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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : Vivaldi et la modernité

Whats next Vivaldi

  • .''What's next Vivaldi ?''
  • Antonio Vivaldi : Concerto en mi bémol majeur RV 253 ''La Tempesta di Mare'', pour violon, cordes et basse continue. Concerto en sol mineur RV 157 pour cordes. Concerto en do majeur RV 191 pour violon, cordes et basse continue. Concerto en mi mineur RV 550 pour quatre violons et cordes. Concerto en ré majeur RV 208 ''Il Grosso Moghul'' pour violon, cordes et basse continue
  • Aureliano Cattaneo : ''Estroso'' pour violon, flûte, cordes, théorbe et clavecin
  • Luca Francesconi : ''Spiccato il volo'' pour violon solo
  • Simone Movio : ''Incanto XIX'' pour flûte, violon et cordes
  • Marco Stroppa : ''Dilanio avvinto'' pour flûte et deux violons
  • Giovanni Sollima : ''Moghul'' pour violon, flûte, cordes et basse continue
  • Béla Bartók : ''Szól a Duda'' pour flûte et violon
  • Patricia Kopatchinskaja, violon
  • Il Giardino Armonico, flûte et dir.: Giovanni Antonini
  • 1 CD Alpha : Alpha 624 (Distribution : Outhere Music)
  • Durée du CD : 70 min 56 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5) 

Le propos du nouveau projet discographique de l'iconoclaste Patricia Kopatchinskaja met en regard le violon de Vivaldi et des morceaux contemporains. Elle a en effet demandé à cinq musiciens italiens de « faire l'expérience de répondre à la musique de Vivaldi par des miniatures... pour faire entrer Vivaldi dans un dialogue avec des voix créatrices actuelles, en lui faisant entendre ce que sont les horizons musicaux d'aujourd'hui ». Une belle gageure que cette étonnante juxtaposition, « mélange d'ancien et de nouveau, de tempête et de poudre à canon » ! Jouée avec l'engagement et le brio qu'on connaît à la violoniste moldave, partagés par le chef Giovanni Antonini et son ensemble Il Giardino Armonico.

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Le programme mêle donc cinq concertos du Prete rosso et cinq pièces en création. Le tout joué plus ou moins sans interruption, par un jeu souvent rien moins que percutant. Ainsi avec le Concerto RV 253 ''La Tempesta di Mare'' pour violon, cordes et basse continue, entre-t-on dans le vif du sujet : un Presto initial dévastateur décrivant une effroyable tempête avec d'ébouriffants tourbillons d'un violon quasi percussif, et une cadence matière à d'affolants traits enhardis par les interventions criées des musiciens eux-mêmes ! Le Largo, sur le fil de l'archet, n'en est que plus inquiétant question répit et la péroraison est presque énigmatique. Le Presto final renoue avec l'extravagance du début en termes de dynamique et de jeu à l'arraché de Patricia Kopatchinskaja et de ripieno rugueux. Le goût de l'extravagance, la pièce d'Aureliano Cattaneo (*1974) intitulée ''Estroso'' (capricieux, bizarre), pour violon, flûte, cordes, théorbe et clavecin, le prolonge opportunément, de son caractère impétueux précédant une plage plus calme menant vers des contrées étranges. Le Concerto en sol mineur RV 157 pour cordes et basse continue, d'à peu près 5 minutes d'horloge, est un condensé de la manière vivaldienne : un pénétrant Largo entouré de deux impétueux Allegros. La pièce ''Spiccato il volo'' (le violon a pris son envol) pour violon seul de Luca Francesconi (*1956) prolonge le concerto. Car le violon semble sortir soudain de son finale, tel un vol de bourdon, d'une affolante virtuosité, nul doute inspirée du maître Vivaldi mais aussi des capacités hors norme de la dédicataire actuelle.

