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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

DVD d'opéra : Hamlet revisité en trois dimensions à l'Opéra Comique

Hamlet Ambroise Thomas

  • Ambroise Thomas : Hamlet. Opéra en cinq actes. Livret de Michel Carré et Jules Barbier, d'après William Shakespeare
  • Stéphane Degout (Hamlet), Sabine Devieilhe (Ophélie), Laurent Alvaro (Claudius), Sylvie Brunet-Grupposo (Gertrude), Julien Behr (Laërte), Jérôme Varnier (Le Spectre), Kevin Amiel (Marcellus/Deuxième fossoyeur), Yoann Dubruque (Horatio/Premier fossoyeur), Nicolas Legoux (Polonius)
  • Chœurs Les éléments, chef de chœur : Joël Suhubiette
  • Orchestre des Champs-Elysées, dir. Louis Langrée
  • Mise en scène : Cyril Teste
  • Décors : Ramy Fischler
  • Costumes : Isabelle Deffin
  • Éclairages : Julien Boizard
  • Projections vidéo : Nicolas Dorémus & Mehdi Toutain-Lopez
  • Dramaturgie : Leila Adham
  • Production du Théâtre de l'Opéra Comique, captée en décembre 2018
  • Réalisation vidéo : François Roussillon
  • 1 DVD Naxos : 2.110640 (Distribution : Outhere Music)
  • Durée du DVD : 2 h 50 min 41 s
  • Note technique : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile bleue (5/5) 

Créé à Paris en 1868, l'opéra Hamlet d'Ambroise Thomas n'y avait plus été représenté depuis 1938. C'est dire combien la production de l'Opéra Comique de cette fin d'année 2018 était attendue. Ce bel exemple de sujet littéraire, de ceux qui régissent l’art lyrique au XIXème siècle, a encore de beaux jours devant lui à en juger par la pertinence d'une mise en scène qui en révèle tout l'impact dramatique et le caractère exceptionnel de la réussite musicale. La présente captation le restitue fidèlement, voire au centuple.

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Ambroise Thomas pâtirait-il de la comparaison avec Gounod ou Massenet ? Sa musique, souvent rabaissée au rang d'agréable, est pourtant inventive et parée d'un beau lyrisme. Car il « libère la déclamation lyrique et la rend plus souple, plus humaine, plus proche d'un théâtre de conversation », souligne Louis Langrée. Comme pour un précédent ouvrage, Le songe d'une nuit d'été, Thomas a, s'agissant d'Hamlet, puisé à Shakespeare. Ses librettistes ont pris des libertés avec l'original, sans trop se préoccuper du sous-bassement politique, voire philosophique de la pièce, et ont mis en avant l'intrigue amoureuse entre Hamlet et Ophélie. C'est d'ailleurs la tragique destinée de cette dernière qui a laissé à l'œuvre sa plus fameuse empreinte avec son grand air de la folie. Mais il serait injuste de réduire sa portée à cette séquence démonstrative. L'intérêt de l'œuvre repose sur le rôle-titre que Thomas a façonné pour un interprète bien particulier, le baryton-basse Jean-Baptiste Faure, une audace si l'on s'en tient au cliché qui veut qu'on doive confier à un ténor la place principale dans un opéra de l'âge d'or. À se concentrer sur le personnage titre, remarquablement conçu, la dramaturgie s'avère plus consistante qu'il n'y paraît : une tragédie de la trahison, celle d'un fils meurtri par le remariage de sa mère et qui devra venger la mort d'un père, conformément à l'intimation du Spectre du feu Roi, même si au prix du sacrifice d'une âme tendre, Ophélie. Pour un « dénouement à la violence contenue » (Agnès Terrier), qui contrairement à Shakespeare, voit le couronnement malgré lui d'Hamlet roi.

