mardi 13 août 2019, à 21h 

Le Festival de Salzbourg brille autant par ses concerts symphoniques que par ses opéras. Les concerts de mi-festival, autour du 15 août, sont toujours des moments d'exception. Longtemps ils furent dirigés par Herbert von Karajan. Ils le sont aujourd'hui par Riccardo Muti, un chef choyé céans. Qui dédiait cette série de concerts à la mémoire de son illustre prédécesseur disparu il y a trente ans, le 16 août 1989. Comment mieux le célébrer que par une exécution du Requiem de Verdi, une des œuvres emblématiques du chef autrichien. Une interprétation incandescente à la fois de force et de ferveur.

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La Messa da Requiem a été écrite en hommage au poète Alessandro Manzoni dont la mort avait si profondément marqué Verdi. Il en dirigera la création à Milan en 1874, successivement à l'église San Marco et au théâtre de la Scala. Puis peu après à Paris, à l'Opéra Comique. C'est peu dire qu'elle est une œuvre grandiose, dont la théâtralité n'est pas absente. Mais pouvait-il en être autrement chez Verdi ? Qui dépasse la catégorisation entre musique religieuse et opéra. On sait la boutade du chef d'orchestre Hans de Bülow qui y voyait "un opéra en habits ecclésiastiques", aussitôt contredit par Johannes Brahms, criant à "l'œuvre de génie". En réalité l'agnostique Verdi, en célébrant la mémoire de l'homme profondément croyant qu'était Manzoni, abolit les frontières et transcende les genres. Bien sûr, la vision du Jugement dernier émanant du ''Dies Irae'', nantie de ses tonitruants appels de cuivres et de ses forte assourdissants à l'unisson, est le signe d'une puissance divine plus terrifiante qu'indulgente. Mais peut-on résister à pareil tumultueux déferlement ? Ailleurs, on est frappé par la merveilleuse polyphonie vocale achevée par l'auteur d'Aïda autant que par les combinaisons de timbres réalisées au sein du quatuor vocal, qui n'ont rien à envier aux plus belles pages de ses opéras.

Requiem Verdi Festival De Salzbourg 2
Riccardo Muti ©SF/Marco Borrelli 

Il est des exécutions où tout semble tomber sous le sens. Celle de Riccardo Muti est de celles-là. On sait l'immense affection qu'il porte à la musique de Verdi. On sait aussi combien légendaire est la symbiose entre le chef italien et les musiciens des Wiener Philharmoniker. On se souvient de leur prestation au Festival de Salzbourg dans un Macbeth d'anthologie, tout comme plus récemment pour Aïda. L'élégante gestuelle du chef italien qui respire la musique trouve en ces instrumentistes d'élite comme un prolongement naturel. Et ils le lui rendent bien. Muti, qui ne lésine pas sur la dynamique, assène abruptement les coups de grosse caisse du "Dies Irae" et y déchaîne ses forces en un geste quasi cataclysmique. Il dispose les quatre trompettes de part et d'autre dans l'auditorium. Mais on ne saurait mesurer cette exécution à l'aune de ce seul passage, fût-il le plus spectaculaire. Les quinze séquences de cette magistrale fresque musicale sont ici autant d'intenses moments de réflexion et de ferveur où chaque tempo est pensé, souvent dans le versant retenu, comme il en est des premières pages, pour laisser prospérer l'impact du texte chanté. Qu'il s'agisse des solos, duos, comme le bouleversant ''Recordare Jesu pie'', où fusionnent les deux voix de femmes, ou des ensembles, tel le calme ''Quid sum miser'', réunissant soprano, ténor et mezzo, bercé par le chant du basson, extrêmement proportionné, ou encore le quatuor vocal au complet, à l'Offertoire, tout ici signe l'inspiration la plus aboutie. Et peu importe que tel trait ''rappelle'' une page d'opéra, telle la mélodie du ''Lacrimosa'', où l'on perçoit dans l'accompagnement du hautbois, le souvenir de Don Carlo. Verdi a écrit là comme il le sentait, et on ne saurait lui reprocher sa manière. Que dire des saisissants contrastes comme cet enchaînement proprement inouï entre l'air de basse du "Confutatis maledictis" et sa véhémente faconde venant tout juste après l'aigu final de celui du ténor concluant "l'Ingemisco".

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Riccardo Muti, Enrst Raffelsberger, Ildar Abdrazakov, Francesco Meli, Anita Rachvelishvili, Krassimira Stoyanova ©SF/Marco Borrelli

Le quatuor vocal réuni pour cette exécution fonctionne à merveille. Il est emmené par la voix suprêmement timbrée de la mezzo-soprano Anita Rachvelishvili dominant un déclamatoire ''Liber scriptus'' qui se conclut par un ultime ''nil'' comme murmuré. Quel timbre solaire et quelle intensité dans l'expression, qui brilleront encore au "Lacrimosa" dans les premières interventions de la mezzo. Une telle prestation rejoint celle de ses plus illustres devancières à Salzbourg, Christa Ludwig ou Elina Garanča, par le naturel du chant et la profondeur de l'expression. La basse Ildar Abdrazakov sait ne pas charger d'effets inutiles des phrases telles que ''Mors stupebit'' ou ''Confutatis maledictis'', ce qui en libère d'autant la force expressive. Sa voix d'airain, désormais si associée aux rôles verdiens, comme celui de Philippe II, déploie ses formidables harmoniques à l'envi. Krassimira Stoyanova, qui fut ici une magistrale Maréchale dans Der Rosenkavalier, pare la partie de soprano de son timbre immaculé, comme au ''Libera me'' qu'elle aborde avec un dramatisme non forcé. Le fil de voix lors des dernières notes est justement extatique. Francesco Meli, hier Manrico dans Il Trovatore sur cette même scène, prête à "l'Ingemisco" les prestiges d'un ténor alliant force et nuances, ce dernier aspect encore plus remarquable à l'heure de "l'Hostias". La contribution chorale n'est pas moins remarquable. Les chœurs de l'Opéra de Vienne savent leur Verdi comme peu : la séquence du ''Sanctus'', sorte de scherzo en forme de double fugue, d'une étonnante légèreté entre les mains de Muti, comme leurs diverses autres interventions, singulièrement à "l'Agnus Dei" ou aux dernières pages du "Libera me", sont frappées au sceau de la lisibilité et là encore de la ferveur, si idéalement unies aux couleurs diaprées que distillent les Viennois. On sort de cette exécution impressionné et rasséréné tout à la fois. Bouleversé en tout cas.

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Texte de Jean-Pierre Robert 



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