Retour à Vivaldi avec le Concerto en do majeur RV 191 pour violon, cordes et basse continue. Une œuvre conçue dramatique dès l'Allegro ma poco d'entame et son introduction orchestrale bien sentie par Antonini, sur laquelle s'inscrit la soliste en mode en apparence ''classique'', car la manière est loin d'être sage : traits lancés à la volée, boustés, moulinets audacieux. Le Largo impose pareille dramaturgie théâtrale : la soliste mène sa partie comme un chanteur le ferait dans un récital choisi. Un nouvel Allegro ma poco conclut avec les mêmes écarts de nuances et un discours soliste relevé. Le morceau ''Incanto XIX'' de Simone Movio (*1978), pour flûte, violon et cordes, offre une microarchitecture cherchant à synthétiser les formes et structures d'un concerto baroque. Celui qui suit, le Concerto en mi mineur RV 550 de Vivaldi, pour quatre violons et cordes, extrait du recueil de L'Estro Armonico, op.3 N°4, est là encore une œuvre quasi miniature, puisque ses 4 mouvements s'étirent sur moins de 7 minutes : un Andante dans le plus pur style fluide vivaldien, un Allegro assai généreux qui flatte les solistes dans un mouvement allant, sûrement mené par les présents interprètes, puis un très court Adagio servant de transition apaisée à un finale coulant où les quatre voix s'unissent aisément au ripieno. Le morceau de Marco Stroppa (*1959) ''Dilanio avvinto'' pour flûte et deux violons, est un anagramme d'Antonio Vivaldi, signifiant ''attaché, je déchire''. Il offre une vraie compétition entre flûte et violon, qui heureusement se calme peu à peu dans un dialogue plus amène. Mais on en passe par d'étranges sonorités dans l'aigu des deux instruments, pépiements de la flûte en particulier. 

La pièce de Giovanni Sollima (*1962), titrée ''Moghul'', pour violon, flûte et cordes, s'inspire librement du concerto homonyme de Vivaldi, en en reprenant l'esprit sur le mode arabe dans le traitement du violon solo et de l'accompagnement des cordes et du clavecin. Morceau envoûtant dans son tempo de presque berceuse. Originale introduction au Concerto en ré majeur RV 208 ''Il Grosso Mogul''. On a épilogué sur cette œuvre et son titre, son inspiration ''orientale'' qui a donné naissance encore à un opéra Agrippo, histoire amoureuse à la cour du Grand Moghol. De vastes proportions pour un concerto de ce type, il offre deux cadences écrites de la main de Vivaldi, ce qui en fait toute la saveur. L'Allegro est bien martelé et la partie soliste acrobatique comme la cadence, surtout dans la manière initiée - et inventée - par Patricia Kopatchinskaja. Le Grave ''Recitativo'' enchaîné la voit adopter le style de jeu des violonistes indiens : un exotisme qui ne messied pas en l'occurrence et apporte une épice particulière à l'écriture vivaldienne. Même si les puristes pourront s'étrangler devant pareille hardiesse. Le finale, d'abord sotto voce, va s'amplifiant, la soliste tressant une guirlande usant de toutes les ressources de son art. La substantielle cadence du Prete Rosso est d'une étonnante difficulté, augmentée ici par le jeu plus que tendu comme un arc de Kopatchinskaja. Qui au fil de ces diverses pièces aura tenu haut et fort une façon de jouer plus que dérangeante mais combien ''scotchante''. Tout comme la direction communicative, ''infectious'', de Giovanni Antonini et son sens du rythme très tendu, même s'il s'en défend. En guise de bis, le chef joue sa chère flûte avec sa partenaire dans un duo de Bartók, tout à fait dans l’esprit de cet étonnant programme. Et rare, comme il en était déjà du précédent ''Time & Eternity''.

Ils sont enregistrés, dans un théâtre autrichien à l'acoustique nullement résonante, avec finesse et grand naturel. La balance solistes-orchestre est tout à fait satisfaisante.

Texte de Jean-Pierre Robert 

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