CD : une méditation musicale de Charpentier autour de la vie et de la mort
- Marc-Antoine Charpentier : Méditations pour le Carême, motets H.380 à 389
- Sébastien de Brossard : Motets ''Salve Rex Christe'' & ''O plenus iarum dies''
- Robert de Visée : ''Tombeau de Mesdemoiselles de Visée''
- Marin Marais : Prélude en ré, extrait du 1er Livre de pièces de viole
- Ensemble Les Surprises, dir. Louis-Noël Bestion de Camboulas
- 1 CD Ambronay Éditions : AMY 056 (Distribution : Outhere Distribution) www.ambronay.org
- Durée du CD : 59 min 49 s
- Note technique : (5/5)
Les innombrables beautés des petits motets de Charpentier méritent d'être redécouvertes. William Christie, René Jacobs hier, Vincent Dumestre, Louis-Noël Bestion de Camboulas aujourd'hui s'y attachent avec ferveur. Ce dernier offre les rares Méditations pour le Carême, un ensemble sauvé de l'oubli par un contemporain de Charpentier, Sébastien de Brossard. Le programme du disque lui associe opportunément des motets de ce dernier et des pièces instrumentales. Tous interprétés avec la sagacité qu'on connaît à l'Ensemble Les Surprises.
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Au sein de l'immense production de Charpentier, les motets tiennent une place particulière, singulièrement ceux avec un petit effectif, les ''petits motets''. Pour trois voix d'homme, haute-contre, taille (ténor) et basse-taille (basse) et basse continue, les Méditations pour le Carême H 380 à 389 forment un ensemble de dix pièces. Leur réputation, à l'époque, aurait été le fait d'un autre musicien, Sébastien de Brossard (1655-1730), homme cultivé, théoricien, et surtout grand collectionneur d'écrits musicaux, qui en conservait une édition dans sa vaste bibliothèque. Selon lui, Charpentier est ici influencé par son maître Carissimi. Ces ''dix Méditations pour le temps de la Semaine Sainte'' constituent des tableaux invitant à la méditation autour de la vie et de la mort. L'atmosphère crépusculaire qui en émane peut les faire rapprocher pour certaines des Leçons de Ténèbres, une de ses œuvres les plus emblématiques. On y remarque une alternance de musiques sombres ou de moments puissants voire rayonnants. En réalité, le caractère dramatique est sous-jacent, car les textes sont inspirés de la Passion du Christ, à l'exception de la dernière méditation qui reprend le sacrifice d'Isaac par Abraham. Une fin pas moins théâtrale. Dans la distribution des trois voix, chacune occupe un rôle, Jésus, Pierre, Pilate.... Ainsi de la 4ème méditation (la Tentation du Christ par Judas) ou de la 5ème, la plus développée (scène du souper et du reniement de Pierre). La septième méditation ''Tenebrae factae sunt'', sur la crucifixion, offre une tonalité d'une sombre suavité, avec sa fin d'une étonnante douceur sur les mots ''Et ayant dit cela, il rendit l'âme''. Au contraire, le motet N°8 ''Stabat Mater dolorosa'' respire une douce affliction que prolonge, en plus déclamatoire, la suivante (lamentation de Marie Madeleine). L'ultime méditation ''Tentavit Deus Abraham'' (Dieu a tenté Abraham) fait contraste quant au récit, mais non au substrat musical, d'un dramatisme tout aussi marqué.
Suivent deux motets de Sébastien de Brossard. Dans ''Salve Rex Christi'', pour deux voix égales, de ténors, celles-ci se confondent ou se séparent, créant un dialogue vivant au long de sections variées, et ce tout autant dans l'accompagnement. Jusqu'à un Alleluia resplendissant. ''O plenus iarum dies'' (Ô jour plein de colère), pour basse solo et continuo, offre un autre bel exemple de motet sur le thème de la puissance de la colère divine et de la fin du monde, au fil de sept sections très différentiées, autant de scènes de chaos pourvues de vocalité rageuse. Ainsi de la dévastatrice section ''Turbata clade publica'' (Dans le désastre universel), où il est dit que ''les axes du globe se brisent''. La viole de gambe ferraille et l'orgue décrit l'ambiance. Ailleurs, perçoit-on la souveraine immobilité de la nuit éternelle.
Deux pièces instrumentales complètent le programme. Le ''Tombeau de Mesdemoiselles de Visée'' de Robert de Visée (ca. 1650-après 1732) pour théorbe, son instrument favori, est une méditation sur la mort en un poignant lamento. Le ''Prélude en ré'', tiré du Ier Livre de pièces de viole de Marin Marais est un morceau mêlant le style hérité de ses prédécesseurs, Sainte Colombe notamment, et une manière nouvelle qui fera sa réputation.
L'Ensemble Les Surprises, qui en est à son 6ème disque pour le label Ambronay, dispense des exécutions immaculées, voix et instruments. Avec un timbre de haute-contre bien sonore, Paco Garcia, et une basse vaillante, Étienne Bazola, tandis que le ténor de Martin Candela assure une habile transition entre ces tessitures extrêmes. Compliments aussi à Juliette Guignard (viole de gambe), Étienne Galletier (théorbe) et bien sûr Louis-Noël de Camboulas, clavecin, orgue et direction d'un ensemble dont on doit une nouvelle fois souligner les mérites.
Ils sont enregistrés à l’Église luthérienne Saint-Pierre à Paris avec grand soin quant au placement des voix et des instruments.
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Texte de Jean-Pierre Robert
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