CD : Le couronnement de Poppée live à Salzbourg
- Claudio Monteverdi : L'incoronazione di Poppea. Dramma musicale en un prologue et trois actes. Livret de Giovanni Francesco Busenello
- Sonya Yoncheva (Poppea), Kate Lindsey (Nerone), Stéphanie d'Oustrac (Ottavia), Carlo Vistoli (Ottone), Renato Dolcini (Seneca), Dominique Visse (Arnalta), Ana Quintans (Drusilla, Virtù), Marcel Beekman (Nutrice, Famiglare di Seneca I), Lea Desandre (Amore, Valletto), Tamara Banjesevic (Damigella, Fortuna), Virgile Ancely (Mercurio, Console II), Alessandro Fisher (Lucano, Famiglare di Seneca II, Soldato I, Tribuno), Claire Debono (Pallade, Venere), David Webb (Tribuno II, Littore capitano, Soldato II), Padraic Rowan (Famiglare di Seneca III, Console I, Littore)
- Les Arts Florissants, clavecin et dir. : William Christie
- Mise en scène : Jan Lauwers
- 3 CDs + 1 DVD Harmonia Mundi : HAF 9802622.24 (Distribution : PIAS )
- Durée des CDs : 62 min 28 s + 67 min 44 s + 56 min 26 s
- Note technique : (5/5)
Cette nouvelle version de l'ultime ''dramma musicale'' de Monteverdi, Le couronnement de Poppée, est le reflet des représentations données au Festival de Salzbourg 2018. Elle offre une exécution musicale de premier ordre qui rejoint sans mal ses plus illustres devancières au disque, grâce à la direction stylée de William Christie et à une distribution d'une parfaite homogénéité. La saisie live, magistralement réalisée à la Haus für Mozart, ajoute à l'événement.
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L'incoronazione di Poppea, créé en 1643, est le chef-d'œuvre d'un compositeur de 75 ans, qui sur un texte du librettiste Busenello, inspiré de Tacite, illustre un drame historique sur fond de passions humaines exacerbées. On est saisi par une galerie de portraits d'une rare précision, combien ambivalents au point d'être tour à tour critiquables par la noirceur de leurs desseins ou leur duplicité, mais aussi attachants par une désarmante sincérité qu'emporte la force des sentiments amoureux. Nerone répudie Ottavia pour épouser Poppea, femme désirable autant qu'ambitieuse, ce qui la conduit à repousser son soupirant Ottone. C'est lui qu'Ottavia choisit pour venger son amour propre et tenter d'assassiner sa rivale. Le Philosophe Seneca qui demeure impuissant à faire échouer le projet matrimonial de Nerone, est condamné par celui-ci au trépas. Une constellation de personnages secondaires mais non moins essentiels, nourrices vénales, valets lubriques et autres soldats raisonneurs, complètent le panel, au fil d'une intrigue qui sait ménager de saisissants contrastes, presque shakespeariens, apportant parfois une pointe de comique au plus fort de la tragédie. Tel l'échange piquant entre Damigella et Valletto, juste après la scène de la mort de Seneca, ou plus loin la cynique victoire de la nourrice Arnalta, qui suit la déploration bouleversante d'Ottavia et ses adieux au monde. La partition de Monteverdi, « une des plus merveilleuses musiques du monde », proclame Christie, pare tout cela d'une aura de beauté insigne.
William Christie et le continuo ©SF/Maarten Vanden Abeele
On sait les difficultés que soulève toute interprétation de cette œuvre, dont il existe deux versions, dites vénitienne et napolitaine, copies par des assistants du maître à partir d'un original perdu. William Christie, qui faisait de tardifs débuts scéniques à Salzbourg, a opté pour une version intimiste, au plus près des intentions de Monteverdi : constituée, d'une part, d'un petit ensemble de 6 musiciens agissant comme un groupe de solistes, clavecin – qu'il joue lui-même -, deux violons, une petite flûte recorder et deux cornetti (cuivres), d'autre part, d'une large section de continuo, composée de 10 parties. Chacune de ces deux entités est physiquement disposée de part et d'autre du plateau. Il ne dirige pas, au sens habituel et frontal du terme, mais du clavecin donne l'impulsion aux chanteurs. Car tout vient de ceux-ci, prééminence que traduit la mise en scène. Le rendu sonore est rien moins que fusionnel et d'une vraie transparence, grâce à la souplesse des tempos, de l'extrême alangui au vif irrésistible, comme à la finesse du phrasé ciselé. D'une étonnante proximité aussi, enveloppant les voix par la chaude palette du continuo qui, la majeure partie du temps, accompagne le recitativo et les dialogues. L'enchaînement des scènes sans solution de continuité au cours de chacun des trois actes, permet la mise en exergue des contrastes.
