CD : Les Essentiels ON-Mag - Bill Christie et les Chansons du Grand Siècle
La rubrique CD s’ouvre chaque vendredi à des disques déjà parus que la revue considère comme indispensables pour leur qualité musicale et technique.
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- ''Bien que l'amour... Airs sérieux et à boire''
- De Michel Lambert, François Couperin, Joseph Chabanceau de La Barre, Marc-Antoine Charpentier, Honoré D'Ambruys
- Emmanuelle de Negri, Anna Reinhold, Cyril Auvity, Marc Mauillon, Lisandro Abadie
- Les Arts Florissants, dir. William Christie
- 1 CD Harmonia Mundi : HAF 8905276 (Distribution : PIAS)
- Durée du CD : 80 min 05 s
- Parution : mai 2016
- Note technique : (5/5)
Et voilà William Christie et ses Arts Florissants revenus chez Harmonia Mundi. Une nouvelle histoire s'écrit. Et la première page de cette aventure est de choix. Puisque présentant un florilège d'airs pour montrer « comment chanter l'amour au Grand Siècle », en quelques vingt items mêlant deux générations : l'apogée du règne de Louis XIV, avec des musiciens comme Michel Lambert ou Marc-Antoine Charpentier, et le déclin de la fin du règne, représenté entre autres par François Couperin. Une ravigorante proposition.
Contrastant airs sérieux et airs à boire, voici une mine musicale aussi bien qu'historique. Largement représenté sur le CD, Michel Lambert (1616-1696), illustre chanteur et maître de chant, maître de la musique de la Chambre du Roi, semble être le champion du genre de l'air français qu'il met en musique toujours au service du texte, souvent d'anonymes, mais aussi de Philippe Quinault ou de Jean de La Fontaine. Ses pièces sont étonnamment variées, qui font respirer la douce mélancolie inhérente au chant français de cette époque et ménagent des harmonies délicates. Ainsi de l'air ''Le repos, l'ombre, le silence'', à quatre voix, où une longue séquence instrumentale introduit le climat de quiétude. Ou le poignant ''Il faut mourir plutôt que de changer''. On sera tout autant séduit par l'air ''Iris n'est plus, mon Iris m'est ravie'', chanté par le haute-contre Cyril Auvity, ou ''Bien que l'amour fasse toute ma peine, je veux aimer et mourir en aimant'', qui voit le solo de haute-contre relayé par les cinq voix. La pièce ''Que d'amants séparés languissent nuit et jour'' (1629) offre une subtile combinaison des timbres des quatre voix (bas-dessus, c'est-à-dire mezzo, haute-contre, basse taille/baryton, et basse). L'air progresse confortable par des unissons ou des redites en miroir à partir d'une intervention soliste. Dans ''Jugez de ma douleur en ces tristes adieux'', introduit par un prélude instrumental, la déploration sereine de la soprano est reprise à l'identique par celle élégiaque du haute-contre. Et pourtant s'installe un vrai drame dans ces paroles tragiques et le soutien intense des instruments, lesquels apportent seuls la péroraison.
De François Couperin, William Christie a choisi deux chansonnettes à boire : ''Épitaphe d'un paresseux'', de 1706, sur un texte de Jean de La Fontaine, et ce curieux morceau intitulé ''Les Pélerines'' (1711-1712), à trois épisodes : ''La Marche'', ''La Caristade'', ''Le Remerciement'', un intermède instrumental séparant les deux premiers. De la fort imaginative musique. On entend encore des pièces d'Honoré d'Ambruys (actif c. 1650-1700) et de Joseph Chabanceau de La Barre (1643-1678). ''Quant une âme est bien atteinte'', de ce dernier, voit la douce complainte de la mezzo Anna Reinhold en duo avec le théorbe enamouré de Thomas Dunford. Pour ce qui marque sa première collaboration avec Molière, Marc-Antoine Charpentier, dans les ''Intermèdes nouveaux du Mariage forcé'' (1672), développe une veine parodique, singeant à la fois la comédie italienne et un concert grotesque (''Oh le joli concert et la belle harmonie'') avec dissonances et effets de miaulements, aboiements et autres hihans d'âne. Et ce au long d'une suite d'airs à trois voix d'hommes, entrecoupés de pièces instrumentales en forme de danses. Un petit bijou de moquerie musicale ! Le compositeur s'illustre aussi par des airs à boire, qui finalement ne sont pas nombreux dans le programme. On y croise le grotesque là aussi (''Ayant bu du vin clairet'') ou le leste (''Auprès du feu l'on fait l'amour, Aussi bien que sur la fougère...''). Ou encore le coquin ''Beaux petits yeux d'écarlate'', là où le musicien cultive le mode de la répétition, ce qui est traduit avec vivacité par les présents interprètes.
C'est qu'ici, comme au fil de tous ces airs, les cinq voix réunies par Bill Christie, Emmanuelle de Negri, Anna Reinhold, Cyril Auvity, Marc Mauillon, Lisandro Labadie, déploient des trésors de charme, d'esprit, et de technique accomplie. Le quintette instrumental des Arts Florissants, Florence Malgloire, Tami Troman, violons, Myriam Rignol, viole de gambe, Thomas Dunford, théorbe, et Christie au clavecin, installe un climat raffiné, libéré. Pour célébrer, entre autres, ces vers de La Fontaine, sur une musique de Lambert, qui résument à eux seuls cet audacieux programme : ''Tout l'Univers obéit à l'Amour.... Aimez, aimez, le reste n'est rien''. Un vrai régal ! Merci à William Christie de si bien et si inlassablement défendre notre patrimoine national !
La prise de son de Jean Chatauret, à l'Auditorium du conservatoire de Vincennes, avec post-production par les soins des équipes du Teldex Studio Berlin, se signale par son immédiateté. L'image large possède un beau relief et l'équilibre voix-instruments est tout à fait satisfaisant.
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Texte de Jean-Pierre Robert
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