CD : Les Essentiels ON-Mag - Le Concert Royal de la Nuit
Chaque vendredi, durant le confinement, la rubrique CD s’ouvrira à des disques déjà parus que la revue considère comme indispensables pour leur qualité musicale et technique.
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- ''Le Concert Royal de la Nuit'' d'après le « Ballet Royal de la Nuit, Divisé en quatre parties, ou quatre veilles Et dansé par Sa Majesté le 23 février 1653 »
- Textes d’Isaac de Benserade
- Musiques de Jean de Cambefort, Antoine Boesset, Louis Constantin, Michel Lambert, Francesco Cavalli, Luigi Rossi
- Reconstitution : Sébastien Daucé
- Ensemble Correspondances, dir. Sébastien Daucé
- 2 CDs Harmonia Mundi : HMC 952223.24 (Distribution : PIAS)
- Durée des CDs : 77 min 13 s + 76 min 52 s
- Parution : novembre 2015
- Note technique : (5/5)
Voici une des grandes réussites discographiques de ces dernières années en matière de musique baroque : la reconstitution du ''Ballet Royal de la Nuit'', grâce à la sagacité du chef Sébastien Daucé et à la formidable plastique de son Ensemble Correspondances. Une totale immersion dans un univers magique.
Février 1653, Louis XIV a quinze ans et la Fronde a tout juste pris fin. Il est triomphalement accueilli à Paris. Une fastueuse manifestation artistique est organisée le 23 février : ''Le Ballet Royal de la Nuit'', donné en l'hôtel du Petit-Bourbon, la salle la plus vaste de la capitale. Ce ballet appartient au genre dit du ballet de cour, sorte de spectacle total mêlant poésie, musique et arts visuels : costumes chamarrés, scénographie élaborée avec ses toiles peintes et surtout ses machines, imaginées par le fameux italien Giacomo Torelli. Ce ballet à entrées, car se jouant en plusieurs tableaux, et que le monarque danse lui-même, a pour sujet les divers épisodes d'une nuit de divertissement protégeant les amours de son auguste protagoniste jusqu'à l'avènement du jour, triomphe du soleil, du Roi-soleil. Il déploie une vraie dramaturgie : plus qu'un divertissement, c'est un acte à portée politique, « le sacre profane » de Louis XIV, remarque Sébastien Daucé, qui le met en parallèle avec les cérémonies du sacre royal proprement dit, l'année suivante. Si le monarque artiste se met en scène pour affirmer son autorité naturelle, il le fait au milieu de figures dansées mais aussi chantées, et d'allégories célébrant ses vertus. Cela peut se traduire même par des passages de théâtre sur le théâtre, estime Daucé.
Le matériau du ballet nous est parvenu lacunaire, grâce à une copie réalisée quelques décennies plus tard par le compositeur Philidor. Il a donc fallu procéder à une reconstruction. Sébastien Daucé s'est lancé dans l'aventure, y procédant de manière imaginative. Il pioche dans les nombreux actes du « Ballet de la Nuit » dûs essentiellement à la plume du compositeur Jean de Cambefort (c.1605-1661). Il emprunte aussi à d'autres musiciens de l'époque tels qu'Antoine Boesset (1587-1643), Louis Constantin (c.1585-1637), ou Michel Lambert (1610-1696). Sébastien Daucé explique dans un essai particulièrement documenté inclus dans le livret du disque, avoir juxtaposé ballet français et opéra italien pour mieux traduire le substrat théâtral qui enveloppe la pièce. Ainsi s'est-il tourné encore vers deux compositeurs italiens, alors célébrés en France, leurs opéras, choisis ici, ayant été créés à Paris : Luigi Rossi et son Orfeo (1647), et Francesco Cavalli pour Ercole amante (1662). Si les puristes peuvent peut-être tordre le nez question chronologie et sélection arbitraire, le résultat est néanmoins là, patent et en situation.
Projet de costume pour la création du Ballet Royal de la nuit ©DR
Après une courte Ouverture, la Première Veille, « La Nuit » - de 6 à 9 Heures du soir – décrit les occupations ''ordinaires'' de tout un chacun en fin de journée. Durant la Deuxième Veille, « Vénus et les Grâces » - de 9 H à minuit -, on célèbre les plaisirs, bals et divertissements. Elle se distingue par la comédie muette Amphitrion, introduite par les coups de brigadier. La Troisième Veille, « Hercule amoureux » - de minuit à 3 Heures -, au plus profond de la nuit, met en scène les amours du jeune roi. Le tableau est interrompu par « Le Sabbat », suite de morceaux hauts en couleurs, aux rythmes enragés (« Chœur des Sacrificateurs », interventions de personnages fantastiques tels que « Quatre monstres nains » ou « Six Loups-garous »). La Quatrième Veille « Orphée » - de 3 à 6 H -, empruntée à l'opéra Orfeo de Rossi, est une métaphore de l'amour transfiguré, à travers le dialogue du soleil et du silence. On y entend le ballet des « Songes » qui décrit les quatre tempéraments du caractère humain, le colérique, le sanguin, le flegmatique, le mélancolique. L'épilogue, « Le Soleil » est un « Grand Ballet » qui de nouveau tresse la louange du roi : « Le soleil c'est le jeune Louis ». Le final glorieux, triomphe de la lumière sur la nuit, clôt les festivités.
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Outre la perspicacité de ses choix musicologiques, on doit saluer le travail interprétatif de Sébastien Daucé qui confère à cette pièce un indéniable souffle. On ne sait qu'admirer : la spontanéité du jeu instrumental de son Ensemble Correspondances, la sagacité de l'éventail des accents au fil des récits ou des danses, ressortissant à la fameuse écriture à la française, magnifiant les caractéristiques de ces musiques : les effets de tremblements aux cordes, les accents entraînants, les scansions tranchées, les contrastes de style et les ruptures de rythmes. Tout cela est ménagé avec un flair naturel pour insuffler une véritable théâtralité associant grand orchestre et passages chambristes. Côté vocal, on est séduit par une plastique pareillement brillante : pureté et douceur des voix de sopranos (dessus) comme des basses, extrême lisibilité de la diction que ce soit en français ou en italien. Les solistes forment eux-mêmes le chœur. De ce dernier peuvent sourdre des moments magiques, comme ''Dormi, dormi'', de la 3ème Veille, hypnotique et envoûtant.
Cette indéniable réussite l'est tout autant quant à la technique d'enregistrement. La prise de son, à la MC2 de Grenoble, est d'une extrême clarté et d'une vraie fidélité des divers timbres. Elle restitue finement les différences de perspectives selon les séquences, vocales ou purement instrumentales, et selon les styles musicaux variés, dans une image sonore tour à tour chambriste ou en espace plus aéré, toujours d'un remarquable relief.
À noter que cette œuvre, qui a fait l'objet depuis d'une version scénique créée à l'Opéra de Caen, sera reprise au Théâtre des Champs-Elysées à Paris, les 7 & 8 octobre 2020.
Texte de Jean-Pierre Robert
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