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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

DVD d'opéra : L'Enlèvement au sérail enluminé par Giorgio Strehler

Enlevement au serail

  • Wolfgang Amadé Mozart : Die Entführung aus dem serail. Singspiel en trois actes K. 384. Libretto de Johann Gottlieb Stephanie d'après Christoph Friedrich Bretzner
  • Lenneke Ruiten (Konstanze), Mauro Peter (Belmonte), Sabine Devieilhe (Blonde), Maximilian Schmitt (Pedrillo), Tobias Kehrer (Osmin), Cornelius Obonya (Bassa Selim)
  • Marco Merlini (Un muet), Azusa Kubo, Kjersti Ødegaard, Renis Hyka, Guillermo Esteban Bussolini (solistes du chœur)
  • Coro del Teatro alla Scala, Bruno Casoni, chef de chœur
  • Orchestra del Teatro alla Scala, Milano, dir. Zubin Metha
  • Mise en scène : Giorgio Strehler (reprise par Mattia Testi)
  • Décors et costumes : Luciano Damiani (repris par Carla Ceravolo/décors & Sybille Ulsamer/costumes)
  • Éclairages : Marco Filibeck
  • Directeur des mouvements : Marco Merlini
  • Production du Théâtre de La Scala de Milan, captée live en 2017
  • Video director : Daniela Vismara
  • 2 DVDs Cmajor : 75 2008 (Distribution : Distrat distribution)
  • Durée des DVDs : 155 min
  • Note technique : etoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orangeetoile orange (5/5)

« Welche Wonne, welche Lust ! » La légendaire production de L'Enlèvement au sérail signée Giorgio Strehler, initiée en 1965 au Festival de Salzbourg, revient en DVD... pour l'éternité. Suite à sa reprise à la Scala de Milan en 2017, toujours dirigée par Zubin Metha, un demi-siècle après. Un événement considérable, car voilà une mise en scène qui défie les ans et les modes par sa simple et souveraine beauté. On la retrouve avec bonheur dans une distribution de haut niveau. Indispensable !

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Il est des productions qui marquent l'histoire de l'opéra. Cet Enlèvement au sérail en est une. C'est en 1965, au Kleines Festspielhaus de Salzburg, que Giorgio Strehler inaugure son cheminement avec le théâtre de Mozart, « un homme de théâtre complet et pas seulement un musicien qui fait du théâtre », dira-t-il dans ses ''Réflexions, entretiens et notes de travail. Un théâtre pour la vie'' (Fayard, 1998). On est bien près de penser qu'il réussit là à l'opéra un travail aussi parfait et définitif que pour Il Campiello de Goldoni au Piccolo Teatro di Milano (1975) ou dans La Trilogie de la villégiature à la Comédie Française (1978). Aidé par les décors raffinés de Luciano Damiani d'où émane un amusant parfum oriental et ses costumes d'une élégance toute européenne, il pense ce Singspiel en termes de juste milieu, « pour  trouver l'équilibre fondamental entre tradition et réalité ». Car poursuit-il, « dans Mozart, tout est écrit : mouvements, pauses, attitudes extérieures et intérieures, couleurs de la situation, retournements dramatiques, atmosphères ». Loin des velléités de transposition, encore moins de réécriture (comme il en fut chez Martin Kusej à Aix en 2015), sa vision est d'abord logique et proche du texte : une histoire de captivité par un tyran qui finalement devant la résolution de ses esclaves prisonniers, préfère le pardon à la vengeance, la tolérance à la violence. Un regard bienveillant sur la nature humaine, voilà ce qui ressort à chaque instant de la régie de Strehler. Qui ne cherche pas à s'écarter des didascalies : la suffisance d'un Belmonte, l'espièglerie d'une Blonde, l'amusante bouffonnerie d'Osmin, la morgue hautaine du Pacha Selim. Tout cela exprimé dans une régie d'acteurs basée sur une gestuelle fouillée, distinguée, souvent sur le mode dansant. Tel Osmin avançant à pas mesurés comme si un nuage portait son imposante carrure. La profondeur du regard de Strehler sous une apparente simplicité prend toute sa mesure dans l'écrin décoratif, le visuel formant un tout avec la dramaturgie : un bord de mer clair sur le fond blanc du cyclorama ou très légèrement coloré, dans lequel s'inscrit le va-et-vient d'un navire au lointain, symbole d'évasion, donc de liberté, et des portants à cour et à jardin, faits de toiles peintes, sur lesquels se dessinent des minarets ou des feuillages ou encore des portes salvatrices.

