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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Opéra : Saül au Châtelet, une richesse foisonnante

Haendel Saul Theatre du Chatelet
Acte I ©Patrick Roger

  • George Friedrich Haendel : Saül. Oratorio en trois actes. Livret de Charles Jennens
  • Christopher Purves (Saül), Christopher Ainslie (David), Benjamin Hulett (Jonathan), Karina Gauvin (Merab), Anna Devin (Michal), Stuart Jackson/Daniel Mullaney (Le Grand Prêtre/Doeg/Abner/un Amalécite), John Graham-Hall (La sorcière d'Endor)
  • Chœur ad hoc pour la production, Stéphane Petitjean, chef des chœurs
  • Les Talens Lyriques, dir. Laurence Cummings
  • Mise en scène : Barrie Kosky (reprise par Donna Stirrup)
  • Chorégraphie : Otto Pichler (reprise par Merry Holden)
  • Costumes et décors : Katrin Lea Tag
  • Lumières : Joachim Klein (reprises par David Manion)
  • Assistant à la mise en scène : Andreas Zimmermann
  • Théâtre du Châtelet, Paris, samedi 25 janvier 2020 à 20 h
  • Et les 29 et 31 janvier 2020 à 20 h
    www.chatelet.com 

La prestigieuse production de Saül du Festival de Glyndebourne 2015 atteint les bords de la Seine. L'oratorio de Haendel y connaît une mise en scène d'une rare perspicacité, signée de Barrie Kosky, associant l'absolu pointillisme de la direction d'acteurs au spectaculaire des images émaillant une dramaturgie dont on ne soupçonnait pas l'existence dans cette œuvre. Elle est dirigée par un spécialiste du Saxon, Laurence Cummings, à la tête d'un orchestre français pour qui le compositeur n'a pas de secrets, Les Talens Lyriques. Une distribution de haut vol complète un spectacle mémorable.

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Haendel dévoile son oratorio Saül en 1739, trois ans donc avant Le Messie. C'est une œuvre dans laquelle il a mis beaucoup de lui-même, non seulement parce qu'elle ouvrait pour lui une page nouvelle sur la scène musicale londonienne, mais encore eu égard à la force de son sujet, digne d'une tragédie grecque, un des meilleurs qu'il ait eu à traiter et qu'il pourvoit d'une musique d'une richesse foisonnante. Cette histoire de la lente désintégration morale du roi d'Israël, piqué au vif par la sagesse et la popularité de David, vainqueur du combat contre Goliath et les Philistins, et qu'il ne peut empêcher de devenir son successeur, porte en elle de forts moments dramatiques. Et en tout cas une fine étude de caractère d'une poignée de personnages. La tradition est désormais bien établie de mettre en scène les oratorios de Haendel, singulièrement ceux empruntant à des récits bibliques. Eu égard à leur potentiel hautement théâtral qui égale souvent celui des opéras du compositeur. Ce qui est vrai d'œuvres comme Theodora (Glyndebourne 1996/Peter Sellars-William Christie) ou Belshazzar (Aix 2008/René Jacobs-Christophe Lel), l'est encore plus de Saül, dont la théâtralité éclate à chaque instant. Pour Barrie Kosky, dans les airs de Saül, « Haendel parvient à créer d'incroyables soubresauts émotionnels violents en quelques mesures seulement ». Aussi s'empare-t-il du sujet en focalisant sur un parcours tout à la fois de lutte de pouvoir (Saül versus David), de drame familial (le sacrifice par Saül de son propre fils Jonathan), et de dérèglement conduisant à la folie un roi qui reconnaîtra être l'artisan de sa propre perte.

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Christopher Purves/Saül ©Patrick Berger

Loin de la transposition ou de quelque actualisation façon Regietheater, l'approche se veut conceptuelle, misant sur une rare dissection de la pysché de chacun des êtres qui vivent cette terrible destinée. Et d'abord du peuple d'Israël, c'est-à-dire du chœur. Celui-ci se voit confier par Haendel une place essentielle, pour ne pas dire centrale d'acteur et de commentateur de l'action. La mise en scène le sculpte avec brio. Chaque individu est traité comme un personnage à part entière. Les réjouissances du peuple et les louanges au sauveur David sont prétexte à des débordements de liesse : gestuelle emphatique ou automate, agencements de groupes d'une formidable puissance évocatrice, que ce soit par de saisissants arrêts sur image ou un défoulement d'hystérie, que le grossissement de l'effet rend plus percutant encore. On rencontre ici l'arme de la facétie que Kosky sait manier en virtuose, jusqu'au maximum, tels cris de joie rageurs, trépignements et autres interjections proférées par tel ou tel. N'oublions pas que ce spectacle, conçu pour Glyndebourne, ne pouvait qu'enthousiasmer son public qui adore se voir renvoyer une image très ''libérée'' de lui-même.