Kate Lindsey/Nerone & Sonya Yoncheva/Poppea ©SF/MaartenVanden Abeele
Le volet vocal offre l'excellence. Intéressante est la distribution des voix, qui privilégie les timbres clairs chez des chanteurs jeunes rompus à l'idiome baroque et ses ornementations spécifiques. Sonya Yoncheva, qui mène actuellement la brillante carrière que l'on sait dans Verdi ou Puccini, a connu ses premiers succès dans le répertoire baroque. Ne fut-elle pas des premières promotions du Jardin des voix de Christie. Elle revient avec Poppea à un territoire exigeant longueur de la déclamation dans le recitar cantando et palette de nuances extrêmes. Le large ambitus du soprano est un avantage, assurant une large réserve pour de longs fils de voix et des pianissimos évanescents. Elle impose une femme résolue et ambitieuse, sûre de son pouvoir sur Nerone. Celui-ci est incarné par la mezzo-soprano Kate Lindsey, contrairement à l'option retenue par Christie pour une précédente exécution, qui confiait le rôle à un contre-ténor (Philippe Jaroussky dans la version DVD enregistrée en 2011 au Teatro Real de Madrid/Erato). La ligne vocale est sûre, même si on perçoit quelque dureté çà et là, conséquence peut-être de l'interprétation souvent paroxystique imposée par la mise en scène : un personnage autoritaire qui n'a de cesse de mettre en avant une détermination farouche, voire une certaine forme d'hystérie. L'assortiment de ces deux voix est remarquable, lors des duos, comme ceux enflammés de l'acte I. Le duo final est d'une beauté à couper le souffle, alors que les deux timbres s'unissent peu à peu, comme s'enlaçant, dans une douce langueur érotique - celle-là même qui présidait à leur premier échange deux actes plus tôt - et de plus en plus lentement, comble de l'extase amoureuse. Stéphanie d'Oustrac, Ottavia, est tout simplement impériale. Le souffle de la tragédie passe dès le premier monologue ''Reine méprisée'', à l'acte I, à travers une voix aussi inextinguible qu'est assurée la puissance du portrait. On est bouleversé, au monologue final ''Adieu, Rome'', par une telle affliction habitée jusqu'à cet impressionnant silence dont se détache le dernier ''a Dio''. Assurément une des gloires de ce cast.
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Stéphanie d'Oustrac/Ottavia ©SF/Maarten Vanden Abeele
Qui comporte encore bien des atouts. Comme le soprano bien sonnant d'Ana Quintans (Drusilla et Virtù), ou les prestations de Lea Desandre, à la fois Amor, décidé, et Valletto plein de fougue. La brochette de contre-ténors n'est pas moins prestigieuse : Carlo Vistoli campe un Ottone tout sauf velléitaire. Marcel Beekman, en Nourrice, de son timbre corsé et en même temps d'une extrême clarté dans l'aigu, rivalise avec le vétéran Dominique Visse (Arnalta). Dans un de ses rôles fétiches, le français mêle habilement, diaboliquement presque, l'histrion, le sarcastique insinuant, dans les divers registres dont le plus grave, comme dans le dernier monologue ''Je suis née servante et je vais mourir matrone''. Et en même temps une douceur angélique. Ainsi à l'heure de la berceuse chantée à sa maîtresse ''Étends-toi, Poppée'', hypnotique avec des pianissimos envoûtants. Pour Seneca, on a fait appel non à une basse, mais à un baryton. Renato Dolcini offre un timbre clair là aussi. Quelques intonations discutables au début s'estompent avec l'aria ''Solitude aimée'' et surtout l'air final ''Amis, l'heure est venue''.
La captation en direct dans la salle Haus für Mozart de Salzbourg, réalise le tour de force d'une restitution fidèle de la spatialité du spectacle avec une vraie profondeur de champ, sans jamais amoindrir l'image sonore. Et l'écoute n'est pas gênée par les bruits - peu importants il est vrai - de la mise en scène, qui mise beaucoup sur la danse. Voix et dispositif instrumental ont un indéniable relief, le second bien que réparti en deux pôles, enveloppant parfaitement les premières.
Texte de Jean-Pierre Robert
CD disponible sur Amazon
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