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Acte I : Tobias Kehrer (Osmin) & Sabine Devieilhe (Blonde) ©DR

La pureté de l'approche au sein de cette vision épurée traverse les dialogues où sont ménagés les différences sociales entre les couples Belmonte-Konstanze, Blonde-Pedrillo. Comme il en va des ensembles des Janissaires, loin de la banale ''turquerie''. Les échanges comiques ne sont pas appuyés : celui où Blonde tarabuste Osmin quant à ses prétentions despotiques est bien senti mais sur le mode du rabrouement. Le duo ''Vivat Bacchus'' opposant Pedrillo à Osmin autour des bonbonnes de vins destinées à endormir sa vigilance est juste comique, et participe de la bienveillance déjà signalée. Et que dire du coup de génie consistant à dessiner en ombres chinoises, à l'avant-scène, les personnages lors de leurs arias. Reprenant l'idée des médaillons du temps de Mozart ou de ces vignettes découpées comme des dentelles. Ainsi ces moments de réflexion font-ils ressortir la sveltesse des attitudes et des gestes. Certains autres airs peuvent être partagés entre ombre et lumière. Comme durant le Ier air de Konstanze lorsqu'elle s'adresse à Selim, resté en pleine lumière dans un second plan. Ce traitement audacieux non seulement offre une plus-value esthétique, mais signe là un supplément dramatique à ces passages, sans qu'il soit besoin d'avoir recours à quelque développement parallèle comme il est pratiqué souvent depuis lors par bien d'imaginatifs metteurs en scène pour les arias da capo des opéras baroques.   

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Quatuor final de l'acte II : (de g. à dr.) silhouettes de Pedrillo, Blonde, Konstanze, Belmonte ©DR 

La reprise de la mise en scène d'origine est fidèle au souvenir ému qu'on a de la production, vue en 1965 comme jeune spectateur du Festival de Salzbourg. La captation filmique l'est aussi, habile à en restituer les points saillants par une pertinente prise de vues mêlant plans d'ensemble, quelquefois latéraux, et plans rapprochés. Et détaillant à l'envi ces magistrales silhouettes noires se détachant sur fond blanc, mettant en exergue un de ses aspects les plus originaux. La mise en image est extrêmement soignée.

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Quelques 52 ans après la première salzbourgeoise, Zubin Metha reste le fidèle serviteur de ce spectacle d'exception. Certes, les tempos se sont ralentis et la lecture est sur le versant lent (Ier air de Belmonte, airs de Konstanze). Une direction ''classique'', aux antipodes des recherches d'un René Jacobs favorisant de larges contrastes dynamiques et de fulgurantes accélérations, dans son CD chez Harmonia Mundi. Rien de tel ici, mais un indéniable influx dramatique comme une extrême finesse du discours. Les passages qui ressortissent à l'inspiration lyrique sont pareillement nursés, de l'ordre d'une vraie voix intérieure. Ainsi de l'introduction du deuxième air de Konstanze, « Traurigkeit ». Il bénéficie d'un Orchestre de La Scala dont les musiciens sont visiblement sous le charme de sa présence, les bois en particulier.

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Finale de l'acte III ©DR

La distribution aligne un bel ensemble. Bien sûr, ce n'est plus le prestigieux cast d'origine qui affichait Fritz Wunderlich et Anneliese Rothenberger, entre autres. Les temps ont changé. Mais on sait encore délivrer le chant mozartien avec bonheur. Ainsi de Mauro Peter, Belmonte : timbre agréable, trilles assurés, ligne bien conduite et sûre projection, ou phrases comme caressées dans ''O wie ängstlich''. Une allure dandy ajoute à cette incarnation marquée au coin de l'élégance. Le Pedrillo de Maximilian Schmitt, hier Belmonte chez Jacobs, n'était sa taille de géant, jongle avec aplomb avec les airs de ténor, même si pas de manière suffisamment tranchée avec celui de son maître. Lenneke Ruiten campe une Konstanze de stature, une femme qui tient son rang, dotée d'une quinte aiguë assurée. Si on la sent au début un peu sur la réserve, la voix se libère peu à peu dans l'émouvant ''Traurigkeit'' et ses belles couleurs, et surtout à l'heure de ''Martern aller Arten'', un challenge pour tout interprète du rôle, dignement assumé ici au long de ses diverses séquences dont la dernière gratifiée d'aigus glorieux. À noter que l'air est chanté, cette fois, en pleine lumière face à un auditorium éclairé : bel effet. À propos de la Blonde de Sabine Devieilhe, on n’a que des louanges : finesse, charme coquin, aisance de la quinte aiguë, jubilation dans ''Welche Wonne'' et facétieuse prestance, surtout face à Osmin qu'elle mène joliment par le bout du nez. Sans doute la meilleure prestation du plateau vocal. Son Osmin, Tobias Kehrer, est pourvu d'une basse lisse et claire et possédant le creux nécessaire aux impressionnantes descentes dans l'extrême grave, là où le personnage préfigure Sarastro sous la plume de Mozart. Il anime le rôle d'une amusante quoique discrète faconde, l'air de ne pas y toucher. Son dernier air ''Ha, wie will ich triumphieren'' en est presque pathétique. Enfin l'acteur Cornelius Obonya prête au Pacha Selim les prestiges d'une superbe diction et d'une gravité presque effrayante où transparaît la rage du tyran qui tient ses captifs à sa merci et l'assurance d'avoir sur eux droit de vie et de mort, mais aussi la satisfaction, même si contrainte, de celui qui finalement fait œuvre de magnanimité. Dans cette partie parlée, Strehler conçoit quelque chose de très intériorisé, s'en tenant à l'essentiel. Les chœurs de La Scala font de l'excellent travail lors des séquences des janissaires. Et un brelan d'acrobates ajoutent d'aériennes galipettes lors des changements de tableaux.

Au final, un must en matière d'opéra filmé. Que complète une prise de son aérée et d'un beau relief.

Texte de Jean-Pierre Robert 

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