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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Leonore, la version originelle de Fidelio

Beethoven Leonore rene Jacobs

  • Ludwig van Beethoven : Leonore. Opéra en trois actes. Livret de Joseph Sonnleithner d'après le livret français de Jean-Nicolas Bouilly, ''Léonore, ou l'Amour conjugal''
  • Dialogues établis par René Jacobs
  • Marlis Petersen (Leonore), Maximilian Schmitt (Florestan), Dimitry Ivashchenko (Rocco), Robin Johannsen (Marzelline), Johannes Weisser (Don Pizzaro), Johannes Chum (Jaquino), Tareq Nazmi (Don Fernando)
  • Zürcher Sing-Akademie, Florian Helgath chef des chœurs
  • Freiburger Barockorchester, dir. : René Jacobs
  • 2 CDs : Harmonia Mundi : HMM 902414.15 (Distribution : PIAS)
  • Durée des CDs : 2 h 20
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5) 

Ce disque constitue un évènement puisqu'il présente la version originelle de Fidelio. L'unique opéra du maître de Bonn a en effet connu une genèse chaotique puisqu'il faut compter avec trois versions successives entre 1805 et 1814. La première, sous le titre de Leonore est, pour René Jacobs, « la plus moderne ». Celui qui est la cheville ouvrière de cette réalisation en offre une exécution on ne peut plus engagée, servie par une distribution de classe. À découvrir absolument. 

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La version habituelle de Fidelio est peu le reflet des volontés premières de Beethoven pour son opéra. Selon Romain Rolland, sa mouture d'origine, Leonore, livre « l'émotion de Beethoven, dans la pureté de son premier jet ». Les critiques peu amènes de l'époque quant à la longueur de l'opéra, avaient conduit Beethoven à en modifier le schéma et à opérer moult coupures, dès 1806, et singulièrement en 1814. L'opéra qu'on connaît en deux actes en comptait à l'origine trois. Les entendre restitués dans leur saveur originelle conduit à découvrir presque une œuvre nouvelle. Et à s'approcher au plus près du drame tel que conçu par le français Jean-Nicolas Bouilly, dont s'est directement inspiré le librettiste Sonnleithner : ''Léonore, ou l'Amour conjugal''. Loin du drame bourgeois, comme ce titre pourrait le laisser penser, Beethoven focalise ici sur le personnage central de l'histoire, une femme résolue à sauver un époux prisonnier d'État, retenu par l'arbitraire d'un sbire peu scrupuleux. Tout y est inspiré de la Révolution française, porté par un auteur au fait de ses implications sociales, et dont Beethoven avait chargé Sonnleithner de traduire le texte de la pièce. Composée peu après la Troisième Symphonie ''Héroïque'', Leonore est indéniablement une œuvre engagée.

Le découpage en trois actes, qui en fait dédouble l'acte I de la version ultime, à partir de la marche précédant l'entrée en scène de Pizarro, centre chacun d'eux sur un personnage : Marzelline au Ier, Leonore au IIème et Florestan au IIIème. La partie Singspiel dont relève tout le début de l'opéra se conçoit plus aisément dès lors qu'elle est détachée du reste du drame. Ce qui a toujours paru une faiblesse dans Fidelio est ici compensé par cette nette séparation. On notera en outre que le personnage de Marzelline demeure à l'acte II pour un duo avec Leonore, précédé et suivi d'un dialogue parlé. Par rapport à Fidelio, on découvre des passages ici plus développés, comme le trio entre Rocco, Jaquino et Marzelline au Ier acte. Et surtout le grand air de Leonore. Il est précédé, cette fois, d'un monologue parlé et son premier couplet débute dans une atmosphère de souffrance, pour amorcer une progression bien différente de ce qu'il en est dans la version ultime. La vocalité diverge aussi par une ligne très soutenue et une ornementation plus riche que celle que connaît l'air ''Abscheulicher !'' de Fidelio : une évocation plus expressive du tourment du personnage. On relève encore des modifications dans la marche introduisant l'acte II, préambule à l'apparition démoniaque de Pizzaro, ou lors de l'air de Florestan qui ouvre le IIIème, lequel se refuse ici à l'héroïsme, les premières paroles délivrées piano, comme sorties du néant, et le discours ne s'animant que sur les mots ''O schwere Prüfung !''(Ô quelle épreuve atroce !), l'air comportant ensuite un deuxième couplet. Une agitation contenue « plus conforme à la vérité du caractère et à son énergie que l'hallucination un peu factice qui leur a été substituée dans Fidelio », comme le relève Romain Rolland.

