DVD d'opéra : L'Italienne à Alger
- Gioachino Rossini : L'Italiana in Algeri. Dramma giocoso en deux actes. Livret d’Angelo Anelli
- Cecilia Bartoli (Isabella), Ildar Abdrazakov (Mustafà), Edgardo Rocha (Lindoro), Alessandro Corbelli (Taddeo), José Coca Loza (Haly), Rebeca Olvera (Elvira), Rosa Bove (Zulma)
- Philharmonia Chor Wien, Walter Zeh, chef des chœurs
- Ensemble Matheus dir. Jean-Christophe Spinosi
- Mise en scène : Moshe Leiser & Patrice Caurier
- Décors : Christian Fenouillat
- Costumes : Agostino Cavalca
- Éclairages : Christophe Forey
- Video designer : Étienne Guiol
- Dramaturgie : Christian Arseni
- Production du Salzburger Festspiele, Haus fur Mozart, 2018
- Video director : Tiziano Mancini
- 2 DVDs Unitel Edition : 801808 (Distribution :Distrart Distribution)
- Durée des DVD : 153 min
- Note technique : (5/5)
Voici la captation filmée de la production de L'Italienne à Alger donnée au Festival de Salzbourg 2018, caractérisée pour sa fantaisie débridée. Elle est saisie avec acuité par une équipe technique qui en a compris les ressorts scéniques souvent aussi délirants que bariolés. Et offre une exécution musicale dominée par des chanteurs qui connaissent leur Rossini sur le bout des doigts.
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Le dramma giocoso L'Italiana in Algeri (1813) connaissait à Salzbourg sa première production moderne, grâce à la volonté de Cecilia Bartoli de monter cette œuvre moins célébrée de Rossini, alors qu'on avait déjà expérimenté au Festival Le Barbier de Séville (par Abbado et Ponnelle) et autre La Cenerentola. Bien sûr Bartoli en est la vedette, mais partagée avec Ildar Abdrazakov et Alessandro Corbelli. La représentation avait laissé une impression mitigée de par un parti pris d'exagération dans le trait. Il faut dire que la mise en scène due au tandem Moshe Leiser & Patrice Caurier n'y va pas de main morte pour donner vie à cette histoire italo-algérienne où le Bey Mustafà, ici hidalgo macho, qui veut se distraire avec une belle égérie de la péninsule, Isabella, est finalement berné par elle. Depuis une Ouverture animée, où on nous remémore le contexte, montrant ledit Mustafà insensible à la moindre caresse de son épouse légitime Elvira, au départ d'Isabella vers le sol italien avec son amoureux Lindoro, nos deux comparses régisseurs multiplient les gags. La trame est souvent mince. Qu'à cela ne tienne, on va s'attacher à la corser par une animation qui ne se tarira pas. On la revisite au sein d'une décoration naturaliste en diable qui manie les clichés contemporains délibérément orientaux : rue du bled peuplée de ses marchands affairés, intérieur de la demeure du Bey encombrée d'objets hétéroclites, goélette blanche façon yacht de milliardaire pour un retour en fanfare vers la mère patrie italienne, les deux tourtereaux en figure de proue comme les héros du film Titanic. Car les extraits filmiques sont légion au fil de l'action, dont l'extrait fameux de la Fontaine de Trevi de La dolce vita. Cette décoration fantaisiste et exubérante, toutes couleurs criardes dehors (Christian Fenouillat), favorise la démesure que renforce le matériel de rigueur du Regietheater : surgissement de la limousine du Bey, hommes de main dudit dûment armés, batterie de narguilés, sans parler de la baignoire immaculée dans laquelle Isabella va prendre son bain au pied d'un paravent derrière lequel le concupiscent Mustafà s'étrangle de désir et se pâme en tordant les sous-vêtements de la dame.
