CD : Les Essentiels ON-Mag - Norma en version originale
La rubrique CD s’ouvre chaque vendredi à des disques déjà parus que la revue considère comme indispensables pour leur qualité musicale et technique.
- Vincenzo Bellini : Norma. Tragédie lyrique en deux actes. Livret de Felice Romani
- Nouvelle édition critique de Maurizio Biondi et Riccardo Minasi
- Cecilia Bartoli (Norma), Sumi Jo (Adalgisa), John Osborn (Pollione), Michele Pertusi (Ovoreso), Liliana Nikiteanu (Clotilde), Reinaldo Macias (Flavio)
- International chamber Vocalists
- Orchestra La Scintilla, dir. Giovanni Antonini
- 2 CDs Decca : 478 3517 (Distribution : Universal Classics)
- Durée des CDs : 81 min 34 s + 61 min 37 s
- Parution : Mai 2013
- Note technique : (5/5)
Cette version du chef-d'œuvre de Bellini se veut un retour aux sources. La surprise est de taille, à rebours du type d'interprétation précédemment véhiculée, même de celle de Maria Callas à qui l'on doit la redécouverte de l'œuvre dans les années 1950. Car Voici une Norma jouée sur instruments d'époque et calée sur des calibres vocaux qui se veulent proches de ceux du XIXème. Cecilia Bartoli est à l'origine des recherches approfondies ayant abouti à cette nouvelle édition critique. L'interprétation est à la hauteur de ce singulier chalenge.
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La nouvelle édition critique, due à Maurizio Biondi et à Riccardo Minasi, est le fruit des travaux de recherches les plus récents. Cecilia Bartoli explique combien le fil interprétatif de cet opéra s'est perdu. Il a été écrit pour des voix bien spécifiques : Giuditta Pasta puis Maria Malibran, pour ce qui est du rôle titre, savoir un timbre assimilable à ce qu'on qualifie aujourd'hui de mezzo-soprano, et Giulia Grisi, dans le cas d'Adalgisa, voix de soprano claire. Opter de nouveau pour de telles couleurs vocales rompt avec la tradition de l'achalandage des deux voix de femme, soprano et mezzo, telle qu'illustrée par la paire Callas/Stignani, et plus proche de nous, Sutherland/Horne. Cette inversion des deux tessitures assignées, une Norma mezzo-soprano et une Adalgisa soprano, contrairement à ce qui était communément pratiqué ou admis depuis des lustres, renforce la vraisemblance dramatique. Car la voix de soprano convient mieux à la jeune et fragile novice et les sombres teintes de mezzo-soprano permettent plus justement de portraiturer le rôle de la prêtresse, femme résolue mais vulnérable, partagée entre amour et devoir, force vitale et faiblesse. De même, la partie de ténor prend une toute autre physionomie, et le proconsul romain est ici le digne frère de ses collègues rossiniens, plus que le large ténor annonçant Verdi.
La partie orchestrale est elle-même assez différente, plus allégée avec de nets contrastes. Une cure d'amaigrissement qui la fait sonner moins ample que de coutume. On apprécie d'autant mieux les subtilités de l'orchestration bellinienne, tant vantées par Richard Wagner qui soulignait la clarté de la mélodie et la finesse du chant. Alors surtout qu'on s'est efforcé d'être fidèle aux tempos d'origine : plus prestes dans le mode rapide, plus retenus, par contraste, dans les moments de lyrisme où le mode lent est de rigueur. L'exécution sur instruments d'époque est aussi un avantage, parce qu'évitant toute épaisseur sonore, ce qui en conséquence profite grandement aux voix. Bartoli rappelle que Bellini est contemporain de Schubert ! La sonorité des bois et des cuivres en particulier s'inscrit dans un tout autre rapport avec la voix humaine. On peut ajouter qu'au XIXème siècle, les orchestres n'étaient pas aussi fournis qu'aujourd'hui alors qu'en même temps les voix possédaient un ambitus bien plus large que celles des tessitures qu'on a vues être catégorisées au XXème et qui ont encore cours actuellement, Bartoli mise à part ! Giovanni Antonini favorise des tempos rapides, peut-être un peu secs par moments, mais assure à la symphonie son naturel essor et une vie certaine. L'Orchestre La Scintilla de l'Opernhaus Zürich qui connaît son préromantique sur le bout des doigts, délivre une coulée plus que séduisante. Dès l'Ouverture enfiévrée on est frappé par le ton adopté, une savante alternance du ppp et du forte, des contrastes accusés, un travail sur le crescendo, une articulation résolument assumée. Il y a quelque chose de martial, ce qui ne messied pas en l'occurrence aux premières interventions du romain Pollione. Comme il en est du Terzetto terriblement dramatisé qui conclut le Ier acte, où la musique dévale jusqu'à un climax final inouï. À l'inverse, les arias sont prises très lentes, ce qui en accentue l'impact. Ainsi de ''Casta Diva'' et de sa suave introduction à la flûte, ôtant à cette page son côté morceau de bravoure, qui est plus justement conféré à la cabalette enflammée qui suit. Pareil traitement retenu pare les mélismes envoûtants des duos Norma-Adalgisa. Celui des chœurs subit pareille revitalisation. Certes, l'économie générale de l'opéra, du moins au sens où on l'entendait jusqu'alors, s'en trouve bouleversée, et plus d'une scène prend une autre allure, comme décapée d'une couche de peinture surajoutée au fil des ans. Mais cette « re création » ne manque pas de panache, s'inscrivant dans une approche volontairement non romantique.
