CD : Les Essentiels ON-Mag - Les Trios de Beethoven resplendissent sous les doigts du Trio Wanderer
La rubrique CD s’ouvre chaque vendredi à des disques déjà parus que la revue considère comme indispensables pour leur qualité musicale et technique.
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- Ludwig van Beethoven : Intégrale des Trios pour piano, violon et violoncelle
- Trio Wanderer
- 4 CDs Harmonia Mundi : HMC 902100.103 (Distribution : PIAS)
- Durée des CDs : 58 min 01 s + 59 min 04 s + 66 min + 71 min 38 s
- Parution : mai 2012
- Note technique : (5/5)
Pour fêter ses 25 ans, le Trio Wanderer enregistrait un des monuments de la littérature du trio pour piano et cordes, ceux de Beethoven. En cette année mémorielle, il est bon de revenir à ces interprétations centrales aussi limpides qu'architecturées, car forgées par un vrai ensemble et non une triade réunie ad hoc. Des moments d'intense plaisir musical.
Le trio pour piano, violon et violoncelle est un genre auquel Beethoven reviendra plusieurs fois. Car les huit trios et les quelques variations qu'il compose s'étendent de 1795 à 1811. On note une profonde évolution dans la composition : de la sonate pour piano avec accompagnement de cordes obligées au véritable trio dans lequel les trois protagonistes tiennent un rôle d'égale importance. Comme souvent, il en écrit plusieurs à la fois, tels les trois premières pièces formant l'opus 1, où le musicien affirme déjà une manière très personnelle, différente de Haydn, le maître de ce type de composition. Celui-ci ne dit-il pas à son jeune collègue « Vous aurez des pensées que personne n'a encore jamais eues... On trouvera toujours dans vos œuvres quelque chose, je ne dirai pas de bizarre, mais d'inattendu, d'inhabituel ». En fait, si dans ces premières œuvres le piano domine, l'audace est de faire s'émanciper les cordes. Ils sont en quatre mouvements avec des développements d'une richesse certaine. Les premiers mouvements sont très développés, d'une énergie communicative (op.1/2), d'un élan certain (op.1/3) ou empreint d'élégance (op.1/1). Les Adagios chantent sereinement : ainsi du Largo expressif de l'op.1/2, de climat mystérieux, ou de l'Andante cantabile muni de variations, de l'op.1/3. Les Scherzos sont fantasques (op.1/1), voire en forme de menuet (op.1/3). Les finales bondissants, surenchérissant en vivacité, tel celui du 2ème trio, avec ses gruppettos de notes répétées semblant s'enivrer, ou en un prestissimo à l'allant irrésistible (op.1/3).
Ce que l'on nomme le Trio N°11, est en réalité un premier essai (1791), certes incomplet puisque manque le mouvement lent, mais se signalant par un geste volontaire. En revanche, le Trio N°12 est le dernier mot de Beethoven à cette formation : un Allegretto de 1812, mais publié posthume, dédié à la plus jeune fille d'Antonie Brentano, l'« Immortelle Bien-Aimée ». Le Trio opus 11 n°1 (1798), en trois mouvements, se distingue par son « Tema con variazioni » final un peu répétitif, au point qu'on a pu surnommer l'œuvre de ''trio rengaine''. Ce mouvement conclut une pièce d'écriture aisée, débutée par un Allegro con brio vif, suivi d'un Adagio dont le premier thème est confié au violoncelle, qui va dialoguer en répons avec le violon. Ces mouvements surprennent par des enchaînements harmoniques audacieux. Comme il le fera pour le piano et le violoncelle, Beethoven a conçu des séries de variations pour le trio, où l'art de broder à partir d'un thème souvent assez banal, conduit, au fil de ses métamorphoses, à des trouvailles aussi ingénieuses qu'originales. Ainsi des 14 Variations op.44 ou des 10 de l'op.121a sur ''Ich bin der Schneider Kakadu'', là encore écrit plus tôt que ce qu'indique sa numérotation.
Bien sûr, on n'a d'oreille que pour les grandes pages que sont les trios de l'op.70 et de l'op.97. Les deux pièces de l'op.70 (1808/1809), sont dédiées à Anna Maria Erdödy, celle dont Romain Rolland dira « nulle n'a su, comme elle, avoir accès au plus intime du cœur de Beethoven ». Le Trio op.70 N°1, salué par ETA. Hoffmann comme exprimant « une joie sereine venue d'un monde inconnu », est dit ''des Esprits'', du fait de son 3ème mouvement Largo assai ed espressivo mystérieux, fantomatique presque : sur le chant délicat du piano, les deux cordes tressent un hymne fervent, non sans tension. Font contraste un Allegro vivace con brio initial bâti sur deux thèmes opposés, l'un énergique, l'autre tendre, pour un dialogue tout de passion. Le Presto final, lyrique, renoue avec le climat du premier mouvement, quoique le geste héroïque soit aussi bien présent. Le Trio op 70 N°2 oscille entre mode ancien et style d'improvisation, annonciateur de la dernière manière. Après un Allegro aux harmonies inattendues, les deux Allegrettos médians alternent l'aimable et le bourru, l'espiègle et le langoureux. Le finale, truffé de mélodies que Beethoven aurait entendues en Hongrie, est bien allant. Ce que les Wanderer traduisent par un tempo endiablé.
Le Trio op.97 ''A l'Archiduc'' (1811), contemporain de la Septième symphonie, est avec les deux Trios de Schubert, l'un des sommets incontestables du genre. Les Wanderer l'abordent avec une sereine limpidité, laissant s'épanouir le balancement de son premier mouvement de texture fournie aux trois voix, et de ton déjà schubertien. Le développement est généreux dans un dialogue serré à trois, comme dans le Triple Concerto. Le scherzo possède une énergie souveraine et en même temps contenue, ménageant la montée en puissance du 2ème thème jusqu'à l'éclatement ; chef-d'œuvre d'esprit aussi sous les doigts des français. L'Andante cantabile, là encore en forme de variations, métamorphose son beau thème dans une étonnante inventivité, ménageant les plus subtils contrastes. Pur bonheur ! Le finale joué attaca, après une courte transition rien moins que géniale, est un Moderato aux accents populaires toute en gaieté irrésistible, vers une coda débordant de joie communicative, de par l'extrême fluidité qu'y insufflent les Wanderer.
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Dans cette œuvre emblématique, comme ailleurs, car les mérites de leurs prestations ne se mesurent pas seulement aux pièces les plus célébrées, les Wanderer font montre des talents qu'on leur connaît, de limpidité et d'engagement : souci d'équilibre entre les trois instruments, d'un fondu idéal, d'une sensibilité qui unit douceur et force en une éloquente simplicité. Vincent Coq, au piano, tricote délicatement, comme naguère Menahem Pressler, l'âme du Beaux Arts Trio. Cheville ouvrière de la formation, il entraîne avec sollicitude ses partenaires, le violon de Jean-Marc Phillips-Varjabédian, dont la sonorité si elle n'est pas toujours lisse, est continûment intense, et le violoncelle de Raphaël Pidoux, dispensant de chaudes et ardentes couleurs.
Les enregistrements, au Teldex Studio de Berlin, dans une acoustique idéalement ouverte, offrent une image claire et aérée, d'une belle immédiateté, en particulier pour ce qui est des opus 70/2 et 97. La disposition spatiale des trois voix est satisfaisante, le piano au milieu mais dans une juste intégration avec les deux cordes. La sonorité est riche et généreuse.
Texte de Jean-Pierre Robert
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