CD : Les Essentiels ON-Mag – Un fascinant récital Grigory Sokolov
Chaque vendredi, durant le confinement, la rubrique CD s’ouvrira à des disques déjà parus que la revue considère comme indispensables pour leur qualité musicale et technique.
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- Ludwig van Beethoven : Sonate op.106 ''Hammerklavier''
- Franz Schubert : Quatre Impromptus D 899. Trois Klavierstücke D 946
- Johannes Brahms : Intermezzo op.117 N°2
- Jean-Philippe Rameau : ''Les tendres plaints'', ''Les tourbillons'', ''Les cyclopes'', ''La folette'', ''Les sauvages''
- Grigory Sokolov, piano
- 2 CDs DG : 479 5426 (Distribution : Universal Music)
- Durée des CDs : 65 min + 73 min
- Parution : mars 2016
- Note Technique : (5/5)
Les prestations de Grigory Sokolov sont rares au concert et au disque. Mais ce perfectionniste fait enregistrer pour lui tous ses récitals. Le label DG a réussi à se procurer les bandes de ces deux concerts Schubert et Beethoven, donnés au Festival de Salzbourg et à Varsovie en 2013. Chance, car voilà de l'immense piano par un géant du clavier. Un disque must !
Quoi de plus séduisant que les Quatre Impromptus op.90, D 899 de Schubert. Au premier, le cheminement tragique passe par une articulation sans concession et un contre-chant de la main gauche souligné chez Sokolov qui fait un sort à ces notes répétées lugubres. Le N°2 offre les charmes d'une guirlande de notes énoncées par la main droite sur un sobre accompagnement de la gauche. Le second thème y est très affirmé en rythme et puissance, encore plus lors de la seconde volée, et les accords finaux sont fébriles. Avec le Troisième Impromptu, c'est la suprême cantilène schubertienne que Sokolov distille sans affectation. Là encore le travail sur l'accompagnement du thème est magistral pour des graves somptueux et impressionnants. Au dernier, le thème initial, logé dans l'aigu du clavier, sonne limpide, liquide. Puis le contre-chant dans le grave semble lutter pour une partie inégale, car le deuxième thème passionné l'emporte. Voilà un Schubert mâle qui sait sa dette à Beethoven. Et un pianisme visionnaire. Pareille félicité appert des Trois Klavierstücke D 946 : course folle du premier, résolue, Sokolov n'hésitant pas à presser le tempo, l'interrogation que pose le thème s'en trouvant libérée d'autant. Douce mélancolie du deuxième, sur laquelle il ne s'appesantit pas, sans ralentir sur la fin. Le second thème avec sa répétition rageuse, il ne l'affaiblit pas, qui fait penser au Lied ''Im Dorfe'' (Au village) du Winterreise, effrayant dialogue avec la mort. Le troisième thème, sorte de rêve éveillé, transporte loin et la partie conclusive est d'une solide ardeur. Le dernier morceau est d'une vie foisonnante sous les doigts du pianiste russe : il y a un élément fantastique dans ce discours qui ne cherche pas à simplement coller à la mélodie, mais s'appuie sur des traits répétés en forme d'affirmations.
La Sonate op.106, ''Hammerklavier'' de Beethoven, cette « symphonie pour piano seul », selon Jean & Brigitte Massin, acquiert avec Sokolov sa vraie dimension titanesque. Débuté dans un fortissimo d'une extrême vigueur, l'Allegro déploie ses accords vertigineux, ses incursions dans la partie aiguë du thème, et l'urgence absolue du discours, avec une augmentation de la pression lors du passage en trilles avant la course finale. Du Scherzo, Sokolov exacerbe l'agitation, l'instabilité, et le trio est pris fortissimo et preste. La reprise est encore plus effrayante, ses accords assénés dans un paroxysme furieux. Pour l'Adagio, dont la durée est plus soutenue que chez bon nombre de ses collègues, Sokolov a peut-être médité la phrase de Romain Rolland, selon lequel « quelque tentation que l'on ait, il ne faut pas le jouer trop lentement. La passion brûle au fond. Il est toujours en mouvement ». Cette dernière assertion ressort de son jeu : le deuxième thème, sommet d'expressivité, est ici un modèle de réflexion, et le développement qui expose une interrogation, est conduit avec une rare persuasion et une intensité presque insoutenable. Le finale, immense « fantaisie », à travers ses tempos si instables, alterne véhémence et calme, transfiguré là encore par un jeu visionnaire : formidable rigueur de la fugue, furia des trilles, piqué des notes, puissance des accords, et ce son symphonique balayant tout. Le surhumain beethovénien est là pour une interprétation qui fera date.
Une guirlande de bis conclut ce récital, comme toujours de la part de ce pianiste généreux. Horowitz cultivait Scarlatti au début de ses concerts, Sokolov fleurit la fin des siens avec Rameau ! Ces pièces sont un baume après les déluges beethovéniens. On adore la douceur évanescente des trilles de ''Tendres plaints'', les mêmes dans le registre grave pour ''Les tourbillons'' (là où on perçoit que le piano a souffert avec le percussif du Beethoven précédent...) dans une irrésistible cascade d'ébouriffants arpèges. Que dire des ''Sauvages'' ou de ''La folette'', ces tubes avant la lettre ! Il n'y a rien de mécanique bien sûr chez Grigory Sokolov. Simplement un vrai bonheur de faire de la musique. Qu'il illustre encore par le bel Intermezzo op.117 N°2 de Brahms. Quel concert !
Les enregistrements live, au Festival de Salzbourg 2013 et à Varsovie la même année, sont d'une belle clarté. L'image sonore généreuse offre impact et immédiateté.
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Texte de Jean-Pierre Robert
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