Pareille minutie s'applique aux personnages principaux, dans une manière qui se revendique ''minimaliste'' dans un environnement dépouillé. À commencer par Saül. Le roi est mû par l'envie, bien au-delà de la jalousie envers David, le bon, le juste, le divin, tout ce qu'il ne saurait être lui-même. Une détermination irrépressible l'anime, qui devient peu à peu incontrôlable malgré une vraie fausse adhésion à l'appel à la raison professé par son entourage, en particulier son fils Jonathan qui s'est pris d'amitié pour David. Cette lubie envieuse qui conduira Saül à sa perte, Kosky en trace le vertigineux cheminement, du bouffon extravagant au pauvre hère tragique. Au fil de scènes d'une incroyable acuité. Ainsi de l'engouement feint à l'extrême, presque jusqu'à l'absurde, de Saül bercé par la musique délivrée par David, nouvel Orphée. Ou plus tard, de la rencontre avec la sorcière d'Endor que le roi consent à consulter pour s'entendre annoncer sa fin prochaine : assis à moitié nu, les jambes écartées, il voit la tête de celle-ci surgir de terre et s'élever plus grande que nature. Pour Kosky, cette vielle femme est « une parodie de mère », ce qui selon lui, rapproche Saül du King Lear de Shakespeare. Le personnage de David n'est pas moins particularisé, tout en contraste dans sa simplicité, en apparence placide, presque lisse, dont émane la sympathie et une évidente adhésion. À l'aune de sa longue déploration à la dernière scène qui le voit s'identifier à celle du peuple d'Israël. Celui de Jonathan aussi, dont la rectitude de conduite tranche avec celle si contradictoire du père. Partout, on est saisi par la précision des attitudes, du geste, de l'expression, du regard même.

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Acte III Christopher Ainslie/David ©Patrick Berger

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Plus d'une image saisit par son acuité, voire sa témérité. Par exemple, le chœur de l'Envie qui voit Saül émerger seulement par sa tête, vision qui rappelle tout droit le personnage de Minnie de la pièce de Beckett ''Oh les beaux jours'', telle que conçue naguère pour Madeleine Renaud par Roger Blin. Ou encore ce parterre sablonneux noir constellé de mille bougies, au milieu desquelles émerge l'orgue positif, pour un des plus magiques morceaux musicaux de l'oratorio. Kosky n'hésite pas à ajouter quelques paroles plus ou moins perceptibles, pour enrichir la dramaturgie. Telle cette phrase qui conclut la première partie ''I am the King'', répétée avec détermination par Saül. Côté visuel, la régie ne s'attache à aucune époque précise, mais plutôt à une multiplication de clins d'œil, essentiellement par le truchement des costumes, hauts en couleurs et pseudo historiques façon Grand siècle, dont se dégage une étonnante beauté plastique dans le vêtement, la coiffure et le maquillage, tous des plus sophistiqués (Katrin Lea Tag). Point de décor construit, mais un vaste open space dans un environnement noir que réchauffent des éclairages spectraux, et dont le seul élément solide est une immense table de banquet nappée de blanc et bardée de victuailles, bouquets de fleurs et autres figures animalières, parmi lesquels sont incrustés les choristes au début de l'acte I : vision onirique s'il en est, alors qu'au premier plan, David ensanglanté enlace fébrilement le crâne de Goliath.

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Acte III Christopher Purves & John Graham-Hall/La sorcière d'Endor ©Patrick Berger

Pièce maîtresse de la distribution originale de Glyndebourne, Christopher Purves offre du rôle titre un magistral portrait : un homme torturé par une force intérieure, le conduisant à feindre, à se défier de lui-même, à donner le change sans paraître ne jamais rien céder, jusqu'à l'anéantissement. Et ce dans une agitation qui le mène de la fureur plus ou moins contenue à l'idée fixe puis à la folie. Le chant est glorieux, de ce type mat et ouaté si spécifique du baryton britannique. Le David de Christopher Ainslie offre un parfait contraste car l'extrême calme du jeune homme tranche avec l'agitation du roi. Le timbre de contre-ténor sopraniste est d'une belle pureté et l'émission aisée. Benjamin Hulett campe un Jonathan d'un calme tout aussi olympien que rien n'ébranle dans sa volonté de préserver à David son amitié, et la voix de ténor est fort agréablement conduite. Anna Devin, Michal, a tout de la jeunesse pour séduire David. Le timbre de soprano déploie de belles effusions lyriques comme une parfaite maîtrise de l'idiome haendélien. De Merab, moins empressée que sa sœur à s'amouracher du vainqueur, Karina Gauvin trace un portrait qui atteint les cimes de la tragédie dans la belle aria de l'acte III, accompagnée de la viole de gambe. John Graham-Hall, autre survivant du cast d'origine, offre à l'intervention de la sorcière d'Endor des accents sur lesquels le temps ne semble pas avoir de prise. Enfin les rôles multiples du Grand Prêtre, d'Abner ou d'un Amalécite, que Kosky unit en un même personnage histrion, sont tenus avec brio sur scène par Stuart Jackson, et vocalement avec aplomb en fosse par Daniel Mullaney, du fait de l'indisposition à chanter du premier. On n'aura garde d'oublier les six danseurs qui soufflent un vent de folie à chacune de leurs interventions en s'agitant sur les mouvements chorégraphiques d'un modernisme singulièrement roboratif d'Otto Pichler, qui avait signé ceux hilarants d'Orphée aux enfers à Salzbourg l'été dernier.

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Fin de l'acte III, le peuple salue David roi ©Patrick Berger

Familier de la musique de Haendel, Laurence Cummings apporte toute son expertise à une œuvre dont il magnifie l'ampleur et la riche orchestration. À l'exemple de son Ouverture, véritable symphonie en plusieurs parties, et de ses nombreux numéros concertants utilisant aussi bien la palette instrumentale habituelle du baroque, comme le violon, la viole de gambe ou le hautbois, mais aussi un instrumentarium plus original pour mieux évoquer l'épique et l'archaïque, tels que l'orgue ou le carillon, voire les trombones et les percussions. La direction racée, toujours transparente, trouve dans l'orchestre des Talens Lyriques le plus raffiné des écrins. On savoure les sonorités tour à tour feutrées ou éclatantes et toujours une idéale symbiose avec le chant, du chœur en particulier.  

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Texte de Jean-Pierre Robert  



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