CD : Rameau joué au piano ou le style au-delà de la lettre
- Jean-Philippe Rameau : Pièces de clavecin (Premier livre), Suite en la mineur. Pièces de clavecin en concerts (version originale pour le clavecin seul). Quatre pièces extraites de l'opéra Les Boréades, arrangées par Louis Diémer
- Alexander Paley, piano
- 1 CD La Musica : LMU 021 (Distribution : PIAS)
- Durée du CD : 63 min 37 s
- Note technique : (5/5)
Ce CD est le troisième et dernier volume de l'intégrale de l’œuvre pour clavecin de Rameau signée du pianiste Alexander Paley. Le programme associe une des Suites des Pièces du Premier livre à deux œuvres plus rares : la version originale pour clavecin seul des Pièces de clavecin en concerts, et surtout l'arrangement effectué par le virtuose Louis Diémer de Quatre morceaux extraits de l'opéra Les Boréades. Cette version se signale par l'exécution sur piano moderne, ce qui confère à toutes ces œuvres une vie et un charme particuliers.
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Si l'immédiate postérité, au XIXème siècle, a méconnu les opéras de Rameau, il en a été autrement de ses œuvres pour clavecin. La cinquantaine de pièces confiées à l'instrument, composées au début de sa carrière, ont été largement jouées. Elles ont même été rééditées pour le piano ''moderne'', en particulier sous la direction de Camille Saint-Saëns ou du virtuose Louis Diémer. Cet engouement s'est poursuivi au XXème avec de nombreuses interprétations pianistiques dues par exemple à Marcelle Meyer ou Thérèse Dussaut, et plus récemment Alexandre Tharaud. Le pianiste moldave Alexander Paley a relevé le gant et s'est fixé l'objectif d'en enregistrer l'intégrale, dont le présent CD est le dernier volume. Il s'en explique : il ne s'agit pas ce faisant d'être taxé de ''romantique'', ce qui ressortit du pur cliché. Jouer Rameau au piano permet « d'en utiliser toutes les ressources, afin de trouver des couleurs nouvelles » eu égard aux techniques de jeu différentes du piano et du clavecin. La question du style est cruciale, enraciné dans le contexte musico-littéraire de l'époque de la création des œuvres, et en ce qu'il est « empli de passion et d'un sentiment religieux très profond qui est aussi celui de Racine ou Pascal », ajoute-t-il. De fait, ses exécutions, loin de paraître ''pianistiques'', avec ce que cela implique de virtuosité consubstantielle au piano moderne, sont souvent dans le vrai ton du XVIIIème et rappellent la manière de jouer au clavecin. Il tire avantage de la plus large palette du Steinway (?) et la rythmique paraît plus souple et avenante que celle achevée avec un clavecin. Une manière toute en délicatesse, sans lourdeur ni heurt, notamment dans les trilles et autres glissandos, bien contrastée avec une légèreté gallique comme chez Tharaud.
Dans la Suite en la mineur du Premier livre de Pièces de clavecin (1706), Rameau reste fidèle à la forme de la suite de danse initiée notamment par d'Anglebert, quoique le style soit déjà marqué par de nombreuses inventions ramistes. La suite est constituée de 10 pièces. Le Prélude s'ouvre par une courte improvisation qui débouche sur une Gigue bardée de dissonances. Suivent deux Allemandes, l'une grave et mélancolique dans ses longues phrases expressives, l'autre plus légère, même si bâtie sur la même ligne mélodique. La Courante fait contraste dans sa tonalité toute de clarté et son allure décidée. La Gigue est sautillante et son développement d'une grande modernité pour l'époque. Deux Sarabandes viennent ensuite, la première sur un air tendre avec une batterie de notes lourées, la seconde en imitation et plus liée. La Vénitienne, où Rameau introduit pour la première fois la forme du rondeau, offre un rythme balancé et est très ornementée. Une Gavotte, qui comporte un refrain, se fait énergique dans ses roulades sur l'entier registre du clavier. Le bref Menuet final ponctue élégamment l'ensemble.
Les Pièces de Clavecin en Concerts avec un violon ou une flûte, et une viole ou un deuxième violon, de 1741, peuvent aussi être jouées au seul clavecin. Dont quatre pièces en particulier. Rameau s'y livre à la description de caractères. Ainsi de ''La Livi, Rondeau gracieux'', portrait musical du comte de Livry, pièce qui sera recyclée et orchestrée dans l'opéra Zoroastre. ''L'agaçante, Rondement'', synonyme d'aguichante, est bourrée de notes piquées. ''La Timide'' est une succession de deux morceaux en rondeau, pour un portrait féminin contrastant un premier volet secret et doux fuyant l'éclat, et un second plus enlevé, hors de toute réserve, même si la timidité y revient en boucle et s'impose à la fin. ''L'Indiscrète, Vivement'' décrit la volubilité de quelque personnage ''qui ne sait pas garder le secret, qui manque par imprudence, et par étourderie''. Le récital se termine par Quatre pièces extraites de l'opéra Les Boréades, dans l'arrangement dû à Louis Diémer, en 1896, une rareté enregistrée pour la première fois. Qui alignent avec un sûr métier de transcripteur, une ''Gavotte pour les heures et les Zéphirs'' flattant le registre le plus aigu de l'instrument et un jeu fait de moult trilles et notes piquées, un ''Air pour Orithie et ses compagnes'', d'une extraordinaire difficulté, mais offrant un discours gracieux et fleuri dans le meilleur style ramiste. Suivent ''Deux petites gavottes vives'' pleines d'esprit et d'élégance française, singulièrement sous les doigts d'Alexander Paley, et un ''Air très gay'' qui conclut avec vivacité dans un mouvement dansant avec refrain, non sans humour dans des trilles cocasses.
L'enregistrement, à l’Église protestante luthérienne de Bon-Secours à Paris, en mai 2014, tout comme celui des précédents volumes, est aéré et d'un beau relief, l'instrument bien centré.
Texte de Jean-Pierre Robert
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