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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

CD : la musique de piano de Leoš Janáček jouée par Thomas Adès

Janacek Thomas Ades

  • Leoš Janáček : Sur les sentiers recouverts. Dans la rue 1.X.1905 ''Sonate pour piano''. Dans les brumes
  • Thomas Adès, piano
  • 1 CD signum Classics : SIGCD600 (Distribution : UVM)
  • Durée du CD : 66 min 50 s
  • Note technique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rouge (5/5) 

La musique de piano de Janáček n'est pas si souvent enregistrée. Aussi cette nouvelle version est-elle plus que bienvenue, qui en présente les trois œuvres essentielles. D'autant que l'auteur est un musicien aguerri à cet idiome. Lorsqu'un grand compositeur anglais d'aujourd'hui rencontre son éminent collègue tchèque, cela produit une rare réussite. Un disque pour l'île déserte !

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La production d’œuvres confiées au piano se concentre sur les premières années de la carrière de Leoš Janáček. Elle est essentiellement constituée de trois cycles. C'est une musique profondément originale aux multiples facettes et usant de modes particuliers dont la répétition de courtes cellules se modifiant la plupart du temps de manière infinitésimale. À propos de ces cycles, Thomas Adès remarque qu'elle exprime « des mémoires qui semblent passées et considérées à la lumière de différentes époques ». Qui ajoute que la première pièce Par les sentiers recouverts pourrait s'intituler 'In memoriam' et la dernière Dans les brumes 'Souvenir'. Parce que cette musique « a pour dessein presque obsessionnel de se souvenir du passé. Elle créé une mémoire d'une mémoire d'une mémoire ». Autre caractéristique : les pièces pour piano ne sont pas éloignées de son vocabulaire à l'opéra et partant, du credo fondamental de l'ethnologue Janáček consistant à baser le langage musical avant tout sur le langage humain et ses différentes inflexions. Par rapport à l'opéra, le piano lui permet de l'exprimer dans le registre de la confidence. Enfin plus que la mélodie, l'essentiel pour lui est l'harmonie, ce qui se traduit, entre autres, par des enchaînements d'accords ou des formes de dialogues figurés. 

Par les sentiers recouverts, dont la composition s'étale de 1900 à 1911, forme une suite de quinze pièces divisées en deux séries, elles-mêmes écrites à deux périodes distinctes. Ce sont des miniatures souvent très courtes. Les dix premières formant la Série I sont de style narratif. On y rencontre une large variété d'états et une progression dans la douleur et l'angoisse. Plusieurs traitent de la vie de l'enfance du musicien, souvenir des jours passés en Moravie (''Nos soirées'', presque de style ballade, ou la lyrique ''Une feuille emportée'', ou encore la grave ''La madone de Frydek'' et ses grands accords sourds et recueillis, comme un vague son de cloche). D'autres évoquent la mort de sa fille Olga en 1903. La berceuse ''Bonne nuit !'' - récemment jouée aussi par Bertrand Chamayou - exhale le climat de tendresse d'une comptine émue. ''En larmes'' n'est pas moins angoissée du pressentiment de la mort. Certaines sont plus vives. Ainsi de ''Les mots me manquent'' où le personnage s'emballe ou se calme. La 10ème pièce ''La chevêche ne s'est pas envolée'' avec ses figures répétitives et des sortes d'interjections comme des questionnements, rappelle le monde de Moussorgsky dans Les tableaux d'une exposition. La seconde série, plus expressive encore, abandonne le récit pour une approche de musique pure, sorte de décantation de la pensée, comme dans ''Andante''. La dernière pièce ''Allegro'', qui date de 1901, est faite de grands aplats dans une rythmique chaotique et d'étonnants trilles à la main droite.

L’œuvre intitulée Dans la rue 1. X. 1905, écrite en 1905-1906, au milieu des pièces précédentes, est considérée, quoique non par son propre auteur, comme une sonate. Inspirée par la mort d'un jeune apprenti de Brno suite à une charge policière, elle est constituée de deux mouvements seulement. Car le 3ème a été abandonné par le musicien le jour même de la première exécution de l'entière sonate. Plus tard, Janáček devait jeter toute l’œuvre dans la rivière Vlatva. Le manuscrit a survécu grâce à la copie qu'en avait fait la pianiste. L’œuvre sera créée de nouveau dans ses deux mouvements en 1924. C'est un autre exemple de musique du souvenir, ce que ses sous-titres n'éludent pas. ''Le pressentiment'' pourrait illustrer cette caractéristique de la musique de Janáček pour le clavier : le maximum d'expression avec le minimum de moyens. ''La mort'' tresse un motif poignant d'une tristesse résignée, dont le thème revient en boucle dans une démarche obsessionnelle, pour aboutir à une longue péroraison fff flattant le grave du piano.

Dans les brumes, la dernière composition majeure de Janáček pour piano, de 1912/1913, est nul doute son chef-d’œuvre. De ce cycle en quatre mouvements, Adès dit que sa grandeur « repose dans sa nature claustrophobe et l'austérité des moyens affectant chaque aspect de la musique. Le piano solo devient un espace étroit entre quatre solides murs ». Le langage s'est épuré à l'extrême et intériorisé. Guy Erismann y voit « tout le portrait de son auteur ». C'est aussi un langage de simplicité, que le présent interprète assimile au meilleur. ''Andante'' et son motif balancé capte d'emblée l'attention et le second sujet surgit mystérieux avec sa dualité lyrisme-effervescence. ''Molto adagio'' est d'une indicible mélancolie dans une cellule répétée à l'envi et est traversé de digressions presque violentes. ''Andantino'' reprend le même matériau, mais dans un mode plus amène. ''Presto'' enfin conclut dans les régions les plus graves du clavier en une manière à la fois grandiose et humble. Une sorte de résumé de l'art de Janáček au piano. 

À travers les interprétations de Thomas Adès, on comprend que la virtuosité, au sens romantique du terme, est une donnée absente du vocabulaire de Janáček. Et qu'il faut, comme le souhaitait l'auteur, « dire au piano ». Depuis la légendaire version de Rudolf Firkušny, on n'avait pas entendu au disque jouer cette musique avec autant de sincérité et de quasi complicité pour saisir sa singularité de langage. Peut-être le regard du compositeur qu'est Adès lui-même, auteur d’œuvres qui souvent côtoient le vocal, ouvre-t-il des perspectives autres que celle d'une pure exécution, aussi fidèle soit-elle. Et une manière plus creusée et introspective d'appréhender la pensée de son confrère. Le jeu est, comme il se doit, extrêmement contrasté et l'ambitus large, exploitant au maximum tous les registres de l’instrument, graves résonnants, aigus percussifs. L'apparente complexité de ces  musiques, Adès la décortique tout en rendant palpables son lyrisme consubstantiel, ses écarts de dynamiques, ses ruptures souvent abruptes. En un mot, l'empathie est évidente avec un univers sonore à nul autre pareil et combien attachant, même à l'aune des œuvres de Janáček pour l'opéra.

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L'enregistrement, au Henry Wood Hall de Londres, dans une acoustique flatteuse et ouverte, saisit l'instrument dans toute sa flamboyance et sa poétique la plus raffinée. Voilà une vraie image naturelle de prise de son studio, qui ne cherche pas à imiter l'estrade de concert.

Texte de Jean-Pierre Robert   

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