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Sabine Devieilhe (Ophélie) & Stéphane Degout (Hamlet) ©Vincent Pontet 

Dans sa mise en scène, Cyril Teste l'a bien saisi qui fait d'Hamlet le pivot autour de qui tout s'organise, au point de le rendre présent continûment, même hors de la scène : un homme qui cherche à savoir. Ce qui ne signifie pas une relégation des personnages dits secondaires, comme Gertrude, mère indigne, et Claudius, nouveau roi meurtrier. La direction d'acteurs rend sensible chacune de leurs interventions, souvent jusqu'à l'incandescence. Ainsi de l'échange tendu entre Gertrude et Claudius où plane l'ombre meurtrière des Macbeth. Celui entre fils et mère à l'acte III, plus qu'un duo d'opéra, devient un formidable affrontement, alors que tout semble déjà se détraquer au royaume d'Elseneur. Surtout, le rôle du Spectre paraît bien être le nœud de la dramaturgie : sa première apparition, au milieu du parterre parmi les spectateurs, est un coup de maître, car Hamlet dialogue avec lui face au public. Plus tard, c'est devant l'ombre géante du père défunt que ce dernier se voit ordonner d'épargner Gertude.

C'est qu'intervient un élément crucial du spectacle qui, comme l'expose Cyril Teste « joue sur les trois niveaux du cinéma, du théâtre et de l'opéra ». En clair : une dramaturgie mêlant cinéma et théâtre pour visualiser à la fois ce qui se déroule frontalement et ce qu'on ne peut pas voir, mais pressent : singulièrement ce qui se passe dans la tête des personnages, d'Hamlet en particulier. L'usage de la caméra au poing et en direct sur un plateau d'opéra n'est pas neuf. Mais rarement a-t-il été aussi en phase avec le traitement même de l'action, véritable adjuvant. Au point de faire devenir réalité le rêve de tout régisseur : les trois dimensions. Qui crée une relation de proximité avec les protagonistes. « La scénographie est moins un décor qu'un espace de projection », ajoute-t-il. Jusqu'à être une sorte de « construction mentale », celle qui hante Hamlet. Et la synergie avec le jeu d'acteurs est totale, qui confère aux personnages toute leur épaisseur dramatique, autour de la figure centrale du héros.

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Acte II, ''Le meurtre de Gonzague'' ©Vincent Pontet

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À la différence de la mise en scène d'Oliver Py, naguère à la Monnaie de Bruxelles, qui créait une atmosphère sombre et oppressante à travers la décoration claustrophobe d'une sorte de souterrain enserrant l'action et les caractères, le parti visuel est ici la plupart du temps tout de clarté. Et souvent d'une grande beauté plastique. La régie est d'une étonnante fluidité dans ses changements à vue, les techniciens devenant partie intégrante de l'action. L'ouverture de scène ou le fond de plateau sont partagés en deux : au premier plan le ''vrai'' théâtre et au-dessus l'écran sur lequel est visualisé ce qui se passe à l'envers de celui-ci. Ainsi d'Hamlet, à l'écran, traversant, sans être autrement remarqué semble-t-il, la foule de la réception de l'union de Claudius et de Gertrude. Le spectacle dans le spectacle, ''Le meurtre de Gonzague'', est à cet égard un vrai tour de force, qui offre simultanément divers plans : la cour assise sur un banc de dos, regardant la pièce organisée par Hamlet pour démasquer le roi, les apartés, de face cette fois, entre Hamlet et Ophélie, les réactions peu à peu effarées du roi et de ses gens, qui filmées apparaissent sur l'écran au-dessus de l'aire de jeu, puis la folie simulée d'Hamlet dansant sa joie dans la salle même devant l'orchestre, tandis enfin que la foule de la fête gâchée s'empare des allées du parterre.

