CD : Elisabeth Leonskaja – Schumann
- Robert Schumann : Variations sur le nom Abegg, op.1. Papillons, op.2. Études symphoniques op.13 (versions de 1837 & de 1852). Thème et variations sur un thème original ''Geistervariationen''. Sonates pour piano N°1 op.11 et N°2, op.22
- Elisabeth Leonskaja, piano
- 2 CDs eaSonus : EAS 29407 (Distribution : UVM)
- Durée des CDs : 77 min 36 s + 57 min 05 s
- Note technique : (5/5)
La grande dame de l'école russe de piano Elisabeth Leonskaja revient à son cher Schumann, en solo. Pour nous offrir un programme qui sort des sentiers battus. Puisqu'il associe des pièces appartenant au genre de la variation, dont les peu jouées Études symphoniques op.13, et deux des sonates. Cette anthologie est placée sous le signe de la spiritualité, voire du spiritisme, ce dernier aspect ayant modelé les dernières années créatrices du musicien. Dans des interprétations d'une souveraine magie sonore.
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Le programme de cet audacieux récital est centré sur les Études symphoniques op.13. L'histoire de cette œuvre est curieuse puisqu'elle comporte deux versions assez dissemblables. Composée dans les années 1833/35, publiée en 1837, et alors intitulée ''XII Études symphoniques pour le piano'', elle prendra une forme plus ramassée dans sa seconde édition posthume de 1852, ''Études en forme de variations''. Elisabeth Leonskaja, qui a consulté les avants projets de Schumann, revient au Ur Text dans les deux cas. Et joue d'abord la version posthume, qu'elle fait suivre, après une courte pause, de l'œuvre originale : d'un côté, une version mature et concise, de l'autre, une sorte de work in progress, dans une démarche à rebours de chronologie, qui va du fini à l'ébauche. Ou comment a vu le jour une idée visionnaire pour une des partitions les plus grandioses du répertoire romantique. C'est que Schumann n'est peut-être jamais allé aussi loin dans une approche spirituelle de la musique. La version finale de 1852 décline le thème en cinq ''Variations'' très concises. L'édition première comporte le thème court, suivi de douze ''Études'' plus ou moins volontaristes, empreintes de fantaisie, succession d'humeurs, d'une difficulté pianistique redoutable. Car on y compte des tempos pour la majeure partie rapides, comme l'Agitato de la VIème, ''hallucination auditive'', selon Brigitte François-Sappey, la VIIème qui renchérit en rapidité, ou la VIIIème, marquée ''Presto possible sempre marcatissimo''. Ou encore la dernière ''Allegro brillante'', comme un finale extrêmement développé en forme de mini sonate.
Autre pièce s'inscrivant dans le contexte du spiritisme dont Schumann était adepte à la fin de sa vie, Thème et Variations, sous-titré ''Geistervariationen'' (Variations des esprits) est achevée en 1854, au moment de sa tentative de suicide. Un thème d'une simple mélancolie en forme de chant choral, qui lui aurait été dicté par des forces supérieures, est décliné en brèves variations s'écoulant souvent sans but apparent. C'est qu'il n'est pas toujours aisé de décrypter la pensée schumannienne et ses circonvolutions. Deux pièces de jeunesse font contrastes. Les Variations sur le nom Abegg en fa mineur op.1, de 1829/1830, constituent la première composition du musicien. Ce nom est utilisé comme un cryptogramme musical : le message musical est chiffré par les notes de musique. Cette pièce brillante est faite d'un très court thème de valse animée que suivent 5 variations, pièces de caractère tour à tour légères ou cantabile, toujours d'une gracieuse inventivité. Papillons, op.2 (1832) est basé sur le même schéma d'un thème suivi de 12 variations, souvent très brèves, mais de facture toujours différente. Comme il en est de la ''N°7 - Simplice'' à l'écriture vraiment papillonnante. Les trois dernières sont plus développées, dont l'ultime qui reprend le thème.
L'univers des sonates offre des modes d'écriture différents. La Sonate N°1 en fa mineur op.11 est un autre exemple de l'étrangeté de la pensée de Schumann, comme l'indique sa dédicace « Pour Clara, de Florestan et Eusebius », ses deux sources d'inspiration opposées. Écrite en 1833/35, elle est éminemment originale et de vastes proportions. L'introduction Adagio du premier mouvement figure comme le début d'une romance sans paroles. Le rythme balancé et qui va de l'avant caractérise la section Allegro vivace et sa thématique joyeuse, course haletante entrecoupée de passages plus calmes. La courte Aria, marquée ''sans passion, mais expressif'', s'épanche comme un Lied. Le scherzo se déploie déclamatoire et fantasque, le trio I figurant une sorte de saynète et le trio II un intermezzo presque comique par son rythme déhanché. Patchwork thématique, le finale est typiquement schumannien : Florestan et Eusebius se donnent tour à tour la vedette dans un foisonnement défiant toute logique, un monde imaginaire plutôt. Plus concise, la Sonate N°2 en sol mineur op.22 (1838) n'est pas moins passionnée. ''Aussi vite que possible'', le tumultueux premier mouvement forme une vaste digression qui voit le tempo toujours s'accélérer. L'Andantino provient aussi d'un Lied, doucement expressif. ''Très vite et marqué'', le scherzo déploie une belle vivacité que le trio tempère légèrement. Et le finale Rondo s'orne du thème de Clara, l'inspiratrice : une passion à peine contenue à travers une écriture extrêmement diversifiée.
Elisabeth Leonskaja offre dans ces pages, que visiblement elle chérit, la quintessence de son art : un jeu architecturé, décidé, et en même temps un art du phrasé d'une extrême fluidité, enfin une expressivité dépourvue de sentimentalisme. On admire la façon de ménager transitions et ruptures improbables que recèle la musique de piano de Schumann. Et toujours l'élégance qui est la marque d'une artiste s'attachant au sens vrai et dont la modestie est légendaire.
Les enregistrements, dans la grande salle de la Radio de Brême, offrent une image aérée et immédiate, restituant au mieux toutes les couleurs du Steinway.
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Texte de Jean-Pierre Robert
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