CD : Un opéra espagnol, El Prometeo
- Antonio Draghi : El Prometeo. Opéra en trois actes. Livret du compositeur d'après Calderón
- IIIème acte composé par Leornardo García Alarcón
- Fabio Trümpy (Prometeo), Scott Conner (Peleo), Mariana Flores (Tetis), Giuseppina Bridelli (Nisea), Borja Quiza (Satyro), Zachary Wilder (Mercurio), Ana Quintans (Minerva), Kamil Ben Hsaïn Lachiri (Hercules), Victor Torrès (Nereo), Anna Reinhold (Pandora), Alejandro Meerapfel (Jupiter), Lucía Martín-Cartón (Aragne)
- Chœur de chambre de Namur
- Cappella Mediterranea, dir. Leonardo García Alarcón
- 2 CDs Alpha : Alpha 582 (Distribution : Outhere Music)
- Durée des CDs : 128 min 34 s
- Note technique : (5/5)
Cette parution est une première : un opéra espagnol d'Antonio Draghi, El Prometeo, créé en 1669. Parvenu incomplet, le IIIème acte ayant été perdu, le chef Leonardo García Alarcón s'est attelé à le recomposer. Cette version désormais intégrale, enregistrée dans la foulée de représentations à l'Opéra de Dijon en juin 2018, bénéficie du nec plus ultra du chant baroque actuel et de la direction enthousiasmante du chef argentin. Une précieuse découverte.
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Antonio Draghi (1634-1700), chanteur, compositeur, mais aussi librettiste et impresario, passa la majeure partie de sa vie à Vienne. Jusqu'à devenir Kappelmeister à la cour des Habsbourg en 1682. Sa prolifique production concerne notamment les genres de l'oratorio et de l'opéra. El Prometeo, écrit d'abord en italien, puis traduit en espagnol, est créé à Vienne en 1669 pour l'anniversaire de la reine d'Espagne. Il peut être considéré comme l'un des premiers opéras espagnols. Le livret, du musicien lui-même, est emprunté à la comédie de Calderón, ''La estatua de Prometeo'', donnée à Madrid la même année. Le mythe bien connu de Prométhée enchaîné pour avoir ravi le feu céleste, et condamné par Jupiter à voir ses entrailles dévorées par un vautour sur le mont Caucase, est traité ici dans une trame foisonnante mêlant diverses intrigues amoureuses. Mettant aux prises dieux de l'Olympe, autour de l'omnipotent Jupiter, Hercules, Mercurio, Peleo, Nereo, et déesses amoureuses et/ou intrigantes, Minerva, Tetis, Nisea, Pandora, Aragne. Jupiter, qui n'en est pas à sa première frasque de cœur, convoite Tetis qui aime Peleo et est aimée de Nereo. La nymphe Nisea aime en secret Prometeo et le lui avoue alors qu'il expire dans les conditions que l'on sait. Prometeo, épris de Tetis qui ne répond pas à sa flamme, va par dépit sculpter une statue de femme, son seul amour. Minerva manigance à tout va, tirant de plus ou moins terribles ficelles, jusqu'à transformer la pauvre Aragne en araignée... Les quiproquos abondent. Mais tout se termine dans un bienfaisant lieto fine car le magnanime Jupiter pardonne son audace à Prometeo, qui épouse Nisea, tandis qu'il renonce lui-même à la belle Tetis. Une certaine morale l'emporte. On remarque que Prometeo paraît ici moins titanesque que dans sa légende : un homme pris d'amour pour la statue qu'il a confectionnée, et qui mésestime l'amour qu'on lui porte.