Rene Jacobs
René Jacobs ©DR 

Mais l a modification la plus substantielle apparaît sans doute à la fin de l'opéra. Le duo entre Florestan et Leonore est introduit par un premier couplet, avant ''O namenlose Freude'' (Ô joie ineffable). Surtout, dans cette première mouture le storytelling est différent : si Pizzaro s'esquive, suivi par Rocco, il est rattrapé par le chœur du peuple se rapprochant du cachot en criant vengeance, et est alors arrêté. Rocco peut s'expliquer sur sa conduite vis-à-vis de Leonore et clamer sa bonne foi. La tension est maintenue jusqu'au bout dans le vaste ensemble concertant avant que la péroraison laisse éclater une formidable joie. Cette dernière scène très dramatique tranche avec celle, convenue, de Fidelio et ce qu'on y perçoit bien souvent comme un anticlimax, comme le souligne justement René Jacobs. Qui n'a pas hésité à réviser les dialogues et à les adapter à l'écoute d'un auditoire moderne. On pense en particulier à des mots comme ''pouvoir arbitraire'' qui ont une forte résonance pour des auditeurs du XXIème siècle.

La direction de Jacobs éclaire aussi d'un jour nouveau la partition : une énergie profonde s'en dégage. Des tempos plutôt vifs, parfois à la limite d'une articulation extrême, presque boulés par endroits, confèrent au discours une vie étonnante et un élan presque révolutionnaire. Le poids de la tragédie, on le perçoit constamment et pas seulement lors de l'air de Pizzaro à l'acte II et ses accents martelés. Le chant des prisonniers, qui termine cet acte, est pris très soutenu, le passage de l'ombre à la lumière n'en étant que plus perceptible. Comme la précipitation du débit au finale de cet acte reste singulièrement explicite. Jacobs n'a pas son pareil pour créer un climat d'angoisse tragique. Ainsi du début de l'acte III, où sont soulignés les accords de cuivres de l'introduction, dans une approche digne de pages de Gluck ou des opéras de l'époque révolutionnaire, de Cherubini ou de Mehul. Il en émane une sombre terreur, inquiétante par le jeu sourd des timbales. Non que cette approche soit dénuée de nuances, rendant justice à une émotion pudique, à l'art de la demi-teinte et aux clairs-obscurs de bien des traits. On en a un exemple avec l'Ouverture. Celle dite ''Leonore II'', choisie ici, comparée aux trois autres versions - ''Leonore I'', ''Leonore III'', ''Fidelio'' – constitue, pour René Jacobs, « l'introduction au drame la plus osée et la plus conséquente au plan dramaturgique », anticipant véritablement le drame dans tous ses rebondissements. Avec le Freiburger Barockorchester, il dispose d'une phalange au plus près de ses intentions car le jeu sur instruments d'époque apporte un supplément d'authenticité à une orchestration nourrie. Et prodigue d'envoûtantes sonorités, particulièrement de la part des bois et des cors naturels.

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La distribution se signale par son homogénéité et le souci de privilégier des voix pas trop puissantes. Marlis Petersen prête à Leonore les prestiges d'un soprano proche du gabarit mozartien. Ce qui ne messied pas, tant le rôle est ici plus orné que dans Fidelio, pas moins tendu cependant, comme dans le grand air. Seuls les aigus à l'heure du vaste ensemble concertant de la fin de l'acte III la trouvent moins à l'aise. La composition est sensible, vibrante, sans excès. Il en va de même de celle de Florestan. Maximilian Schmitt lui apporte d'extrêmes nuances et un ténor assuré. Le Rocco de Dimitry Ivashchenko offre une basse chantante, relativement claire et le personnage est délesté de sa bonhomie de façade. Tout comme le Pizzaro, Johannes Weisser, est froidement menaçant, sans sombrer dans le travers du ''traître de théâtre'', et est vocalement impeccable. Robin Johannsen, de son soprano coloré, campe une Marzelline de stature. Reste que l'interprète du rôle du ministre Don Fernando, Tareq Nazmi, paraît plus effacé. L'engagement dramatique des chœurs de la Sing-Akademie de Zürich ajoute aux prestiges de cette exécution.

L'enregistrement, live en concert à la Philharmonie de Paris, est d'un beau relief. Une habile mise en scène transparaît de ce qui a dû être une mise en espace. Les dialogues parlés étant délivrés dans une acoustique plus intimiste, différant de celle des parties chantées, au demeurant magistralement équilibrées avec l'orchestre.

Texte de Jean-Pierre Robert

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