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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert : Schubert et ses deux merveilleux quintettes

Quatuor Staatskapelle de Berlin
Quatuor à cordes de la Staatskapelle de Berlin ©DR

  • Franz Schubert : Quintette à deux violoncelles en ut majeur, op. posth. 163, D 956. Quintette pour piano et cordes en la majeur, ''La Truite'', op.114, D 667
  • Elisabeth Leonskaja (piano), Franz Helmerson (violoncelle), Janne Saksala (contrebasse)
  • Streichquartett der Staatskapelle Berlin : Krzysztof Specjal (violon I), Wolfram Brandl (violon II), Yulia Deyneka (alto), Claudius Popp (violoncelle)
  • Théâtre des Champs-Elysées, vendredi 31 janvier 2020, à 20h 

Ce n'est que trop rarement réalité : entendre en un même concert les deux quintettes de Schubert dont les combinaisons instrumentales si originales comportent en soi une part d'unique. Et savourer les climats envoûtants qu'ils renferment : le tragique du quintette pour deux violoncelles, la bonne humeur de celui de ''La Truite''. Cette soirée au Théâtre des Champs-Elysées l'a permis, grâce à des interprètes hautement inspirés, venus de Berlin et d'ailleurs. Un vrai moment de musique. 

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Contemporain de la Symphonie en ut, ''la Grande'', de 1828, le Quintette pour deux violoncelles D 956 ne sera publié que posthume. Schubert ajoute au quatuor à cordes un second violoncelle, à la différence de ce qu'il en est chez Mozart qui dans ses quintettes à cordes, double la partie d'alto. L'originalité de cette configuration, on la trouvait déjà chez Boccherini, mais elle produit ici un tout autre résultat. Le doublement des deux voix extrêmes, des violons et des violoncelles, produit un élargissement sonore indéniable, presque orchestral. Le rôle prééminent dévolu au violoncelle confirme la prédilection du musicien pour un instrument riche de possibilités lyriques. L'œuvre respire, comme la symphonie, un climat tragique. Elle est aussi d'une égale ampleur, singulièrement dans la présente exécution où sont jouées toutes les reprises. Ce qui confère au premier mouvement une longueur inhabituelle. Mais se plaindra-t-on des ''divines longueurs'' de Schubert. Le quatuor de la Staatskapelle de Berlin et le celliste Franz Helmerson le prennent de manière soutenue, conférant à ses divers thèmes tout leur poids de gravité, voire de mystère. Notamment dans le développement et ses diverses intensités. Vient l'Adagio, une indication de tempo rare chez Schubert, où le temps semble s'arrêter pour atteindre les profondeurs abyssales de la pensée musicale. Le raffinement du dialogue, en particulier entre le violon I et le second violoncelle, contrebalance le discours des trois autres voix. L'intermède central, plus sombre, les présents interprètes le vivent avec une passion contenue et une totale concentration. Le Scherzo Presto jaillit comme bondissant. Avec ses phrases en répons entre alto et cello II, le Trio médian prend soudain une autre dimension : le miracle se produit, phénomène indéfinissable et pourtant bien saisissable qui fait basculer l'interprétation dans le sublime. Et achève de conférer à ce passage Andante son statut de centre de gravité de toute l'œuvre : une méditation hors du temps, qui prolonge les accents de l'adagio précédent. L'Allegro final enchaîne et se maintient sur ces cimes jusqu'à un ultime fiévreux presto.

Elisabeth Leonskaja
Elisabeth Leonskaja ©Julia Wesely

Le Quintette pour piano et cordes ''La Truite'' reçoit une lecture extrêmement contrastée. Autre combinaison instrumentale curieuse, avec comme partenaire du piano, non pas le quatuor à cordes, mais l'association violon, alto, violoncelle et contrebasse. Plus ou moins suggérée par le commanditaire, le celliste Sylvester Paumgartner, qui ne concevait pas son instrument relégué au rôle habituel d'accompagnement. Ce statut est dévolu à la contrebasse, haussant dès lors le violoncelle au rang d'acteur mélodiste. La place de celui-ci est en fait essentielle au long des cinq mouvements du quintette. Ainsi de l'Allegro vivace où son rôle est équivalent, si moins démonstratif que celui du piano. La présente équipe insiste sur l'aspect dramatique du premier thème, qui tranche avec celui plus dansant et tout de gaité du second, sorte de Lied, préfigurant celui de ''La Truite'' plus avant. L'Andante est tendu et chante généreusement. Le Scherzo est pris nerveux, soulignant ses rythmes vigoureux. Conçu sur le schéma thème et variations, le quatrième mouvement, introduit celui du Lied ''Die Forelle'', dans une belle simplicité. Les cinq variations qui le déclinent vont connaître de vifs contrastes, tour à tour menés fougueux ou élégiaques. L'ultime, prise ici très lentement et avec un ralentissement marqué sur ses dernières mesures, conduit à un étonnant effet de surprise, lors de la reprise du thème qui réapparaît comme une bouffée d'air. Du finale, ils livrent le mélodisme et la rythmique si ouvragée, dont émane un sentiment de bonheur sans mélange. Le pianisme à la fois très architecturé et d'une grande douceur de toucher de Leonskaja rend compte de la dualité schubertienne unissant drame et joie de vivre. 

Comme dans le Quintette pour deux violoncelles, les membres du Quatuor à cordes de la Staatskapelle de Berlin, ensemble fondé à l'initiative de Daniel Barenboim, offrent un jeu souverainement maîtrisé, avec une mention particulière à l'altiste Yulia Deyneka. L'association, d'une part avec le celliste Franz Helmerson à la vibrante sonorité, d'autre part avec le contrebassiste Janne Saksala, 1er solo du Berliner Philharmoniker, et la grande dame du piano Elisabeth Leonskaja, témoigne d'une vraie complicité. Celle du plaisir de faire de la musique entre amis, sans esbroufe, au plus près de Schubert donc.

Texte de Jean-Pierre Robert

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