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Hamlet & Sylvie Brunet-Grupposo (Gertrude) ; ©Vincent Pontet 

La direction de Louis Langrée associe avec bonheur la coulée mélodique de la musique et sa veine mélancolique qui transparaissent à travers quelques motifs récurrents. N'éludant pas ce qui ressortit à la convention, notamment dans les marches cérémonielles ou chœurs de circonstance, elle mise sur l'originalité de l'orchestration et l'éventail des coloris, des bois, des cors, sans oublier le saxophone, une nouveauté alors. Dont le fameux solo, en prologue à la scène de théâtre, est joué sur scène. On le mesure encore dans l'alliance de la flûte et de la harpe lors de la scène de la folie d'Ophélie, une ballade suédoise écrite pour la créatrice Christine Nilsson, où l'on savoure l'effet spatial qui s'empare alors de la musique. Surtout la direction s'attache-t-elle à façonner la prosodie chantée.

Le plus bel exemple en est la prestation de Stéphane Degout dans le rôle-titre. De ce rôle de baryton, l'un des plus complets du répertoire français du XIXème siècle, il rend toute la dimension de l'homme solitaire et torturé. Le timbre clair, enrichi d'envolées presque ténorisantes, le sens inné de la déclamation, la justesse de ton, l'inépuisable réserve de puissance distinguent une interprétation de référence. Qui cisèle la phrase comme s'il s'agissait d'un Lied. Qu'admirer ! La vaillance et l'élan de l'air ''Le vin dissipe la tristesse'' (I), le tragique insondable du monologue ''J'ai pu frapper le misérable et je ne l'ai pas fait'' et le terrible air qui s'enchaîne ''Être ou ne pas être ?'' (III), délivré dans l'intime d'un récit, devant l'image géante et envahissante de la tête du Spectre. Ou encore le déchirant de l'aveu de remords ''Comme une pâle fleur'' (V), tandis que l'ombre d'Ophélie gravite à ses côtés. Celle-ci, Sabine Devieilhe lui prête un soprano lyrique épanoui où l'expression prime sur la virtuosité, et une présence de chair et de sang, loin d'un être bizarre et hors du temps. L'évolution du personnage est sensible, de l'éclatante jeunesse, teintée de mélancolie de l'air ''Sa main depuis hier n'a pas touché ma main'' (II), couronné d'un joli contre mi, à la scène de la folie qui devient comme un épisode de la tragédie d'Hamlet, d'un naturel à pleurer, d'une simplicité désarmante, dans sa succession de trois morceaux, air, ballade et final, tout sauf démonstratif grâce à un legato enviable et une expression d'une vérité bouleversante. Sylvie Brunet-Grupposo incarne une reine Gertrude, elle aussi d'un fort impact dramatique, partagée entre instinct maternel aigu et pression des événements l'emportant vers la tragédie. Son timbre corsé, qui frôle le soprano dramatique, fait merveille. Des autres rôles, fort bien tenus, il faut citer le Spectre bien sonore de la basse Jérôme Varnier, le Claudius démoniaque de Laurent Alvaro et le Laërte de Julien Behr, beau ténor lyrique. Sans oublier la prestation magistrale du chœur Les éléments.

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Acte V scène finale, Julien Behr (Laërte), Hamlet (de dos), Laurent Alvaro (Claudius) & Gertude (à droite) ©Vincent Pontet

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La captation filmique par l'équipe de François Roussillon offre une image qui réussit elle aussi le tour de force de saisir les diverses composantes du spectacle et ses trois dimensions, dont le film précisément. Elle suit fidèlement le mouvement dramaturgique, scènes d'ensembles comme drame intérieur que vit chaque protagoniste. Par un habile panel de plans et en particulier les hors champs favorisés par la régie. La présence des nombreux techniciens est vite oubliée tant ils sont déjà intégrés dans la mise en scène. La captation audio livre l'ambiance acoustique très présente de la Salle Favart. Si les voix sont légèrement favorisées, elle ménage une restitution sonore d'un indéniable relief.

Texte de Jean-Pierre Robert  

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