Cecilia Bartoli, Norma, dans la production du Festival de Salzbourg 2013 ©Hans Jörg Michel
La distribution réunie possède de solides atouts. Et d'abord, la Norma de Cecilia Bartoli, dont l'assomption dans ce rôle emblématique est totale. Qu'elle achèvera à la scène au Festival de Salzbourg 2013 dans une production remarquée, vue ensuite à Paris lors d'une mini tournée européenne à l'automne 2016. Une vocalité extraordinairement maîtrisée qu'on sent au plus près de ce que pouvait être le chant bel canto, mélange de voce di petto (voix de poitrine) et de vocalises colorature, un legato d'une densité infinie, une ornementation soignée dans le plus infime pianissimo, une agilité de la colorature ménagée au fil des pianissimos longuement tenus, une sûre déclamation dramatique dans la force de la voix. Au service de la vision grandiose d'un personnage hors du commun, vite confronté à l'humain, celui de la femme trahie qui a elle-même trahi son peuple et se sacrifiera pour lui. Quel parcours que celui débuté par une ''Casta diva'' vécue, justement, telle une prière et non pas comme un florilège acrobatique. ''Fil di voce'', inflexions infinitésimales, phrasé murmuré pppp, échappées dans le haut du registre d'une voix hors norme, trilles assagis dans un souffle, tout ici est de l'ordre du parfait. La tragédienne déploie toute sa force dramatique à la scène du début de l'acte II et sa poignante cantilène, où Norma est prête de sacrifier ses deux fils, une mère se consumant de terreur et de douleur. La dernière scène où est avoué un amour sacrilège, voit l'ultime et bouleversant adieu après que suppliante, la prêtresse ait demandé le pardon paternel.
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L'Adalgisa de Sumi Jo offre un soprano agréable, plus lisse dans la couleur, et certes moins puissante dans le débit que sa partenaire, et la composition est là aussi vécue avec grande sensibilité. Les deux duos, sommets de la partition, qui scellent si bien l'inversion des timbres mentionnée ci-dessus, où les deux voix s'enlacent l'une l'autre, sont purs moments de bonheur. Ainsi, à l'acte II, de ''Mira O Norma'', sublime cavatine, sommet bel cantiste. Bartoli va jusqu'à lancer certains mots comme des invectives. L'intensité de la prestation des deux artistes comme leur engagement restent des moments d'une force comme on en rencontre peu à ce point d'incandescence à l'opéra. S'il n'a pas, en Pollione, la stamina claironnante du ténor italien, John Osborne le compense largement par une diction exemplaire et une flexibilité du chant en voix de tête que la pratique des héros rossiniens lui a apprise. Michele Pertusi, dont la basse est moins caverneuse que bien de ses pairs, tire du personnage d'Ovoreso une vigueur insoupçonnée. Pareille attitude distingue la contribution du Chœur, particulièrement étudiée dramatiquement.
Comparer la présente version à d'autres est presque oiseux, car les paramètres sont différents. À côté des ''interprétations classiques'' et de la référence Callas/Stignani/Serafin (Warner), voire des interprétations marquantes de Sutherland/Horne/Bonynge (Decca) ou encore de Caballé/Cossoto/Cillario (RCA), celle-ci tient une place désormais indispensable eu égard à sa passionnante contribution musicologique et à ses éminentes qualités musicales.
La prise de son, dans un temple zurichois, à l'acoustique ouverte légèrement résonante favorisant une ligne de basse redondante, se distingue par son opulence sonore. Le relief instrumental et la présence vocale confèrent au drame toute sa prégnance, à la fois grandiose et de vérité humaine. Les couleurs sont parfaitement restituées et les pianissimos d'une réelle consistance. La parfaite balance voix-orchestre se double d'une judicieuse et efficace mise en scène.
Texte de Jean-Pierre Robert
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