La musique de l'opéra se situe dans la lignée de Monteverdi et surtout de Francesco Cavalli, mais nantie d'accents ibériques certains : comme sautillante parfois, enrichie de discrets effets de castagnettes, ou bondissante dans les ritournelles de fin de scènes. On admire aussi son côté illustratif (la montée de Prometeo au ciel), ses sonorités généreuses créées par un instrumentarium original : petite flûte recorder, basson, cornets, sacqueboutes, accompagnant les cordes, archiluth, théorbe, guitare, clavecin et percussions. L'importance des chœurs encore, au final de chacun des actes, singulièrement du IIéme qui décrit le désespoir de Prometeo d'avoir perdu sa statue bien aimée, brisée par une fausse manœuvre de l'impudent Mercurio. Le chant privilégie une forme de mélodie continue, comme dans le recitar cantando italien. Les dialogues sont vifs et d'un redoutable effet théâtral. Ainsi de ceux entre Prometeo et son serviteur Satyre, annonçant les joutes opposant Don Giovanni et Leporello chez Mozart. Tout cela, Leonardo García Alarcón sait comme peu le rendre à la vie, de manière irrésistible par des tempos où le vif le cède au mesuré et la maîtrise des ensembles qu'on lui connaît. Sa Cappella Mediterranea, forte d'une bonne vingtaine de musiciens, pour préserver les proportions de l'opéra de cour, est experte, comme toujours, prodiguant un son riche et fastueux. Tout comme le Chœur de chambre de Namur. La reconstitution du dernier acte est un modèle de goût, le chef s'étant inspiré, quoique sans imitation servile, du style des deux premiers, avec une touche évolutive : de la manière de Draghi vers celle de Caldara, voire de Mozart. Car dans cet acte qui est le plus dramatique, l'orchestration est légèrement plus riche comme la virtuosité vocale plus sensible. Bien que le chef affirme avoir respecté les tessitures choisies par Draghi pour les personnages, l'impression est, dramaturgie aidant, d'une montée en puissance virtuose, notamment chez le personnage de Minerva. Mais la fin de la pièce offre un duo extatique entre Prometeo et Nisea, digne de celui ultime du Couronnement de Poppée montéverdien.
Le vaste cast assemblé offre une belle fête vocale. Côté ténors, Fabio Trümpy, un nom nouveau, incarne le rôle titre avec une rare conviction, timbre séduisant et sincérité, comme à l'heure de la grande déploration de Prometeo à l'acte III, dotée d'une sorte de joie intérieure au souvenir de ses ''ardeurs amoureuses'', alors que quasi mourant, le héros découvre qu'il est aimé. Le Mercurio de Zachary Wilder ne le cède en rien en faconde vocale et le chanteur, bien connu dans ce répertoire, excelle dans une interprétation d'une belle vivacité, à la limite du sarcastique. Le baryton Borja Quiza portraiture avec aisance Satyro, une figure dans la lignée des personnages truculents rencontrés dans les opéras de Cavalli, mais aussi annonçant le beau parleur du couple maître-valet du Don Giovanni mozartien : hâbleur et couard à la fois. Les autres barytons sont à l'unisson d'une belle rigueur vocale : Scott Conner (Peleo), Victor Torrès (Nereo), et à un moindre degré, Alejandro Meerapfel, un Jupiter un brin en deçà de son naturel prestige. La distribution féminine est un sans faute. Ana Quintans pare la déesse Minerva d'accents téméraires et d'une folle agilité jusque dans le registre aigu, très développé au dernier acte. Belle ascension d'une artiste remarquée naguère à Aix dans David et Jonathas de Charpentier. Le raffinement du chant, on le trouve tout autant chez Mariana Fores (Tetis), tour à tour pathétique et audacieuse. Les deux mezzo sopranos, Giuseppina Bridelli (Nisea), femme résolue, qui anticipe l'Elvira de Mozart, et Anna Reinhold (Pandora), sont d'une égale agilità.
Capté à l'auditorium de l'Opéra de Dijon, l'enregistrement possède relief et proximité aussi bien pour ce qui est des voix que s'agissant de l'ensemble instrumental. La balance entre les deux est satisfaisante.
Texte de Jean-Pierre Robert
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