Cecilia Bartoli/Isabella, Alessandro Corbelli/Taddeo ©SF/Ruth Walz
Les personnages sont burinés jusqu'à la caricature. Taddeo, le fidèle protecteur d'Isabella - et pour la cause intitulé ''oncle'' – est homme à tout faire, affublé de culottes courtes, casquette et bandeau de touriste autour de la taille, puis jeune loubard, survêt rouge vif et casquette à visière cette fois lorsqu'intronisé ''Kaimakan''. Lindoro se voit traité façon punck, cheveux tressés, jean et tee-shirt. Mustafà, bien sûr, a droit à tous les égards du grotesque : tour à tour en maillot et slip au lit, en costume blanc rayé façon mafioso, puis en short long à rayures et robe de chambre, enfin affublé d'un incroyable accoutrement, caleçon et couvre-chef à plumes, lors de la cérémonie du ''Pappataci''. Isabella débarque robe rouge à fleurs fort aguichante à dos de dromadaire, un effet des plus inattendus, et outre le passage plus dévêtu de la baignoire, en termine au finale de l'opéra en robe de diva bleu pervenche. Tout cela campe assurément les caractères déjà bien sentis par Rossini et permet de solliciter le texte, souvent avec perspicacité. Ainsi de l'aria d'entrée ''Que muso'' où Isabella s’esclaffe d'étonnement devant l'allure plus qu'insolite de Mustafà. Et les coups de théâtre, qui pullulent il est vrai, ne manquent pas leur but. Reste que, comme remarqué à la représentation, à force de grossir le trait on manque peut-être l'ultime ressort comique. Comme il en est du finale du Ier acte, le fameux concertato typiquement rossinien, qui voit tout ce petit monde se mouvoir à en perdre le sens, tels des automates. Ce qui à la prise de vues, nécessairement par images choisies, ne livre pas tout son impact. Mais sans doute, surjouer participe-t-il de l'essence de l’œuvre et de la manière dont on veut bien la concevoir. Encore qu'il s'agisse d'un dramma giocoso et non d'un opera buffo...
Ildar Abdrazakov/Mustafa, Cecilia Bartoli ©SF/Ruth Walz
Quant au volet musical, le direction de Jean-Christophe Spinozi n'est pas toujours des plus subtiles. Si le sous-dimensionnement perçu en salle paraît moins flagrant à l'enregistrement, dont la balance sonore est soignée, on reste sur sa faim à maints endroits, tel le finale du Ier acte, pas très rigoureux avec la mesure. Même si les choses sont mieux en place dans le quintette du IIème. Les tempos brusques, voire boustés, n'apportent pas la souplesse qu'on attend d'une vraie battue rossinnienne. L'Ensemble Matheus qui joue sur instruments anciens, dispense des sonorités parfois un peu acides.
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Edgardo Rocha/Lindoro, Cecilia Bartoli, Ildar Abdrazakov, Rebeca Olvera/Elvira, Alessandro Corbelli ©SF/Ruth Walz
Mais heureusement la distribution est solide. Cecilia Bartoli prête à Isabella un chant d'agilità magistralement orné dans une partie d'alto colorature qui sollicite avantageusement le registre grave de la voix. La cavatine ''Per lui che adoro'', délivrée dans un sourire malicieux, au sein d'un bain mousseux, conquiert par son débit gourmand pianissimo lento calculé et ses enfilades colorature. De quoi faire saliver les deux amoureux, Lindoro, le vrai, et Mustafà, le vindicatif prétendant, alors que le désormais blasé Taddeo est caché derrière un carton d'emballage de TV ! Plus tard, ''Pensa alla patria'', rondo enluminé sur contrepoint de désopilante animation des chœurs dégustant les fameux spaghettis, scelle un portrait de femme rebelle bien décidée à venir à bout de l'ego du machiste Mustafà. Celui-ci, Ildar Abdrazakov, est un parangon de vertus rossiniennes. Trilles, quinte aiguë de la basse, tout est ici de l'ordre de la vraie italianità, un challenge pour une voix russe. Comme sa collègue, il se prend au jeu de cette mise en scène débridée, étalant d'insoupçonnés talents comiques : yeux exorbités, expressions et attitudes hyperboliques. Alessandro Corbelli, Taddeo, est impayable en survêt sportif encombré de sa kalachnikov. Une leçon de style aussi que sa prestation vocale, sur laquelle les ans ne semblent pas avoir de prise. Edgardo Rocha offre une quinte aiguë aisée qui fleurit dans les suaves cavatines dont Rossini habite le rôle de Lindoro et la composition est tout aussi intéressante. Une mention encore au Haly de José Coca Loza, baryton bien projeté, et au Philharmonia Chor Wien qui assure haut la main les excentricités de la régie et offre une prestation vocale bien sonore.
La captation filmée duplique la délirante animation de la mise en scène, ses excès comme ses traits bien sentis, où les personnages ne craignent pas le moins du monde le grotesque. Et ce grâce à une prise de vues très étudiée : différents plans rapprochés pour les dialogues, gros plans détaillant à l'envi telle expression d'un personnage, et plans séquences évocateurs d'un irrépressible mouvement d'ensemble. La qualité de l'image (Luca Longarini) est irréprochable.
Texte de Jean-Pierre Robert
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